Le 6 janvier dernier, dans le cadre d’une procédure d’approbation accélérée initiée après la publication des résultats d’une étude de phase IIb, l’étude “201”, la FDA a autorisé la mise sur le marché américain du lécanémab. Cette approbation “fast track” (dont la procédure n’est pas exempte de critiques : voir, par exemple, l’article de H. Naci et al. [1]) s’est essentiellement fondée sur la réduction de la charge amyloïde évaluée par les TEP des patients atteints d’une maladie d’Alzheimer (MA) légère traités par cet anticorps humanisé de type IgG1 – ce dernier possède une affinité sélective pour les protofibrilles d’Aβ solubles de petite taille (qui font partie des agrégats amyloïdes les plus toxiques pour le cerveau). Pour celles et ceux qui suivent de loin l’actualité dans le domaine de la MA, cette nouvelle pouvait avoir un air de déjà vu. En effet, une approbation similaire avait été donnée par la FDA 1 an auparavant pour un autre anticorps antiamyloïde, l’aducanumab, mais, dans les mois qui suivirent, l’Agence européenne des médicaments (EMA) refusa d’autoriser ce médicament devant les résultats discordants des 2 études jumelles de phase III disponibles, considérant que son efficacité n’avait pas été démontrée dans la population testée et que ses bénéfices ne l’emportaient pas suffisamment sur ses risques pour l’utiliser dans la pratique.
Pour le lécanémab, l’histoire s’avère différente car, le 6 juillet dernier, la FDA lui a octroyé une autorisation “régulière” de mise sur le marché, reposant sur l’ensemble des données précliniques et cliniques disponibles. Ainsi, si l’étude de phase IIb avait montré que, après 18 mois de traitement, 76 % des patients atteints de MA légère sous 10 mg/kg de lécanémab administrés toutes les 2 semaines bénéficiaient d’une réduction de 25 % du déclin cognitif par rapport à ceux sous placebo, ce sont surtout les résultats de CLARITY – une étude randomisée, multicentrique, en double aveugle, de phase III, ayant porté sur l’efficacité et la tolérance du lécanémab et dont les résultats ont été publiés dans le New England Journal of Medicine [2] – qui ont conduit à cette approbation traditionnelle. L’essai, mené chez 1 795 patients affectés d’une MA au stade prodromal ou au stade de démence légère, s’est en effet révélé positif sur l’ensemble des critères de jugement, tant principal que secondaires. Globalement, les patients traités ont vu leurs pentes de déclin cognitif et fonctionnel réduites respectivement d’un quart et de plus d’un tiers par rapport à ceux sous placebo. En outre, la charge amyloïde, dont l’évolution a été notamment quantifiée à l’aide de la TEP-amyloïde dans une étude ancillaire, chute de façon importante dès le 3e mois chez les patients traités, pour rejoindre des valeurs considérées comme normales chez la majorité d’entre eux après 18 mois de traitement. Enfin, des ARIA-E (amyloid-related imaging abnormalities edema/effusion) et des ARIA-H (macro/microhémorragie/sidérose superficielle), qui représentent des anomalies d’imagerie fréquemment observées avec les anticorps antiamyloide, ont été détectées respectivement chez 12,6 et 17,3 % des participants traités par lécanémab contre 1,7 et 9,0 % dans le groupe placebo, et se sont révélées le plus souvent asymptomatiques et réversibles (cf. compte-rendu CTAD du 1er décembre 2022, www.edimark.fr). Si l’on résume, l’étude CLARITY est indéniablement positive, avec des résultats cliniques certes peu spectaculaires, mais convergents et dans la même lignée que ceux de l’étude “201”. Mais, comme toujours, si certains voient le verre à moitié plein, d’autres le voient à moitié vide, mettant en avant une hétérogénéité de l’efficacité selon diverses caractéristiques (le genre, l’âge, le statut ApoE, etc.), relevant un risque accru de macrohémorragies chez les patients sous anticoagulants et soulignant surtout le caractère modeste, voire “sous le seuil”, de ce qui serait un bénéfice pertinent du point de vue clinique. Quelques-uns seraient même encore tentés de jeter le bébé avec l’eau du bain et de remettre en cause la légitimité de la cible amyloïde pour proposer, par exemple, de traiter la maladie avec des antioxydants ! Pourtant, les espoirs fondés dans cette voie thérapeutique se voient renforcés par les résultats récemment publiés d’une étude phase III, TRAILBLAZER-ALZ 2, menée avec un autre anticorps monoclonal antiamyloïde [3]. Et le 18 septembre dernier, le Japon a annoncé l’approbation du lécanémab.
Alors, tel un chat échaudé qui craint l’eau froide, doit-on rester dubitatifs, voire pessimistes quant aux chances de voir la porte vers des traitements curatifs s’ouvrir à la MA en Europe et en France dans les mois qui viennent ? On ne peut préjuger des décisions que prendront l’EMA et l’ANSM concernant le lécanémab et qui devraient être connues dans les premiers mois de 2024. Mais, au-delà des postures binaires et simplificatrices, nous devrons nous préparer à une éventuelle mise à disposition d’un traitement antiamyloïde pour la MA légère en analysant minutieusement les données disponibles pour documenter une évaluation fine et au cas par cas du ratio bénéfice/risque dans cette population de patients encore autonomes ou légèrement dépendants. Ce travail est en cours sous l’égide de la Fédération des centres mémoire qui est sur le point de publier des recommandations à ce sujet (https://www.centres-memoire.fr).
Peut-être serait-il aussi utile de nous référer à l’histoire des thérapeutiques dans une autre maladie neuroévolutive comme la sclérose en plaques, qui nous a appris que l’impact fonctionnel d’une molécule innovante ciblant la pathologie cérébrale se mesure nécessairement à long terme, en organisant un suivi très attentif des malades traités pour détecter les éventuels effets indésirables et capter un bénéfice clinique par nature différé. Prudemment et en toute clarté, dans l’attente d’autres molécules complétant un arsenal thérapeutique qui ne saurait être limité à la clairance de la pathologie amyloïde, donner la possibilité aux patients atteints de MA potentiellement éligibles de bénéficier enfin d’un traitement curatif.