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CAR-T cells : une relation dose-réponse qui reste à explorer


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  • Les CAR-T cells sont un médicament vivant, capable de proliférer dans l’organisme.
  • La relation entre dose et exposition est extrêmement variable.
  • L’exposition aux CAR-T cells est corrélée à la réponse clinique.
  • Pour comprendre la relation entre dose et exposition, des défis techniques sont à relever pour quantifier les CAR-T cells dans le sang et dans les tissus d’intérêt.

Les CAR-T cells présentent la particularité d’être un médicament vivant, capable de proliférer, ce qui leur confère des propriétés pharmaco­cinétiques inhabituelles. Par ailleurs, chaque patient reçoit des CAR-T cells uniques, différentes de celles que reçoivent les autres patients puisque, à ce jour, les 6 produits à base de CAR-T cells ayant reçu l’auto­risation de mise sur le marché sont obtenus à partir de cellules T autologues. Si les CAR-T cells constituent une révolution dans le traitement des cancers du sang, le taux de rechute important, de l’ordre de 50 %, ainsi que l’apparition d’effets indésirables potentiellement graves, comme le syndrome de relargage des cytokines (CRS) ou la neurotoxicité, suggèrent que les propriétés des CAR-T cells, mais également la dose et les modalités d’administration, pourraient être optimisées et individualisées. Pour atteindre cet objectif, comprendre les relations entre dose, exposition et effet est indispensable. Néanmoins, l’exploration de la pharmaco­cinétique (PK) des CAR-T cells est un domaine émergent, avec une centaine d’articles sur le sujet publiés à ce jour, les premiers datant de 2016. La relation dose-exposition-effet et les facteurs susceptibles de l’influencer, liés aux propriétés des CAR-T cells et aux caractéristiques du patient qui les reçoit, sont à ce jour mal compris. Les recherches actuelles visent principalement à développer des méthodes de quantification des CAR-T cells, à mieux évaluer leur PK sanguine et leur bio­­distribution, et à mettre au point de nouvelles stratégies pour réduire les contraintes liées à leur préparation et améliorer leurs propriétés pharmaco­cinétiques et pharmaco­dynamiques.

Pharmacocinétique des CAR-T cells

La capacité des CAR-T cells à se multiplier dans l’organisme, l’impact de leurs propriétés intrinsèques, spécifiques à chaque donneur, et de leur interaction avec le système immunitaire du receveur représentent un défi en termes d’analyse et d’interprétation des données pharmacocinétiques, ainsi qu’en termes d’extrapolation de l’animal vers l’homme.

Quantification

L’évaluation des propriétés pharmacocinétiques des CAR-T cells implique de disposer de méthodes de quantification appropriées, dans le sang et dans les tissus. Les CAR-T cells constituent un système complexe, ce qui pose la question de l’entité qui doit être quantifiée.

Deux méthodes sont actuellement utilisées pour mesurer les concentrations de CAR-T cells dans le sang des patients. L’amplification en chaîne par polymérase quantitative (qPCR) permet de quantifier le nombre de copies du transgène codant pour le CAR (récepteur antigénique chimérique). Cette méthode est sensible, mais n’informe pas sur l’expression protéique du CAR ni sur sa fonctionnalité, et semble donc peu appropriée dans l’objectif d’établir une relation exposition-effet. La cytométrie en flux permet de quantifier spécifiquement les cellules T qui expriment le CAR et de distinguer à quelle sous-population elles appartiennent (CD4+, CD8+, phénotype mémoire). Cependant, cette méthode est peu sensible. De plus, sa mise en œuvre est peu standardisée et se heurte à un manque de réactifs permettant la détection de CAR.

Lorsque les concentrations sont élevées, les résultats obtenus par ces 2 méthodes sont bien corrélés, mais ils divergent lorsque les concentrations diminuent, particulièrement au-dessous d’un seuil de 0,5 % pour la proportion de CAR-T cells anti-CD19 parmi les lymphocytes totaux [1].

Ces 2 méthodes ne sont applicables qu’à des échantillons liquides et sont donc incompatibles avec l’étude de la biodistribution. Seule l’imagerie permet d’évaluer l’exposition des tissus solides de l’organisme. Les CAR-T cells doivent être préalablement marquées, généralement avec des isotopes radioactifs. L’imagerie est peu spécifique et peu sensible, la sensibilité diminuant au cours du temps avec la dilution et la perte du marquage liées, respectivement, à la prolifération et à la mort des CAR-T cells. De nouvelles stratégies ont été évaluées dans des modèles animaux. Ainsi, la biodistribution de CAR-T cells anti-CD19 exprimant la streptavidine a pu être étudiée par tomographie par émission de positons (TEP) après administration de biotine radiomarquée au gallium 68 dans un modèle de tumeur solide [2]. Le marquage de CAR-T cells à la luciférase a également permis d’évaluer leur biodistribution par bio­­luminescence dans un modèle murin [3].

Propriétés pharmacocinétiques

Les CAR-T cells sont administrées directement dans la circulation sanguine générale. Quatre phases pharmaco­cinétiques vont ensuite théoriquement se succéder, même si certaines ne sont pas observées chez tous les patients. Les grandes étapes de la PK des CAR-T cells sont présentées de manière schématique dans la figure (voir sur le PDF). Comme pour les médicaments ­conventionnels, la première phase consiste en une distribution rapide des CAR-T cells dans les tissus de l’organisme, qui se traduit par une diminution rapide et brève de leur concentration sanguine.

Les phases suivantes sont, en revanche, spécifiques aux CAR-T cells. La distribution des CAR-T cells s’accompagne d’une liaison du CAR à son ligand présent à la surface de certaines cellules de l’organisme, principalement les cellules tumorales, qui conduit à l’activation des CAR-T cells. Les cellules activées vont proliférer, donnant lieu à une phase d’expansion, jusqu’à atteindre, en 2 semaines environ, une concentration maximale (Cmax), qui peut être supérieure de plusieurs ordres de grandeur à la concentration initiale. L’activation des CAR-T cells finit par entraîner leur mort, conduisant à une phase de contraction de la population cellulaire. Enfin, une partie des CAR-T cells, ayant acquis un phénotype mémoire, peut persister à très long terme (parfois des années) dans la circulation sanguine : c’est la phase de persistance.

Pour les CAR-T cells allogéniques, un mécanisme supplémentaire d’élimination par les cellules T de l’hôte peut accélérer la décroissance des concentrations des CAR-T cells et limiter leur persistance [4].

Les métriques communément utilisées pour décrire la PK des CAR-T cells sont la Cmax et l’aire sous la courbe entre 0 et 28 jours. Des modèles semi-­mécanistiques permettent d’obtenir des paramètres spécifiques aux différentes phases [4, 5].

Biodistribution

En raison de la difficulté liée à la quantification des CAR-T cells dans les tissus chez l’homme, les études de biodistribution sont menées principalement chez l’animal, par des techniques d’imagerie. L’essentiel de ces études visait à explorer l’infiltration tumorale des CAR-T cells dans des tumeurs solides afin de guider le développement futur de la technologie des CAR-T cells dans ce type d’indication.

Il a ainsi été observé que les CAR-T cells restaient principalement à la périphérie de la tumeur solide et autour des vaisseaux [2]. Une étude à différentes doses a permis de montrer que l’exposition des organes principaux (sang, os, cerveau, foie, poumons, rate) et de la tumeur solide était proportionnelle à la dose de CAR-T cells administrée [6]. Il est apparu que les CAR-T cells étaient dans un premier temps retenues dans le poumon pendant 3 à 5 h, avant de transiter par le foie et la rate pendant 2 à 3 jours.

Variabilité pharmacocinétique

Plusieurs études ont mis en évidence des sources de variabilité pharmacocinétique. Les patients présentant plus de 3 lignes de traitement antérieures à l’administration des CAR-T cells et une implication des organes extra­ganglionnaires avaient une Cmax plus faible [7]. Le préconditionnement lympho­déplétif permettait d’améliorer l’exposition, par le biais d’une augmentation de l’expansion, également conditionnée par l’utilisation d’alemtuzumab, et accrue en présence de niveaux élevés d’interleukine-7 [4]. Cette étude a également mis en évidence le rôle du phénotype mémoire sur l’expansion et la persistance.

Une perte d’expression de l’antigène peut également limiter la persistance des CAR-T cells. Dans les tumeurs solides, l’expression de l’antigène conditionne la profondeur de l’infiltration des CAR-T cells. La capacité initiale intrinsèque de prolifération des CAR-T cells joue certainement un rôle dans la phase d’expansion.

Relation dose-effet des CAR-T cells

La dose de CAR-T cells est définie en nombre de cellules. Ainsi, une même dose peut représenter des activités et des capacités prolifératives très différentes, entraînant une grande variabilité des phases d’expansion, de contraction et de persistance. De plus, ces phases sont grandement dépendantes du statut du patient receveur en termes de masse anti­génique et de ­système immunitaire. Ces différents facteurs masquent la relation dose-exposition et les doses recommandées reposent sur le rapport bénéfice/risque évalué au cours des essais cliniques.

En revanche, la relation exposition-effet a été clairement établie. En effet, une expansion précoce des CAR-T cells a été associée à une réponse prolongée à 60 mois [8]. Une prolifération et une survie limitées des CAR-T cells in vivo ont été identifiées comme des causes essentielles d’échec thérapeutique [9]. Avec des CAR-T cells anti-CD19 et anti-CD22 [7], la persistance à long terme des CAR-T cells était corrélée à l’efficacité et les patients répondeurs avaient une Cmax et une aire sous la courbe plus élevées que les non-répondeurs. De plus, la pharmacodynamie des CAR-T cells évolue au cours du temps, avec une perte d’activité qui peut s’ajouter à la diminution du nombre de cellules [5].

La relation entre exposition et toxicité a également été observée avec les CAR-T cells anti-CD19 et anti-CD22 [5]. La charge tumorale et la Cmax étaient associées à la sévérité du CRS.

Stratégies pour optimiser la pharmacocinétique

Le niveau d’exposition étant corrélé à l’efficacité, de nombreuses stratégies visant à augmenter l’expansion des CAR-T cells, leur persistance, leur capacité de ciblage des cellules tumorales ou leur infiltration dans les tumeurs solides sont en cours de développement.

L’association d’interleukine-15 augmentait la capacité de prolifération de CAR-T cells anti-CD19 in vitro, ­particulièrement en présence de faibles niveaux d’anti­gène, et les niveaux de CAR-T cells dans le sang et la moelle chez la souris immuno­déprimée [9]. Cette association est actuellement évaluée dans le cadre d’un essai clinique. L’association au traitement par CAR-T cells d’une thérapie de maintenance précoce avec du lénalidomide ou du pomalidomide a permis chez certains patients une réexpansion des CAR-T cells [10].

Pour contourner la faiblesse et l’hétérogénéité de l’expression de l’antigène cible au sein des tumeurs solides, une approche basée sur l’administration d’un antigène exogène universel par le biais de nano­particules fusogéniques puis de CAR-T cells ciblant cet antigène (TRUE CAR-T) a permis de réduire la prolifération tumorale dans différents modèles in vivo [11].

La coexpression de CCR2b, récepteur du CCL2 ­(chemokine ligand 2), dans des CAR-T cells anti-B7-H3 a favorisé le franchissement de la barrière hémato­encéphalique et accru l’efficacité sur les lésions cérébrales tumorales chez la souris [12]. Selon le même principe reposant sur le pouvoir attracteur des chimiokines, la coexpression de CCR7 (CC-chemokine receptor 7) dans des cellules CAR-NK (natural killer) anti-CD19 a favorisé la migration vers les cellules humaines de lymphome exprimant CCL19 chez la souris [13].

Conclusion

Comprendre la relation dose-exposition des CAR-T cells présente de nombreux défis, qu’il faudra relever afin de proposer des stratégies thérapeutiques optimales à l’échelle de la population, mais également à celle de l’individu, en termes d’ingénierie des CAR-T cells, de dose, d’associations médicamenteuses. Les avancées des méthodes de quantification ainsi que le ­développement des modèles semi-­mécanistiques et basés sur la physiologie permettront de mieux caractériser les mécanismes impliqués dans les différentes phases pharmaco­cinétiques, la biodistribution des CAR-T cells, et les sources de variabilité qui leur sont associées, et ainsi de prédire leur comportement dans l’organisme et d’optimiser leur fabrication et leur protocole d’administration. Cette étape incontournable permettra d’améliorer les performances des CAR-T cells, leur rapport bénéfice/risque, et d’appliquer cette nouvelle technologie à d’autres pathologies, comme les tumeurs solides. ■

Références

1. Cheng J et al. Monitoring anti-CD19 chimeric antigen receptor T cell population by flow cytometry and its consistency with digital droplet polymerase chain reaction. Cytometry A 2023;103(1):16-26.

2. Pan D et al. Feasibility of in vivo CAR T cells tracking using streptavidin-biotin-paired positron emission tomography. Eur J Nucl Med Mol Imaging 2022;49(13):4419-26.

3. Pfeifer R et al. A multimodal imaging workflow for monitoring CAR T cell therapy against solid tumor from whole-body to single-cell level. Theranostics 2022;12(11):4834-50.

4. Derippe T et al. Mechanistic modeling of the interplay between host immune system, IL-7 and UCART19 allogeneic CAR-T cells in adult B-cell acute lymphoblastic leukemia. Cancer Res Commun 2022;2(11):1532-44.

5. Qi T et al. Cellular kinetics: A clinical and computational review of CAR-T cell pharmacology. Adv Drug Deliv Rev 2022;188:114421.

6. Sta Maria NS et al. Spatio-temporal biodistribution of 89Zr-oxine labeled huLym-1-A-BB3z-CAR T-cells by PET imaging in a preclinical tumor model. Sci Rep 2021;11(1):15077.

7. Zhang Y et al. A prospective investigation of bispecific CD19/22 CAR T cell therapy in patients with relapsed or refractory B cell non-hodgkin lymphoma. Front Oncol 2021;11:664421.

8. Neelapu SS et al. Five-year follow-up of ZUMA-1 supports the curative potential of axicabtagene ciloleucel in refractory large B-cell lymphoma. Blood 2023;141(19):2307-15.

9. Hirayama AV et al. A novel polymer-conjugated human IL-15 improves efficacy of CD19-targeted CAR T-cell immunotherapy. Blood Adv 2023;7(11):2479-93.

10. Garfall AL et al. Anti-BCMA/CD19 CAR T cells with early immunomodulatory maintenance for multiple myeloma responding to initial or later-line therapy. Blood Cancer Discov 2023;4(2):118-33.

11. Sun Z et al. In situ antigen modification-based target-redirected universal chimeric antigen receptor T (TRUE CAR-T) cell therapy in solid tumors. J Hematol Oncol 2022;15(1):29.

12. Li H et al. Targeting brain lesions of non-small cell lung cancer by enhancing CCL2-­mediated CAR-T cell migration. Nat Commun 2022;13(1):2154.

13. Schomer NT et al. CCR7 expression in CD19 chimeric antigen receptor-engineered natural killer cells improves migration toward CCL19-expressing lymphoma cells and increases tumor control in mice with human lymphoma. Cytotherapy 2022;24(8):827-34.


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F. Gattacceca déclare être codirectrice d’une thèse avec l’entreprise Sanofi dans le cadre d’un dispositif CIFRE.

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