Il existe un continuum entre la gammapathie monoclonale de signification indéterminée (monoclonal gammopathy of undetermined significance, MGUS), le myélome multiple asymptomatique (smoldering multiple myeloma, SMM) et le myélome multiple (MM). L'existence de ces stades cliniques bien définis en fait un modèle d'évolution clonale, que l'on définit comme les variations de l'hétérogénéité clonale au cours du temps. La connaissance des anomalies génomiques du MM offre un rationnel à l'étude de leur évolution au cours du temps et des traitements successifs, afin d'établir un suivi moléculaire précis de la maladie.
Hétérogénéité interclonale : plusieurs types de MM
Sur le plan génomique, on distingue les anomalies dites “primaires”, qui sont déjà présentes aux stades précurseurs (translocations impliquant le locus IGH, hyperdiploïdie et délétion 13q) et les anomalies dites “secondaires” qui surviennent lors de la progression de la maladie (translocations impliquant MYC, mutations des voies des MAPK, de NF-ĸB et de la réparation de l'ADN ainsi que de nombreuses anomalies du nombre de copies, telles que le gain 1q et les délétions 1p et 17p) [1-3]. Il faut tout de suite noter qu'il existe 2 grands types d'oncogenèse du MM : celui lié à une hyperdiploïdie et celui lié à une translocation des gènes des immunoglobulines. En effet, l'étude de la cooccurrence d'événements génomiques permet de définir des combinaisons de mutations fréquemment associées au diagnostic ou à la rechute, et donc possiblement interdépendantes et synergiques. Par exemple, les translocations impliquant le locus IGH et l'hyperdiploïdie sont mutuellement exclusives dans la grande majorité des cas [4-6]. L'hyperdiploïdie est fortement corrélée aux mutations de NRAS et aux translocations impliquant MYC. La t(11;14) est associée aux mutations des gènes KRAS, IRF4 et CCND1. La t(4;14) est associée aux mutations des gènes FGFR3, DIS3 et PRKD2 et aux anomalies du nombre de copies del(12p), del(13q) et gain de 1q4. La validation fonctionnelle de ces données et la compréhension des mécanismes moléculaires sous-jacents à leur cooccurrence permettent de définir de nouvelles cibles thérapeutiques potentielles.
Cette hétérogénéité interclonale est aussi observée à l'échelle transcriptomique. Un article princeps sur le MM publié en 2006 par l'équipe de Little Rock (Arkansas) [7] a permis de classer les sous-groupes moléculaires de MM. Ce travail a consisté à réaliser un gene expression profiling (ancêtre de l'ARNseq) de 414 échantillons de plasmocytes de patients au moment du diagnostic de MM et de définir des signatures transcriptionnelles dominantes pour chaque cas. Sept groupes moléculaires ont ainsi été identifiés (figure) :
- 4 groupes définis par une activation de MAF/MAFB, CCND1/CCND3, MMSET ou une hyperdiploïdie, correspondant à une anomalie génomique bien connue ;
- 2 groupes caractérisés par une expression des marqueurs lymphocytaires B CD20 et PAX5 ;
- 1 dernier groupe caractérisé par une signature de prolifération.
Il est intéressant de noter que ces signatures transcriptionnelles reflètent principalement des anomalies génomiques chromosomiques (translocations et anomalies du nombre de copies), par opposition aux mutations somatiques ponctuelles, qui interviennent sans doute plus tardivement dans l'oncogenèse du MM.
Hétérogénéité intraclonale et son évolution dans le temps
L'évolution clonale représente les variations de l'hétérogénéité clonale au cours du temps. En effet, la capacité des cellules tumorales à s'adapter au microenvironnement, à la compétition clonale ainsi qu'aux traitements est guidée par la coexistence de multiples sous-clones, génétiquement hétérogènes, au sein d'une même tumeur. De façon darwinienne, le sous-clone le plus adapté à une pression de sélection évoluera plus que les autres (figure)[3].
Les résultats du séquençage exomique complet (whole-exome sequencing, WES) de 203 patients atteints de MM ont permis d'estimer que, en moyenne, une tumeur myélomateuse est composée de 5 sous-clones [8]. Ce chiffre est toutefois probablement fortement sous-estimé, puisqu'il dépend de la profondeur du séquençage. Dans cette série, les gènes de la voie MAPK, à savoir KRAS, NRAS et BRAF, étaient mutés de façon clonale chez environ 70 % des patients et de façon sous-clonale chez les 30 % restants. En général, les gènes mutés de façon récurrente dans le MM (KRAS, NRAS, TP53, DIS3, FAM46C, BRAF, TRAF3, PRDM1, CYLD, RB1, ACTG1, LTB, IRF4, MAX, HISTH1E et SP140) étaient plus souvent sous-clonaux chez les patients nouvellement diagnostiqués et clonaux chez les patients précédemment traités, ce qui suggère une sélection des mutations récurrentes liée au traitement [8].
Bien que la MGUS et le SMM soient génétiquement moins complexes que le MM, l'hétérogénéité clonale est déjà présente à ces stades. Une étude portant sur le séquençage de 3 paires d'échantillons aux stades de SMM ayant ensuite progressé en MM a révélé que les sous-clones prédominants au moment de la progression étaient déjà présents au stade précurseur [9]. De plus, il a récemment été montré que la présence de mutations des MAPK ou une altération de MYC représente un risque de progression chez les patients au moment du diagnostic de SMM [10]. Ces anomalies secondaires, associées aux événements génomiques primaires, permettent donc une progression tumorale et l'évolution de la maladie en MM.
L'évolution clonale est particulièrement marquée au cours des traitements, car ces derniers induisent une forte pression de sélection. Dans le MM, cette évolution clonale avant et après traitement peut suivre plusieurs schémas : une évolution clonale linéaire, une évolution en ramification ou une absence d'évolution clonale. Dans ce dernier cas (qui représente environ 35 % des MM), on retrouve la même composition de l'hétérogénéité clonale avant et après traitement. Cela suggère que tous les sous-clones sont affectés par le traitement de façon similaire et repeuplent la tumeur de manière équivalente. Dans le cas de l'évolution clonale linéaire (40 % des cas), il n'y a pas de modification de répartition des sous-clones, mais de nouvelles mutations sont acquises en leur sein. L'évolution clonale par ramification (25 % des cas) signifie qu'un ou plusieurs sous-clones émergent alors que d'autres diminuent en proportion au moment de la rechute (figure)[11].
La compréhension de l'évolution clonale permet d'identifier les mécanismes de la progression des stades précoces aux stades avancés, les mécanismes de la résistance aux traitements et de définir de nouveaux biomarqueurs et cibles thérapeutiques.
Hétérogénéité spatiale dans le MM
Le MM est une maladie disséminée à l'ensemble de la moelle osseuse, par définition. Il arrive aussi que son évolution soit marquée par la présence de plasmocytomes osseux ou extramédullaires. Une des limites de l'évaluation génomique du MM est que celle-ci est réalisée à partir d'un site unique de ponction médullaire, qui n'est pas forcément représentatif de clones distants (figure). Une étude de l'hétérogénéité clonale a été réalisée à partir de biopsies multiples de 51 patients ayant un MM [12]. Une hétérogénéité spatiale a été observée dans 75 % des cas, avec l'émergence d'une mutation dite driver en un site donné de la moelle osseuse (dont une inactivation de CDKN2C ou de TP53). Ceci complique encore un peu plus notre vision de l'hétérogénéité clonale et de son évolution au cours du temps. Non seulement certains événements secondaires surviennent dans un contexte génomique d'événement primaire défini, mais ceci peut être localisé à certains sites de la moelle osseuse, ce qui permet une progression focale de la maladie. Cette hétérogénéité spatiale explique aussi sans doute les phénomènes de réponse dissociée que l'on observe parfois en pratique clinique.
L'ADN circulant, un outil pour le suivi de l'évolution clonale ?
L'ADN circulant (ADNcirc) est constitué de petits fragments d'ADN (environ 146 paires de bases) relargués dans la circulation sanguine par tout type cellulaire, notamment des cellules inflammatoires, apoptotiques ou nécrotiques, y compris les cellules tumorales. L'ADN tumoral ne représente donc qu'une fraction de l'ADNcirc. Par ailleurs, il est nécessaire que l'ADNcirc soit isolé de façon appropriée pour éviter la contamination des échantillons par de l'ADN génomique des cellules mononucléées du sang, qui pourrait faire varier la fraction tumorale de manière artificielle. Une étude par séquençage génomique complet de faible profondeur a permis de déterminer que, pour plus de 80 % des échantillons de patients atteints de MM au diagnostic ou à la rechute, la fraction tumorale au sein de l'ADNcirc était supérieure à 3 % [13]. Les techniques de séquençage de l'ADNcirc nécessitent donc d'obtenir une profondeur suffisante.
Il a été montré, par séquençage ciblé [14] et par séquençage génomique complet [13], que l'ADNcirc est bien représentatif du profil mutationnel des plasmocytes médullaires. Les mutations récurrentes dans le MM ont été retrouvées dans les 2 compartiments de façon presque systématique dans 2 séries indépendantes [13, 14]. Dans certains cas, des clones n'étaient détectables qu'au niveau de l'ADNcirc et pas au niveau des plasmocytes médullaires. Cela suggère l'existence d'une hétérogénéité spatiale des clones et la pertinence de cette approche afin d'avoir une vision d'ensemble des anomalies génomiques à un instant donné. Il est aussi important de pouvoir évaluer l'évolution clonale de ces tumeurs au cours du temps, puisque certains clones peuvent régresser et d'autres persister au cours d'un traitement, nécessitant de déterminer le caractère clonal ou sous-clonal d'une mutation donnée, et donc la fraction tumorale au sein de l'ADNcirc. D'autre part, cette approche nécessite des technologies permettant d'obtenir des profondeurs de séquençage importantes afin de pouvoir évaluer de faibles fractions alléliques. Pour ce faire, l'emploi de codes-barres moléculaires (unique molecular identifiers, UMI) permettant d'identifier chaque brin d'ADN avant amplification est l'une des approches en cours d'évaluation.
Conclusion
Le myélome est historiquement dénommé multiple parce que les patients étaient diagnostiqués avec de nombreuses lésions osseuses. Ce terme est resté avec le temps, mais pourrait dorénavant s'appliquer au caractère moléculairement hétérogène de cette maladie. Notre compréhension de la physiopathologie du MM permet aujourd'hui de définir plusieurs sous-groupes ayant des caractéristiques moléculaires bien distinctes. L'avènement des thérapies ciblées et de l'immunothérapie dans le MM permet d'envisager une médecine de précision où la décision thérapeutique et le suivi des traitements seront personnalisés pour chaque patient, en fonction des caractéristiques moléculaires de la tumeur et de la réponse thérapeutique au caractère multiple du myélome. Des outils suffisamment sensibles, spécifiques et utilisables à grande échelle doivent donc être développés. Ils permettront une meilleure évaluation de l'hétérogénéité clonale du MM. Leur applicabilité nécessitera d'être évaluée dans le cadre d'essais cliniques.■