L'usage de la télémédecine dans le domaine de la maladie d'Alzheimer et des pathologies du déclin cognitif était, jusqu'à récemment, assez peu prisé des professionnels du domaine. Pourtant, les revues de la littérature consacrées à ce sujet publiées jusqu'en 2020 concluaient que ce type d'approche était généralement bien accepté par le patient et son aidant, et pouvait avoir un impact positif comparable à celui de visites présentielles en termes de diagnostic précoce et de prise en charge des patients atteints de syndrome démentiel ou de trouble cognitif léger. Les mêmes revues soulignaient toutefois les limites du dispositif : le fait qu'il exclue certains patients ne disposant pas du matériel nécessaire à la téléconsultation et ceux – assez nombreux dans les tranches d'âge concernées – présentant des déficits sensoriels trop importants, les difficultés assez fréquentes chez d'autres à utiliser les technologies numériques et un impact émotionnel potentiellement négatif sur les malades [1, 2]. En France, la télémédecine a été officiellement introduite et réglementée par la loi dite “HPST” dès le 21 juillet 2009 et la téléconsultation a été définie par décret en octobre 2010 de la manière suivante : consultation à distance entre un médecin (libéral ou salarié d'un établissement de santé) et un patient (seul ou assisté d'un professionnel de santé). Après une phase expérimentale de 4 années ayant débuté en 2014, la téléconsultation accéda au droit commun de l'Assurance maladie grâce à la loi de financement de la Sécurité sociale de 2018, permettant sa prise en charge sous réserve que le patient soit orienté initialement par son médecin traitant (l'accès direct étant limité à quelques exceptions, comme la psychiatrie), qu'il soit connu du médecin téléconsultant et que la consultation soit réalisée par vidéotransmission via une plateforme vidéo sécurisée. En février 2020, la Caisse nationale d'assurance maladie comptabilisait 40 000 téléconsultations. La survenue de la pandémie de Covid-19, en particulier pendant les premières phases du confinement de 2020, qui furent accompagnées d'une interruption de toutes les activités médicales non urgentes, a conduit beaucoup d'entre nous à découvrir ce dispositif. Ce fut alors une véritable explosion, d'autant que dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, instauré par la loi du 23 mars 2020, ses règles furent assouplies avec la possibilité d'un accès direct au médecin téléconsultant et de consultations téléphoniques, notamment pour les patients en ALD ou âgés de 70 ans et plus. Près de 500 000 téléconsultations furent remboursées entre le 23 et le 29 mars 2020, ce nombre atteignant 1 million en avril 2020 (rapport de l'Assurance maladie de juillet 2020). Comme probablement un certain nombre d'entre vous, j'ai dû surmonter mes réticences de praticien du colloque singulier et de l'examen clinique soigneux et attentif, et passer outre le dédain pour une pratique que je considérais comme dégradée et peu compatible avec le domaine de la démence, pour proposer une téléconsultation aux patients que je suivais et qui auraient dû bénéficier d'une consultation présentielle. Je dois avouer que je fus surpris par la réaction des patients et de leurs aidants qui, dans leur grande majorité, s'adaptèrent à cette approche et témoignèrent de leur satisfaction. Mais ce ressenti ne peut suffire à valider ce mode d'intervention et il est nécessaire d'accéder à des données objectives pour évaluer son impact sur la prise en charge des malades atteints d'un déclin cognitif. Des données commencent à être disponibles : c'est notamment le cas d'une étude menée auprès de 7 consultations mémoire françaises qui prodiguèrent une téléconsultation de suivi entre le 17 mars et le 11 mai 2020 à 874 patients dont plus de la moitié souffraient d'une pathologie neurodégénérative [3]. Cette étude, réalisée par les collègues de Rouen, partait de l'hypothèse que l'absence d'examen clinique pourrait avoir un impact sur les prescriptions des médicaments tels que les inhibiteurs de l'acétylcholinestérase, les antipsychotiques, les benzodiazépines ou les régulateurs de l'humeur. Il s'avéra que le taux de modification (arrêt ou introduction, changement de posologie) fut seulement de l'ordre de 10,7 %, demeura stable tout au long de la période analysée et à peine supérieur au taux relevé pour un groupe “témoin” ayant bénéficié d'une consultation présentielle sur une période similaire en 2019. Ces modifications étaient plus fréquentes chez les patients accompagnés d'un aidant et ceux atteints de maladie d'Alzheimer. Outre le fait qu'elle suggère que l'impact du confinement sur ces patients fut apparemment moindre que ce qu'on aurait pu penser, du moins à court terme, cette étude montre que la téléconsultation ne conduit pas nécessairement le praticien à prendre des décisions thérapeutiques différentes de celles qu'il aurait prises dans le cadre d'une consultation classique, avec la possibilité d'un examen clinique. Bien sûr, on ne peut en déduire que l'apport de la téléconsultation est équivalent à celui d'une consultation présentielle chez ce type de malades, d'autant qu'il s'agissait de patients connus des praticiens et que ce dispositif a été utilisé dans le contexte particulier du confinement, possiblement générateur par lui-même de conséquences sur la santé et la qualité de vie des patients affectés d'un déclin cognitif. Mais elle montre que, dans certains cas, la téléconsultation peut être un dispositif utile et efficient, notamment pour le suivi à distance. Il serait souhaitable que les sociétés savantes s'approprient le sujet de la téléconsultation pour l'intégrer dans le parcours du patient et définissent des recommandations sur les indications et les limites de son usage chez les patients atteints d'un déclin cognitif.