Les constats épidémiologiques récents indiquent sans ambiguïté que le panorama des complications dégénératives du diabète est en pleine mutation. Au cours des 2 dernières décennies, des progrès considérables ont été réalisés pour favoriser le dépistage précoce des complications, mais également pour optimiser les stratégies de prise en charge multifactorielle, impactant directement le pronostic global des sujets diabétiques. L'incidence des événements et décès cardiovasculaires prématurés a ainsi connu un recul très significatif depuis le début des années 1990, avec pour principale conséquence d'améliorer la survie de nos patients diabétiques (1). Un allongement de l'espérance de vie qui peut être considéré comme une première victoire, mais qui est malheureusement responsable de l'émergence de nouveaux types de risques particulièrement préoccupants, tels que la survenue d'une insuffisance cardiaque, d'une démence ou de certains types de cancers.
Cependant, les années de vie gagnées exposent également à la progression des complications classiques du diabète incluant la néphropathie et le risque d'évolution vers une insuffisance rénale sévère. En effet, en France comme dans de nombreux pays, le nombre de sujets diabétiques pris en charge pour une insuffisance rénale terminale est en progression constante, avec des retombées considérables sur le plan des dépenses de santé.
Ainsi, en croisant les données du registre national REIN (Réseau épidémiologie et information en néphrologie, couvrant 23 régions françaises) et celles issues du Sniiram (Système national d'information inter-régimes de l'Assurance maladie), on estimait en 2013 que l'instauration d'un traitement de suppléance de l'insuffisance rénale chronique terminale (dialyse ou greffe rénale) était 9 fois plus fréquente chez les sujets diabétiques que dans la population générale (2). Au total, 4 256 sujets diabétiques avaient commencé en 2013 un traitement de suppléance, correspondant à un taux d'incidence de 9,4/100 000 personnes pour le diabète de type 1 et 131,5/100 000 pour le diabète de type 2. Le nombre de nouveaux patients diabétiques pris en charge pour une insuffisance rénale terminale tendait à augmenter chaque année depuis 2011 et, après prise en compte de l'effet du vieillissement et de l'augmentation de la taille de la population, 70 % de l'évolution du nombre de nouveaux cas ne pouvaient être expliqués par la seule évolution démographique (3).
Nul besoin de pousser plus avant l'argumentation pour justifier l'intérêt crucial du dossier consacré dans ce numéro à l'insuffisance rénale au cours du diabète, problématique qui doit retenir l'attention permanente de tout clinicien engagé dans la prise en charge de cette affection métabolique chronique. Sébastien Rubin et ses collaborateurs bordelais reviennent dans un premier temps sur les spécificités des fréquentes présentations cliniques normoalbuminuriques, avant de discuter de l'intérêt pronostique des mesures d'autofluorescence cutanée, un sujet cher à l'équipe de Vincent Rigalleau. Au-delà du dépistage précoce des sujets à risque d'évoluer vers une insuffisance rénale sévère, la mise en œuvre de stratégies préventives efficaces reste indéniablement un enjeu majeur pour limiter le nombre de sujets relevant de mesures de suppléance. À ce titre, Louis Potier propose une mise au point actualisée sur le bénéfice rénal découlant de l'utilisation des nouvelles classes thérapeutiques, agonistes du récepteur du GLP-1 et surtout inhibiteurs de SGLT2. Enfin, indépendamment des interventions médicamenteuses, Samy Hadjadj rapporte les données de la littérature en faveur d'un effet néphroprotecteur de l'activité physique vis-à-vis de la progression de la néphropathie diabétique vers l'insuffisance rénale, arguments encore parcellaires mais suffisants pour justifier la mise en place d'une étude multicentrique nationale évaluant l'intérêt d'un programme structuré d'activité physique pour enrayer le déclin de la fonction rénale chez les sujets diabétiques de type 2.
Vous l'aurez compris, l'heure ne permet plus de se contenter de la seule mise en route d'un traitement néphroprotecteur classique par inhibiteur de l'enzyme de conversion ou sartan mais, à l'instar des concepts développés pour le risque cardiovasculaire, de combattre le risque résiduel de progression vers l'insuffisance rénale qui menace bon nombre de sujets diabétiques vieillissants.
Je suis persuadé que vous trouverez dans ce numéro des Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition des éléments de réflexion permettant d'optimiser vos attitudes cliniques au quotidien, au bénéfice de vos patients diabétiques !■