Éditorial

Lésions, colésions et comorbidités : un défi diagnostique et thérapeutique pour le clinicien


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Dans sa démarche diagnostique et thérapeutique d'un trouble neurocognitif s'inscrivant dans un contexte de vieillissement, le clinicien est le plus souvent confronté à la question de possibles colésions cérébrales qui peuvent participer à la symptomatologie et imposent un plan de soins multimodal. Depuis le concept ancien de “démence mixte” impliquant surtout le diagnostic de maladie d'Alzheimer à composante cérébrovasculaire (ou inversement), le spectre des colésions possibles s'est considérablement élargi, puisqu'il doit nous faire considérer également différentes protéinopathies.

La situation la plus prévalente est celle de la coexistence d'une amyloïdopathie et d'une tauopathie pouvant expliquer une maladie d'Alzheimer, d'une part, et de lésions micro- ou macrovasculaires s'accumulant avec le vieillissement, d'autre part. La maladie d'Alzheimer et l'encéphalopathie vasculaire partagent des facteurs de risque communs – depuis le vieillissement, l'hyper­tension artérielle, le diabète, les dyslipidémies et le tabagisme – qui conduisent naturellement vers l'hypothèse d'effets cumulatifs des lésions de type Alzheimer et de type vasculaire sur le statut cognitif, fonctionnel et comportemental des patients. Mais il a été démontré également que les facteurs de risque cardiovasculaire aggravent ou participent à l'accumulation d'amyloïde dans le cerveau, du fait notamment d'un impact sur un défaut de clairance, donc favorisent également l'aggravation de la ­tauopathie dans la maladie ­d'Alzheimer. L'angiopathie amyloïde, seule ou associée à la maladie d'Alzheimer, vient encore souvent brouiller les cartes chez les personnes âgées, associant des lésions microhémorragiques, la sidérose corticale et des lésions ischémiques multiples.

Tout serait simple si l'on pouvait recenser précisément les lésions microvasculaires sur une imagerie performante, telle une IRM encéphalique avec les meilleures séquences. Mais la neuropathologie confrontée à l'imagerie nous indique qu'une grande part des lésions microvasculaires échappent à l'IRM. En outre, les lésions microvasculaires participent de l'atrophie cortico-sous-corticale et hippocampique, que l'on peut conjointement rapporter au processus neurodégénératif.

Il est également démontré que les différentes protéinopathies responsables de troubles neuro­cognitifs peuvent coexister et que ce phénomène n'est pas rare. Ainsi, l'amyloïdopathie peut être isolée, associée à une λ-synucléinopathie, notamment dans la maladie à corps de Lewy diffus. Elle peut aussi s'associer à la tauopathie dans la maladie d'Alzheimer, mais également fréquemment chez les plus âgés à une protéinopathie TDP-43 au cours du syndrome LATE (Limbic Atrophy TDP-43 Encephalopathy). Il est bien difficile, à l'échelle d'un individu, de déterminer le poids relatif de ces différents types de lésions, souvent associés aux lésions vasculaires, ainsi qu'à des comorbidités somatiques, sur les réserves cognitives, fonctionnelles et comportementales.

Ce constat de colésions protéiques et vasculaires n'est pas rare, il est même prédominant chez les plus de 70 ou 75 ans. Les cohortes neuropathologiques continuent de nous montrer que les lésions pures sont en fait exceptionnelles, y compris celles de la maladie ­d'Alzheimer, et que la grande majorité des patients atteints d'un trouble neurocognitif présentent des colésions de type protéique et vasculaire. Les biomarqueurs, qu'ils soient biologiques ou neuroradiologiques, sont de plus en plus performants dans le repérage précoce des lésions sous-jacentes. Outre l'imagerie anatomique et l'IRM, l'imagerie métabolique, en particulier le PET-scan utilisant des traceurs amyloïdes ou Tau, mais aussi la biologie du liquide céphalorachidien et bientôt sanguine, nous aident à dresser cet inventaire qui nous rapproche d'une médecine de précision. L'utilisation de ces biomarqueurs ne doit en aucun cas nous éloigner d'une démarche clinique et neuropsychologique qui reste ­puissante et indispensable pour une démarche diagnostique fine et une meilleure prise en soins des patients. En effet, des lésions cérébrales avérées par des biomarqueurs peuvent être silencieuses, la plainte et le statut neuro­psychologique des patients pouvant dépendre d'autres types de lésions qui auraient atteint un stade pertinent sur le plan clinique. Cette synthèse ­complexe nécessite (encore) le regard avisé d'un clinicien.

Cette démarche diagnostique souligne l'importance des approches complémentaires, depuis la clinique, la ­neuropsychologie, jusqu'à la neuro-imagerie métabolique et la biologie, qui seront garantes d'un inventaire précis des liens entre des lésions souvent coexistantes et des plaintes et des souffrances des patients. Cette précision diagnostique – toujours relative – pourra nous permettre dans un futur plus ou moins proche ­d'apporter une approche thérapeutique à la fois ciblée, multi­modale et holistique.

Références

Pour en savoir plus…

• Wallace LMK et al. Neuropathologic burden and the degree of frailty in relation to global cognition and dementia. Neurology 2020;95(24):e3269-e3279.

• Charidimou A et al. The Boston criteria version 2.0 for cerebral amyloid angiopathy: a multicentre, retrospective, MRI-neuropathology diagnostic accuracy study. Lancet Neurol 2022;21(8):714-25.

• Spina S et al. Comorbid neuropathological diagnoses in early versus late-onset Alzheimer’s disease. Brain 2021;144(7):2186-98.


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P. Krolak-Salmon déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet éditorial.

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