Une certitude en ce 11 septembre 2020, date anniversaire tragique : si deuxième vague Covid-19 il y aura – et cela est déjà le cas en Espagne, Californie, Inde, Portugal, en Paca aussi… –, il faudra faire et vivre avec le virus. Mais plus encore, faire avec les incertitudes que génère cette pandémie sans précédent. Que les experts et prétendus tels, les chercheurs, les soignants et les politiques acceptent de dire : “On ne sait pas” ! Une gageure à un moment où la production scientifique devient exponentielle sur le sujet (plus de 49 500 publications sur PubMed en 8 mois), quand la science est devenue une opinion, et tandis que la France compte pas moins de 65 millions de “covidologues”. Revue non exhaustive, subjective, et avec date de péremption, de nos doutes, de nos incertitudes, de nos angles morts.
On ne sait pas si la relative stabilité du virus, dont les mutations, modestes en nombre, sont surveillées de par le monde, est une garantie physiopathologique (transmissibilité et sévérité de la maladie sans changement) et plus encore un passeport pour la mise au point d'un vaccin [1]. Sur ce point, on ne sait pas trop faire le tri entre les déclarations d'intention, les prises de parole politique (cf. V. Poutine) ou les simulations de start-up, et les données tangibles des essais cliniques. En tout état de cause, ceux qui se souviennent des bases de l'épistémologie auront la confirmation que la connaissance scientifique n'est pas un processus linéaire, mais procède par retours en arrière, par soubresauts, à l'instar des données de phase I-II russes plutôt favorables [2]. Ou l'annonce de l'arrêt d'un essai de phase III, avec le modèle d'adénovirus du chimpanzé exprimant la molécule spike (ChAdOx1 nCoV-19), par AstraZeneca, mardi 8 septembre, après que l'un de ses volontaires a contracté une myélite transverse [3].
On ne sait toujours pas, malgré les déclarations du Premier ministre le 11 septembre [4] – lui-même en tant que cas contact en attente de test, qu'on imagine rapide – quelle est la politique de la France en matière de dépistage du Covid-19. Quelle sensibilité/spécificité des tests PCR ou antigènes ? Quelle population à dépister en priorité ? Quelle fréquence ? Quelle organisation territoriale ? Quelle disponibilité des réactifs ? Etc. On ne sait pas si la salive est notre planche de salut. On a tendance à considérer que la charge virale et peut-être la durée de détection du génome viral sont plus importantes dans le nez (PCR), mais que la salive montrerait moins de variabilité et moins de sensibilité chez les asymptomatiques [5]. Reste que le prélèvement – l'auteur de ces lignes l'a testé 2 fois – est désagréable, peu reproductible, compliqué chez l'enfant, et justifie que l'on tente d'exploiter la salive. En tout cas, la HAS a libéré le 18 septembre les tests salivaires pour les personnes symptomatiques (https://www.has-sante.fr/jcms/p_3202317/fr/covid-19-les-tests-salivaires-peuvent-completer-les-tests-nasopharynges-chez-les-personnes-symptomatiques). Ces prélèvements salivaires permettraient de faire des autoprélèvements et donc de limiter l'exposition des préleveurs. On peut aussi détecter les antigènes (sans doute) ou le génome viral (projet Covisal en Guyane) dans la salive, mais les performances sont en cours d'évaluation. Donc on ne sait pas quelle est la valeur de ces tests indépendamment des communiqués de presse des laboratoires sur les rangs. On ne sait pas non plus si les tests sanguins, au-delà de la recherche d'anticorps, pourraient être d'un quelconque intérêt. Une étude de Harvard, encore en preprint (https://www.medrxiv.org/), a attiré l'attention sur le relargage de protéines virales dans le sang malgré des virémies exceptionnelles, car proches de 1 % [6].
Durée de la réponse immune ? On ne sait pas quelle est la durabilité de la réponse immune. Les anticorps ciblant le Covid-19 apparaissent dans le sang au bout de quelques jours (entre 4 et 15 jours). Chez la grande majorité des patients, leur taux chute au bout de quelques mois, suggère une étude prépubliée le 11 juillet sur le site de PrePrint, encore, MedRxiv [7]. Une autre étude, parue le 21 juillet dans le New England Journal of Medicine [8], conforte la notion de décroissance rapide de ces anticorps : chez 34 patients infectés ayant développé, pour la plupart, une forme modérée de Covid-19, la moitié des anticorps anti-SARS-CoV-2 (IgG) ont disparu après 36 jours. C'est en soi un facteur d'inquiétude.
On ne sait pas quel est le rôle réel des enfants dans la circulation du virus. Cela tombe mal puisque c'est la rentrée scolaire, mais c'est ainsi. Il faut faire avec cette incertitude-là aussi. Néanmoins, une publication des Centers for disease control and prevention (CDC) [9] a étudié les caractéristiques des enfants hospitalisés pour Covid-19 dans 14 États des États-Unis entre le 1er mars et le 25 juillet 2020. Le taux d'hospitalisation pour Covid-19 était de 8 pour 100 000 enfants versus 164 pour les adultes. Parmi 208 des 576 enfants pour lesquels les données étaient détaillées, 1 sur 3 a fait l'objet de soins intensifs. Un patient est décédé. Par ailleurs, 38 % des enfants hospitalisés avaient une obésité. On sait donc clairement quel est l'impact de la maladie sur les enfants [10]. Les données provenant de différents pays ont confirmé la moindre fréquence de l'infection chez l'enfant et sa moindre gravité. L'infection est le plus souvent bénigne et responsable de signes cliniques peu spécifiques (toux, fièvre, rhinite et parfois signes digestifs) qui compliqueront l'hiver. En avril, la question des Kawasaki-like s'est posée. Cette alerte a permis de mettre en place un recueil de ces observations par Santé publique France. Les cas des Kawasaki-like observés à l'hôpital Necker ont été publiés depuis [11]. Ce fut un feu circonscrit.
On ne sait pas quel est le niveau actuel de gravité de la maladie puisque, après quelques mois de pandémie, nous ne connaissons pas avec certitude le taux de létalité associé à cette infection, un taux de 0,6 % de décès parmi les sujets à PCR positive étant calculé par une étude islandaise récente [12] quand d'autres travaux évoquent des pourcentages de décès nettement plus élevés. Plus grave, sur les réseaux sociaux, notamment dans les pages consacrées à Didier Raoult, il est précisé qu'“en juin-juillet 2020, il y a 2 000 morts de moins qu'en 2019”. Ce qui justifierait d'affirmer qu'il n'y a pas eu de surmortalité liée au coronavirus cet été, et donc que l'épidémie serait “derrière nous”. Les chiffres avancés sont probables, mais la conclusion qui en découle est erronée, ne tenant compte ni de la dynamique des chiffres, ni de la mortalité indirecte. Ni non plus du retard de comptabilité. La comparaison d'une année avec les précédentes doit aussi s'interpréter au regard des événements caniculaires qui surviennent sur le territoire. Or, en 2019, la France avait connu 2 épisodes de canicule particulièrement précoces et intenses en juin et juillet.
On ne sait pas dans quel état va sortir l'infectiologie de cette crise sanitaire sans précédent : agitée, pervertie, falsifiée par les vents de fake news venus notamment de Marseille et de Garches, et relayés à outrance sur certaines chaînes d'information en continu, à la recherche du buzz, et les réseaux sociaux ? Il nous faudra comprendre comment on en est arrivé là, sous les insultes et les menaces, sans contrepoint, le plus souvent sans travail d'investigation journalistique. Il est pourtant facile en quelques clics de constater, par exemple, comment le directeur de l'institut hospitalo-universitaire Méditerranée infection fait la promotion de l'hydroxychloroquine dans toutes les maladies infectieuses depuis… 1999 [13] ! C'était dans la fièvre Q. Allant même jusqu'à en vanter l'activité anti-VIH et anti-VHC dans une revue autopromotionnelle en 2007 [14]... Cette histoire hors norme fait, en tout état de cause, beaucoup de mal à l'infectiologie, à la recherche clinique et à la crédibilité de l'information scientifique. Mais la situation actuelle de l'épidémie, notamment à Marseille, nous renvoie tous à l'humilité.
Enfin, et surtout peut-être, on ne sait pas la proportionnalité des mesures sanitaires que nous devons opposer à la pandémie au regard de la circulation actuelle du virus, et des incertitudes que nous venons d'évoquer quant aux conséquences économiques, culturelles et sociales de ces mesures. ■