Le comité de rédaction des Correspondances en Onco-Hématologie s’est dit que le temps était peut-être venu de regarder dans quelle mesure l’intelligence artificielle (IA) – qui s’invite plus ou moins incognito dans notre quotidien – avait commencé à se glisser dans l’hématologie. Avant de préparer dans quelque temps un autre dossier plus orienté vers la clinique et les réseaux de soins, un petit tour au laboratoire semblait être un premier pas intéressant. Respectant les critères du “diagnostic intégré” qui me sont chers, j’ai donc sollicité des rédacteurs pour nous parler de l’IA aux différentes étapes de l’onco-hématologie biologique.
Thomas Boyer commence par détecter l’empreinte, déjà ancienne et cachant son nom, de l’IA dans les automates générant les hémogrammes, bardés d’alarmes et décortiquant dès la réalisation d’une numération formule sanguine (l’examen biologique le plus prescrit au monde) une multitude de paramètres guidant l’interprétation du biologiste. Il parle ensuite des outils plus récents d’analyse d’images et propose sa vision intégrative de l’IA dans les laboratoires.
Vincent Alacazer et Pierre Sujobert, toujours dans ces premières étapes du diagnostic, expliquent comment les algorithmes d’apprentissage peuvent envisager des approches originales prenant en compte les paramètres les plus divers pour proposer un diagnostic. Ils dressent également un beau panorama des acquis, des développements et des espoirs dans ce partenariat biologistes et IA.
Passant à la cytométrie en flux, Aguirre Mimoun et Jean-Philippe Vial ont réalisé une analyse très éclairante de l’état de l’art et des progrès se profilant dans ce domaine. Avec les grands nombres de cellules analysées et la multiplication des paramètres de cytométrie, on touche aux big data. Surtout, l’IA devient vraiment dans son autre acception, une “intelligence augmentée”. De par ses capacités mathématiques à naviguer dans des espaces multiparamétriques qui nous sont spontanément inaccessibles, elle propose au biologiste un paysage inattendu révélant la complexité de l’hématopoïèse normale et pathologique.
Les caractéristiques cellulaires sont également explorées par l’œil aiguisé des anatomocytopathologistes. Charlotte Syrykh, Camille Franchet, Pierre Brousset et Camille Laurent décrivent comment les réseaux neuronaux artificiels peuvent aider à la gestion des images, non seulement avec les colorations classiques, mais également lorsqu’il s’agit d’immunohistochimie ou d’anomalies moléculaires détectées en hybridation par fluorescence in situ (FISH). L’hématopathologie des lymphomes étant, pour le diagnostic et le pronostic, étroitement liée à l’hématologie moléculaire, des pistes sont indiquées expliquant comment l’IA, à partir de certaines images, peut soupçonner l’existence de mutations spécifiques et accélérer le diagnostic.
En cytogénétique, par l’intermédiaire de Christine Terré, nous avons demandé à Patrick Cailler de décrire comment l’analyse des chromosomes peut bénéficier de l’IA.
Entouré de Victor Pillay et Davide Callegarin, il nous invite dans une exploration de l’apport de l’IA dans son domaine. De la capture des images de mitose à la génomique moléculaire par analyse des variations du nombre de copies, en passant par le classement des chromosomes et la détection de leurs anomalies, ce champ en plein développement – mais également truffé de pièges – est décrit de façon détaillée.
Enfin, Fabrice Jardin, plutôt que de nous emmener dans le monde des outils sophistiqués d’analyse des vraiment big data générés par les milliers de runs des techniques de séquençage, nous guide vers une autre intelligence augmentée. Il s’agit cette fois, à l’aide des algorithmes d’apprentissage, entre autres, de détecter le potentiel oncogénique d’anomalies moléculaires, de développer des prédicteurs ou d’orienter vers des thérapies ciblées.
Je vous ai évité dans cet éditorial le jargon que vous craigniez peut-être. Rassurez-vous, vous allez le trouver, mais tellement bien expliqué et remis en situation ! Un grand merci à ces rédacteurs pour leur travail et leur enthousiasme.
Au fait, Juliette a voulu savoir “comment on en est arrivé là ?”…
Bonne lecture.■
Par curiosité, j’ai demandé à ChatGPT ce qu’il pensait de l’IA dans un laboratoire d’hématologie. Il1m’a donné 4 pistes :
• l’analyse d’images des frottis sanguins ;
• les analyses prédictives de la possibilité pour un patient de développer une pathologie hématologique ou des effets indésirables;
• le contrôle de qualité des instruments ;
• l’aide à la décision.
Avec comme conclusion “le potentiel d’améliorer la précision du diagnostic, de diminuer les erreurs, d’accélérer le diagnostic et finalement d’améliorer l’évolution des patients”.
1Il faudrait peut-être dire “iel”, le “they” non genré actuel des Anglo-Saxons.