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Éditorial

Anticiper… tout en s'attendant à l'inattendu !


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Du 22 au 24 septembre dernier ont eu lieu en présentiel les XVes Rencontres francophones sur la maladie d'Alzheimer et les syndromes apparentés (RFMASA). À l'occasion de ce congrès, qui a rassemblé près de 300 participants, de nombreuses questions ont été abordées, sur les plans tant diagnostique que thérapeutique, notamment celle de la prédiction du déclin cognitif à partir, par exemple, du “machine learning” de données génomiques ou par l'étude des biomarqueurs de protéino­pathie et/ou de dégénérescence cérébrale dans des cohortes de patients ayant un déficit cognitif léger. Ce fut aussi le sujet d'une magnifique conférence de Pierre Le Coz, professeur de philosophie et membre de l'Académie nationale de médecine, intitulée : “Prédire la maladie d'Alzheimer : pour le pire ou le meilleur ?” Évoquant en premier lieu les aspects sémantiques de la prédiction – prédire, c'est annoncer ce qui va arriver –, Pierre Le Coz nous a rappelé ses dimensions religieuse, historique et sociologique : l'oracle qui discerne le destin auquel, tel Œdipe, on ne peut échapper, les prophètes qui prédisent mais veulent redresser les conduites des hommes, l'astrologie qui répond à l'inquiétude de celui qui est tourmenté par son avenir, etc. Puis il a évoqué le fait que notre époque moderne s'est emparée de ce concept, qui relevait de l'art divinatoire, pour en faire un objet de raison et de science, notamment à travers la recherche d'outils de diagnostic à valeur prédictive forte et la démarche du dépistage.
Mais, à ce jour, dans le domaine de la maladie d'Alzheimer toutes les cases que prévoient les critères de l'OMS [1] pour légitimer l'application d'un dépistage ne sont pas remplies : il s'agit, certes, d'une maladie fréquente et grave, mais il n'existe pas encore de consensus sur les techniques diagnostiques reproductibles et à faible taux d'échec qu'il faudrait appliquer et, surtout, le bénéfice thérapeutique qu'on en tirerait est loin d'être acquis. Il est frappant par ailleurs de constater à quel point les concepts de médecine personnalisée prédictive et d'anticipation sont intimement liés à celui de la prévention. C'est la mise en œuvre de programmes de prévention qui justifie dans le cadre de la recherche le ciblage des personnes à risque de développer un déclin cognitif. On voit, notamment, se multiplier les essais thérapeutiques dont les participants sont ou seront recrutés sur la base d'un statut génétique ou sur celle de la positivité d'un biomarqueur d'imagerie, voire – ce qui ne peut qu'amplifier cette tendance – sur celle d'un dosage plasmatique de peptides amyloïdes. La démarche paraît rationnelle et illustre l'évolution de notre approche de la santé qui passe d'un modèle paternaliste dans lequel le médecin décide pour le patient à celui d'une démocratie sanitaire où c'est le patient qui décide pour lui-même (comme l'a inscrit la loi française du 4 mars 2002 relative aux droits des malades). Mais elle suscite également des questions, entre autres, comme l'a évoqué Pierre le Coz, celle de la nécessité d'une contrepartie pour les participants à ces cohortes. En acceptant d'accéder à leur statut de sujets à risque de déclin cognitif pour participer à une recherche dont les résultats ne leur bénéficieront peut-être pas à titre individuel, ils pourraient légitimement ressentir un préjudice moral. Cela étant dit, si un essai de prévention se révélait positif, le bénéfice individuel que pourraient dès lors en tirer les sujets concernés légitimerait l'offre d'une approche prédictive. Mais, dans le même temps, il faudra aussi se garder de circonscrire leur avenir à la prédiction d'une maladie future et au combat préventif qu'ils mèneraient contre l'apparition ou l'aggravation de ses manifestations. Ne sous-estimons pas la part de l'imprévu et de l'incertain, à laquelle Edgar Morin, dans ses magnifiques Leçons d'un siècle de vie, consacre un chapitre entier, retenant comme l'un des enseignements majeurs de ses 100 années d'existence “l'impossibilité d'éliminer l'aléa de tout ce qui est humain, l'incertitude de nos destins, la nécessité de s'attendre à l'inattendu”.

Références

1. Wilson JMG, Jungner G. Principes et pratique du dépistage des maladies. Genève : Organisation mondiale de la santé, 1970.


Liens d'intérêt

M. Ceccaldi déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet éditorial.

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