Éditorial

Quand la perturbation endocrinienne revisite les mythes anciens


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On connaît bien l’explication de certaines maladies mythiques telles que le “mal des ardents”, le “feu de Saint-Antoine” ou la “peste de feu” qui ont sévi avec l’extension de la culture du seigle en Europe, se manifestant par une forme gangréneuse : “Les malheureux avaient l’impression que leurs membres brûlaient, leurs chairs tombaient en lambeaux et leurs os cassaient”, ou une forme convulsive s’accompagnant d’hallucinations. L’ergot, micromycète parasite des épis, nommé d’après la forme d’éperon qu’il forme sur la céréale, a été identifié comme responsable de “­l’empoisonnement” du pain (Académie royale des sciences, 1676). L’ergotisme, première mycotoxicose identifiée, est encore d’actualité avec des foyers décrits dans certaines conditions climatiques, mais son origine est désormais surtout iatrogène. En 1918, le chimiste suisse Arthur Stoll réussit à isoler les alcaloïdes de ­l’ergot, dont l’ergotamine, dont le premier usage thérapeutique consista à maîtriser les hémorragies de la délivrance. D’autres molécules furent ensuite synthétisées, dont le LSD et la bromocriptine, bien connue de notre ­communauté. Les effets des mycotoxines, aigus et ­chroniques, préoccupants pour l’alimentation animale mais aussi humaine, ont été démontrés [1]. Le caractère de perturbateur endocrinien a été identifié pour certaines d’entre elles et pourrait être à l’origine de la métamorphose d’Hermaphrodite décrite par Ovide [2].

Hermaphrodite, fils d’Aphrodite et d’Hermès, était un jeune homme d’une beauté extraordinaire. Désireux d’explorer le monde, il atteint Halicarnasse (aujourd’hui Bodrum en Turquie). Il y rencontra la nymphe Salmacis (du grec : “se baignant dans sa source”). Hermaphrodite se déshabilla et entra dans les eaux de la nymphe. Salmacis, voyant le jeune homme nager nu dans sa source, se jeta dans les eaux. Elle s’enroula autour de lui, l’embrassa de force et cria aux dieux de ne jamais les séparer. Son souhait fut exaucé : leurs corps se fondirent en un seul, formant une créature des deux sexes. Lorsqu’il vit que les eaux claires dans lesquelles il avait pénétré en tant qu’homme avaient fait de lui une créature des deux sexes et que ses traits y avaient été ­adoucis, Hermaphrodite étendit les mains en prière et dit, mais pas d’une voix d’homme : “Père et mère, ­accordez ce présent à votre fils, qui porte vos deux noms : que celui qui vient à ces fontaines en homme, en sorte à moitié homme, et s’affaiblisse au contact de ces eaux.”

Les eaux de Salmacis n’étaient pas un bassin mytho­logique imaginaire, mais bien un plan d’eau réel, topographiquement identifié à l’époque d’Ovide, avec une source dans les murs d’Halicarnasse. Ovide lui-même l’a vu lors d’un voyage et l’a décrit comme un lac aux eaux cristallines. Le mythe n’était pas une invention poétique d’Ovide, il a également été décrit par le géographe et philosophe grec Strabon : “[…] l’eau a, pour quelle ­raison, je ne sais pas, la réputation de rendre efféminés tous ceux qui en boivent”. L’architecte romain Vitruve, qui a vécu à peu près à la même époque, décrit les eaux de la source comme étant claires et doute : “Il ne se peut pas que l’eau rende les hommes efféminés.” L’identification de certains composés naturels estro­géniques pouvant contaminer l’eau, dont la zéaralénone, la plus puissante des mycotoxines estrogéniques, constitue une explication tout à fait plausible [3].

Vous découvrirez dans ce numéro un chapitre sur ces perturbateurs de l’environnement naturel et des exemples de perturbation endocrinienne des produits chimiques modernes “à tous les étages”.■

Références

1. Santé publique France. Imprégnation de la population française par les mycotoxines. Programme national de biosurveillance, Esteban 2014-2016. https://www.santepubliquefrance.fr

2. Ovide. Les Métamorphoses. Livre IV : 346-88. https://ovid.lib.virginia.edu/trans/Metamorph4.htm#478205198

3. Vasileiou V et al. Endocrine disruptors in ancient times and Greek mythology: the spring of Salmacis and the curse of Hermaphroditus. Hormones (Athens) 2022;21(4):729-34.


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R. Desailloud déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet éditorial.

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