“Nous sommes comme des nains assis sur des épaules de géants. Si nous voyons plus de choses et plus lointaines qu'eux, ce n'est pas à cause de la perspicacité de notre vue, ni de notre grandeur, c'est parce que nous sommes élevés par eux.” Cette phrase de Bernard de Chartres, philosophe français du XIIe siècle, pourrait être reprise par les 2 scientifiques récompensés en 2018 par le prix Nobel de physiologie ou médecine pour leurs recherches sur l'immunothérapie, l'Américain James P. Allison et le Japonais Tasuku Honjo.
“En stimulant la capacité de notre système immunitaire à attaquer les cellules cancéreuses, les lauréats du prix Nobel cette année ont établi un tout nouveau principe pour soigner le cancer”, a souligné l'Assemblée Nobel de l'institut Karolinska à Stockholm.
Toutefois, il convient de préciser qu'il ne s'agit pas tout à fait d'un nouveau principe mais plutôt d'un nouveau mécanisme de stimulation immunitaire. En effet, un article publié en 1893 dans The American Journal of the Medical Sciences par un chirurgien américain WB Coley (“The treatment of malignant tumors by repeated inoculations of erysipelas: with a report of ten original cases”) montrait l'efficacité d'une immunostimulation infectieuse, traitement né de l'observation d'une rémission spontanée d'un sarcome après qu'un patient a été infecté par des bactéries provoquant l'érysipèle. Le traitement par la vaccineurine ou “toxine de Coley” était né, mélange injectable de bactéries Streptococcus pyogenes et de Serratia marcescens et autorisé par la “Food and Drug Administration” de l'époque ! Ce traitement était parfois efficace (rémission d'un sarcome de 8 ans), mais aussi à l'origine d'une surmortalité infectieuse. Cette mortalité a conduit à l'arrêt de cette pratique, ainsi qu'à la mise au ban de la société médicale du Dr Coley. Ce dernier avait pourtant pressenti l'efficacité du système immunitaire à juguler la prolifération des cellules cancéreuses. Depuis, d'autres traitements ont été tentés avec plus de succès : le bacille de Calmette-Guérin (BCG) en traitement local, les interférons (IFN), mais sans l'efficacité démontrée par l'immunothérapie moderne.
La découverte des immune checkpoints inhibitors a changé le paradigme. La stimulation simple du système immunitaire n'était pas suffisante, il fallait des molécules qui agissent par une inhibition des points de freinage des lymphocytes T que sont CTLA-4 (Cytotoxic T-Lymphocyte Antigen-4) et PD-1 (Programmed cell Death 1). James P. Allison, chercheur à l'université du Texas, a décrit le récepteur CTLA-4, et il existe maintenant un anticorps qui le bloque, l'ipilimumab, qui active donc la réponse immunitaire. Tasuku Honjo, chercheur à l'université de Kyoto, a quant à lui décrit le récepteur PD-1, et il existe maintenant un anticorps, le nivolumab, qui active lui aussi la réponse immunitaire. Ces molécules ont changé le panorama des traitements anticancéreux.
Il existe toutefois des effets indésirables à type de maladie auto-immune, dont des pathologies endocriniennes… Cependant, au vu de l'efficacité sur le cancer et en comparaison des effets indésirables induits par certaines chimiothérapies, on peut penser que la célèbre phrase d'Hippocrate “Primum non nocere, deinde curare” (“D'abord ne pas nuire ensuite soigner”) pourra peut-être se transformer en “Primum curare, deinde non nocere.”