Confirmation de l'efficacité des cellules CAR T ciblant BCMA
Essai KarMMa : phase II évaluant le bb2121
L'étude KarMMa (Munshi NC et al., abstr. 8503) est un essai de phase II évaluant l'efficacité de l'idécabtagène vicleucel (ide-cel), ou bb2121, cellule CAR T ciblant le BCMA, chez des patients ayant reçu au moins 3 lignes de traitement antérieures, exposés à un immunomodulateur (IMiD), un inhibiteur du protéasome (IP) et un anti-CD38 et en rechute/réfractaires (R/R). 128 patients ont été inclus avec une médiane de 6 lignes de traitement antérieures ; 84 % des patients étaient triple-réfractaires. Il est à noter que 35 % des patients avaient un profil de haut risque cytogénétique − t(4;14), t(14;16) ou del(17p) − et que 39 % avaient une atteinte extramédullaire. Trois doses de cellules CAR T ont été étudiées lors de cette phase II : 150, 300 et 450 millions de cellules réinjectées. Le taux de réponse globale (RG) est de 73 %, avec 69 % pour la dose de 300 millions et 82 % pour la dose de 450 millions, 39 % des patients atteignant une réponse complète (RC) (figure 1). La survie sans progression (SSP) médiane est de 8,8 mois pour l'ensemble de la cohorte et de 12,1 mois pour la cohorte à 450 millions de cellules réinjectées (figure 2). La médiane de survie globale (SG) est de 19,4 mois pour la cohorte globale et non atteinte pour la cohorte à 450 millions de cellules réinjectées. Le profil de toxicité est marqué par la survenue d'un syndrome de relargage cytokinique (SRC) chez 84 % des patients, de grade 3 ou plus dans seulement 6 % des cas, survenant en médiane 1 jour après la réinjection des cellules.
La survenue d'une neurotoxicité est observée chez 18 % des patients, de grade 3 ou plus dans seulement 3 % des cas. Le reste des effets indésirables est majoritairement représenté par des cytopénies, dont 89 % de neutropénies de grade 3 ou 4 réversibles en 2 mois en médiane. Ces résultats confortent l'efficacité de cellules CAR T ciblant le BCMA dans le myélome multiple R/R, avec un profil de toxicité acceptable.
Élément de comparaison : les données de KarMMa-RW
L'étude de vie réelle KarMMa-RW (Jagannath S et al., abstr. 8525) s'est déroulée en parallèle de l'essai KarMMa, avec des critères d'inclusion similaires, à savoir des patients ayant reçu au moins 3 lignes de traitement antérieures, exposés à un IMiD, un IP et un anti-CD38 et en R/R. Dans cette situation, les patients ne recevaient pas de traitement protocolaire par la suite. 190 patients ont été inclus avec une médiane de 5 lignes de traitement antérieures, et 43 % des patients étaient triple-réfractaires. Les traitements reçus étaient majoritairement : KPd, KCd, EPd, Kd, DPd, DRd, Pd et PACE. 76 patients de l'étude KarMMa étaient appareillés pour comparaison. Dans KarMMa-RW, le taux de RG est de 32 %, dont 14 % de très bonne réponse partielle (TBRP) ou mieux, contre 76 et 57 % respectivement pour l'étude KarMMa. Les SSP sont de 3,5 mois et de 11,3 mois (figure 3), avec une SG passant de 14,7 mois à 18,2 mois, dans KarMMa-RW et KarMMa, respectivement. Cette étude de vie réelle révèle le défi important de la prise en charge des patients en R/R avancée, pour lesquels la plupart des options thérapeutiques ont été utilisées. L'intérêt des cellules CAR T est convaincant dans cette indication.
Mise à jour de l'essai CARTITUDE-1 évaluant le JNJ-4528
L'essai CARTITUDE-1 avait été présenté initialement au congrès de l'ASH 2019 ; il a fait l'objet d'une mise à jour au cours de l'ASCO® 2020 (Berdeja JG et al., abstr. 8505). Il s'agit d'une étude de phase Ib/II évaluant la sécurité d'emploi et l'efficacité de la cellule CAR T JNJ-4528 ciblant le BCMA. Ce CAR T est chimérique, possède 2 domaines de fixation au BCMA et le 4-1bb comme domaine de costimulation. La dose de cellules CAR T était fixe dans cette essai, à raison de 0,75 M/kg. De la même façon que pour KarMMa, les patients devaient avoir reçu au moins 3 lignes de traitement antérieures et avoir été exposés à un IMiD, un IP et un anti-CD38. 29 patients ont été inclus avec 5 lignes antérieures en médiane dont 86 % de triple-réfractaires et 28 % de penta-réfractaires. Un profil de haut risque cytogénétique était retrouvé chez 27 % des patients, et 10 % avaient une atteinte extramédullaire. Le taux de RG est de 100 % dans cette étude, avec 86 % des patients en RC. La médiane de SSP n'est pas atteinte avec un suivi médian de 11,5 mois, et le taux de SSP à 9 mois est de 86 % (figure 4). La survenue d'un SRC était observée dans 93 % des cas, avec seulement 7 % de grade 3 ou plus, et une neurotoxicité était observée dans 10 % des cas avec 3 % de grade 3 ou plus. De façon notable, la médiane de survenue du SRC était de 7 jours dans cette étude (comparativement à 1 jour pour l'étude KarMMa). L'ensemble des patients a développé une neutropénie de grade 3 ou 4, et 70 %, une thrombopénie de grade 3 ou 4, résolutives en quelques semaines. Ces résultats, encore immatures, sont impressionnants en matière de taux de réponse.
Essai EVOLVE : un CAR humanisé
La problématique actuelle des cellules CAR T dans le myélome multiple est la survenue de récidives systématiques de la maladie. Plusieurs mécanismes de résistance sont étudiés, dont l'apparition d'anticorps anti-CAR qui serait favorisée par l'emploi de scFv chimérique, comme c'est le cas pour le bb2121 (souris) ou le JNJ-4528 (lama). L'orvacabtagene autoleucel (orva-cel), cellule CAR T à l'étude dans l'essai EVOLVE, est un CAR humain pour sa partie immunoglobuline extracellulaire (scFv), ce qui diminue théoriquement son immunogénicité et donc le risque de développer des anticorps anti-CAR (figure 5). Il a aussi la particularité d'exprimer le CD28 et le 4-1bb comme domaines de costimulation. L'étude EVOLVE est un essai de phase I/II évaluant la sécurité d'emploi et l'efficacité de l'orva-cel. Les doses de 300, 450 et 600 millions de cellules réinjectées ont été rapportées à l'ASCO® 2020. Les mêmes critères d'inclusion que pour KarMMa3 et CARTITUDE-1 étaient effectifs pour EVOLVE, avec des patients ayant reçu au moins 3 lignes de traitement antérieures, exposés à un IMiD, un IP et un anti-CD38 et en R/R. 62 patients ont été inclus avec une médiane de 6 lignes antérieures, 94 et 48 % des patients étaient triple- et penta-réfractaires, respectivement. Par ailleurs, 41 % des patients avaient un profil de haut risque cytogénétique − t(4;14), t(14;16) ou del(17p) − et 23 % avaient une atteinte extramédullaire. Le taux de RG est de 92 %, dont 36 % de RC (figure 5). La médiane de SSP est de 9,3 mois pour la dose de 150 millions de cellules réinjectées, mais elle est non atteinte pour les doses de 450 et 600 millions de cellules réinjectées avec des suivis médians de 8,8 et 2,3 mois, respectivement. Les effets indésirables observés sont semblables à ceux des 2 essais précédents, avec un taux de SRC de 89 %, dont 3 % de grade ≥ 3, 13 % de neurotoxicités, dont 3 % de grade ≥ 3, et 90 % de neutropénies de grade ≥ 3 et 47 % de thrombopénies de grade ≥ 3. Il sera intéressant d'évaluer la persistance de ces CAR T humains avec des données de suivi plus longues.
AVIS D'EXPERT
Ces 3 essais − totalisant 219 patients − permettent d'établir le profil d'efficacité et de tolérance des cellules CAR T ciblant le BCMA dans le myélome en R/R chez des patients ayant reçu une médiane de 5 à 6 lignes de traitement antérieures et dont plus de 80 % sont triple-réfractaires (tableau I). Plusieurs éléments de comparaison sont notables. Le premier est le taux de réponse remarquable de l'essai CARTITUDE-1 : 100 % de RG et 86 % de RC (tableau II). En regard de cette donnée d'efficacité, on peut noter que la population à l'étude dans CARTITUDE-1 est peut-être un peu moins lourdement prétraitée que celle de KarMMa et EVOLVE, avec une médiane de 5 lignes antérieures versus 6 et 6, respectivement, et une proportion un peu moindre de patients à haut risque cytogénétique ou ayant des atteintes extramédullaires (tableau III). Est-ce suffisant pour expliquer la différence d'efficacité ? Sans doute pas entièrement. Doit-on aussi y voir l'effet d'une affinité plus importante du JNJ-4528 aux cellules tumorales du fait de ses 2 domaines de fixation au BCMA ? Possiblement. L'autre élément concerne une donnée de tolérance, à savoir le délai de survenue des SRC, qui est de 1 jour en médiane pour le bb2121 alors qu'il est de 7 jours pour le JNJ- 4528. Cet élément pratique sera important à considérer pour la prise en charge des patients recevant ces thérapies (tableau IV).
Données translationnelles annexes de KarMMa
Quelques données translationnelles sur l'essai KarMMa ont été rapportées à l'EHA 2020, concernant le niveau d'expression de BCMA au cours du traitement. La première information est que l'ensemble des 112 patients étudiés exprimaient BCMA sur les biopsies initiales, avant traitement. Parmi eux, 79 % avaient une expression de BCMA sur 100 % des cellules tumorales et seuls 3 patients avaient une expression de BCMA détectable sur moins de 50 % des cellules tumorales. Il y avait une tendance statistique (p = 0,065) à une corrélation entre la densité d'expression de BCMA et la réponse au traitement, les patients qui avaient une densité de BCMA plus importante ayant tendance à répondre mieux. L'autre élément notable est que, au moment de la rechute, les patients expriment toujours BCMA. Cela suggère que la perte de l'antigène n'est probablement pas un mécanisme de résistance prépondérant des thérapies ciblant BCMA dans le myélome. En effet, BCMA joue un rôle dans la prolifération tumorale et la survie des plasmocytes tumoraux, ce pourquoi son expression est nécessaire à la progression du myélome. Cela suggère aussi qu'il sera sans doute possible, à l'avenir, d'utiliser plusieurs thérapies ciblant BCMA de façon séquentielle chez un même patient. Avec le développement des anticorps bispécifiques et des anticorps conjugués en parallèle des cellules CAR T, cela représente une perspective intéressante.
Nouvelle étude de phase I pour un bispécifique ciblant BCMA, le teclistamab
Essai de phase I évaluant le teclistamab
Un nouvel anticorps bispécifique a été rapporté dans le myélome au congrès de l'ASCO® 2020 (Usmani SZ et al., abstr. 100). Le teclistamab est un DuoBody® ciblant BCMA et le CD3, humanisé. Cette étude de phase I first-in-human d'escalade de doses avait pour objectif de déterminer la dose maximale tolérée et la sécurité d'emploi du teclistamab. Son administration se fait par voie intraveineuse à raison de 1 à 3 injections la première semaine, puis de façon hebdomadaire par la suite. 78 patients en R/R après une médiane de 6 lignes de traitement antérieures ont été inclus. 62 % des patients ont développé un SRC, sans grade 3 ou plus jusqu'à la dose de 720 µg/kg. Il faut noter toutefois la survenue de 6 événements neurotoxiques, de grade 1 ou 2 pour 4 d'entre eux et de grade 3 et 4 pour 2 d'entre eux. Le taux de RG était de 67 % pour la dose de 270 µg/kg, dont 50 % de patients atteignant une TBRP ou mieux (figure 6). Les données d'efficacité n'étaient pas matures pour la dose de 720 µg/kg et la dose limitante toxique n'était pas atteinte. Ces données préliminaires sont intéressantes au vu des taux de réponse importants à une dose probablement encore sous-optimale.
AVIS D'EXPERT
Les données du teclistamab sont à mettre en perspective avec celles des 2 autres essais concernant des anticorps bispécifiques ciblant BCMA rapportés dans le myélome multiple. Il s'agit de l'AMG-420 et du CC-93269. L'AMG-420 est un fragment d'anticorps bispécifique associant 2 scFv ciblant CD3 et BCMA. Il s'agit donc d'une petite molécule dont le temps de demi-vie est très court et qui nécessite de ce fait une administration continue, raison pour laquelle son développement a été interrompu. Le taux de RG de l'AMG-420 était de 70 % à la dose de 420 µg/kg avec 50 % de RC et une durée de réponse de 9 mois (tableau V, voir sur le PDF). Le CC-93269 est une immunoglobuline complète humanisée ayant 2 domaines de fixation au BCMA et un domaine au CD3 (dits “2 + 1”). Le taux de RG à la dose de 10 mg est de 89 %, dont 44 % de RC. À cette dose cible de 10 mg par semaine, 100 % des patients développaient un SRC de grade 1 ou 2 dans la majorité des cas, ce qui incite à la réalisation d'un split de dose pour la première injection. Ces résultats sont certes préliminaires, mais les taux de réponse sont particulièrement intéressants pour des patients lourdement prétraités. Les anticorps bispécifiques ont en plus l'intérêt d'être facilement accessibles. Ils feront, à coup sûr, partie de l'arsenal thérapeutique du myélome dans les années à venir.
Des combinaisons avec le belantamab mafodotin : les essais DREAMM
Mise à jour des données de DREAMM-2
Le belantamab mafodotin est un anticorps ciblant le BCMA conjugué au MMAF. DREAMM-2 est une étude de phase II ayant inclus 196 patients en R/R après au moins 3 lignes de traitement antérieures et évaluant l'efficacité du belantamab mafodotin aux doses de 2,5 mg/kg et de 3,4 mg/kg. Les taux de RG de 32 et 35 %, ainsi que les durées de SSP de 2,9 et 4,9 mois, respectivement, ont été rapportés à l'ASH 2019 et publiés dans le Lancet Oncology. Une mise à jour des données, notamment de durée de réponse et de SG, a été présentée à l'ASCO® 2020 (Lee HC et al., abstr. 8519), avec un suivi médian de 13 mois. La médiane de durée de réponse était de 11 mois pour la dose de 2,5 mg/kg et 6,2 mois pour la dose de 3,4 mg/kg. Les taux de SG étaient de 13,7 et 13,8 mois respectivement (tableau VI). La problématique des kératopathies représente le premier effet indésirable de grade ≥ 3 en termes de fréquence, avec 46 et 42 % des patients dans les bras 2,5 et 3,4 mg/kg, respectivement.
Belantamab mafodotin en combinaison : l'essai DREAMM-6
Il s'agit d'un essai de phase I/II d'escalade de doses évaluant l'association du belantamab mafodotin au bortézomib + dexaméthasone (Vd) ou au lénalidomide + dexaméthasone chez des patients ayant reçu une ligne de traitement antérieure. Les résultats préliminaires du bras B associant belantamab mafodotin 2,5 mg/kg à J1 au Vd schéma court ont été rapportés à l'ASCO® 2020 (Nooka A et al., abstr. 8502). Les données sont disponibles pour 18 patients qui ont un taux de RG de 78 %, dont 50 % de TBRP ou plus. Les principaux effets indésirables étaient représentés par une kératinopathie chez 100 % des patients, dont 56 % de grade 3, et une thrombopénie chez 66 % des patients, dont 61 % de grade 3 ou 4 (figure 7). Les données de durée de réponse ne sont pas encore matures.■
AVIS D'EXPERT
Le belantamab continue son développement en association et à des lignes de traitement plus précoces. Les données de réponse, certes précoces, sont intéressantes en association avec le Vd, avec 78 % de RG. Le parallèle peut être fait avec l'essai CASTOR qui évaluait l'association daratumumab à Vd, dès la première rechute, comme ci-dessus. Dans CASTOR, les taux de RG étaient de 79 % pour le bras DVd et de 60 % pour le bras Vd à 7,4 mois de suivi médian. La problématique du belantamab reste le taux important de survenue de kératinopathies, qui empêchent parfois de poursuivre le traitement (86 % d'interruption ou de décalage des doses dans DREAMM-6). Ce médicament est actuellement accessible en France dans le cadre d'une ATU de cohorte et fait l'objet d'une utilisation assez répandue, étant le seul anti-BCMA accessible hors essai clinique.