Au-delà de l'innovation thérapeutique, l'innovation en santé est un élément fondamental de la médecine personnalisée qui permet, en particulier en oncologie, d'apporter une réponse adaptée aux besoins de chaque patient.
Les innovations sont multiples
L'innovation va bien au-delà de l'innovation purement médicale (thérapies géniques, biotechnologies, etc.). L'innovation en santé, c'est aussi :
- l'innovation technologique et numérique : robotique chirurgicale, objets de santé connectés pour l'autonomie, le bien-vivre, l'information des patients, la télémédecine ;
- l'innovation diagnostique et thérapeutique : thérapies géniques, biotechnologies, thérapies ciblées, médecine de précision liée au séquençage de l'exome et du génome, solutions thérapeutiques de e-santé ;
- l'innovation organisationnelle et comportementale : nouveaux modes d'exercice et de prise en charge, parcours de soins coordonnés, dossier médical partagé, plateformes de suivi à distance, éducation thérapeutique, patient connecté, solutions de e-santé ayant un impact sur l'organisation et les comportements.
Dans le cancer du poumon, on peut citer, pour les formes localisées, les innovations organisationnelles que sont ou seront dans un proche avenir le dépistage organisé du cancer du poumon, les filières de diagnostic précoce (diagnostic en un jour), les formidables améliorations de la qualité des équipements de radiothérapie mais aussi des pratiques et l'impact majeur qu'a eu sur notre système de soins la mise en place de valeurs seuils pour la chirurgie carcinologique. Dans les formes métastatiques, depuis 10 ans, les patients ont pu bénéficier d'une part des progrès de la biologie moléculaire et d'autre part des innovations thérapeutiques que constituent les thérapies ciblées et les immunothérapies.
L'accès aux médicaments innovants
En ce qui concerne l'accès aux médicaments innovants, il est nécessaire de faire évoluer de manière profonde le système de régulation français qui est aujourd'hui trop long, trop complexe, imprécis et pas assez transparent pour être réellement efficace et compris par les patients et les professionnels. En France, notre organisation permet, en particulier en oncologie, un égal accès des patients à l'ensemble des traitements qu'il convient de maintenir, alors qu'on est dans un contexte de dépenses sociales de plus en plus contraint et face à l'arrivée de traitements innovants et coûteux.
La France représente un marché clé pour les laboratoires pharmaceutiques [1]. Deuxième marché européen derrière l'Allemagne et 5e marché mondial derrière les États-Unis, la Chine, le Japon et l'Allemagne, la France représente aujourd'hui 3,7 % d'un marché total de 1 000 milliards de dollars de chiffre d'affaires (826 milliards d'euros). L'autorisation de mise sur le marché (AMM) est centralisée au niveau européen mais, de plus en plus, l'innovation impose des dispositifs dérogatoires. Citons par exemple l'autorisation temporaire d'utilisation (ATU), délivrée par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), qui permet la mise à disposition de médicaments innovants avant leur commercialisation mais pour une durée limitée.
À l'inverse de l'AMM, l'évaluation et la tarification des médicaments est une prérogative souveraine des États. En France, c'est le Comité économique des produits de santé (CEPS), organisme placé sous l'autorité des ministres chargés de la Santé, de la Sécurité sociale et de l'Économie, qui négocie avec les industriels les prix des médicaments pris en charge par l'Assurance maladie. Il s'appuie sur les avis formulés par 2 commissions de la Haute Autorité de santé (HAS) :
- la Commission de la transparence (CT), en charge de l'évaluation médicoscientifique des médicaments ;
- et la Commission évaluation économique et de santé publique (CEESP), en charge de l'évaluation médicoéconomique.
Le CEPS négocie alors avec l'industriel le prix du médicament en concluant un accord qui contient un prix “public” et un certain nombre de remises conventionnelles. Si la HAS reste un organe consultatif, ses avis sont souvent suivis d'effets et ont un impact direct sur l'accès au remboursement et la négociation tarifaire.
Le cadre de la négociation avec le CEPS est tributaire du niveau d'amélioration du service médical rendu (ASMR) qui correspond au “progrès thérapeutique apporté par un médicament” évalué par la HAS. Cette amélioration se traduit par une note allant de I (amélioration majeure) à V (absence d'amélioration). De ce fait, les molécules obtenant des ASMR I et II, voire III sont très favorisées en terme de négociation tarifaire. Si la molécule proposée au remboursement n'est pas assez innovante d'après l'évaluation de la HAS, le laboratoire devra concéder un prix plus faible et mobiliser d'autres arguments comme l'impact positif sur l'organisation des soins (prise en charge à domicile et non à l'hôpital par exemple), l'amélioration de la qualité de vie pour les patients (traitement oral plutôt qu'intraveineux par exemple) ou la présence d'usines ou de centres de recherches sur le territoire français.
Plus largement, le CEPS doit veiller à ce que les dépenses remboursées du médicament soient compatibles avec l'Objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) voté annuellement par le Parlement. Ce modèle est profondément remis en cause d'une part du fait du grand nombre d'innovations qui obtiennent aujourd'hui des AMM (dans le cancer du poumon, ce sont plusieurs molécules d'immunothérapies dans différentes indications chaque année), d'autre part par les modalités de fonctionnement de ces nouvelles thérapies. Citons, par exemple, les thérapies ciblées qui s'adressent à des petits effectifs de patients, avec des résultats cliniquement pertinents mais obtenus par des études souvent de phase II ouvertes, difficiles à jauger avec le système d'évaluation actuel.
Les délais pour accéder à l'innovation : un enjeu majeur
Ainsi, depuis quelques années, les délais d'obtention d'un prix en France pour ces médicaments innovants s'allongent [2]. Le délai moyen est aujourd'hui de l'ordre de 7 mois entre l'AMM européenne et la publication du prix au Journal officiel. Mais, pour l'oncologie pulmonaire, on a eu régulièrement à attendre plus d'un an, en particulier pour l'immunothérapie en 1re ligne dans les formes métastatiques, que ce soit en monothérapie ou, plus récemment, en association avec la chimiothérapie. Pourtant la directive européenne Transparence demande aux États membres de l'Union européenne de veiller à ce que le délai de fixation des prix “n'excède pas 180 jours”.
L'accès précoce et dérogatoire par le système d'ATU avant l'AMM et post-ATU après l'AMM (ce système permet d'assurer une prise en charge du médicament s'il n'est pas encore inscrit sur la liste des médicaments remboursés à la date où l'ATU expire) compense en partie ces délais. Plus récemment, les ATU d'extensions d'indications ont également permis de résoudre le problème des médicaments qui avaient une seconde AMM (nouvelle indication) et qui n'étaient pas éligible aux ATU simples. L'ANSM peut encadrer des prescriptions non conformes à l'AMM. Les recommandations temporaires d'utilisation (RTU) constituent un autre dispositif dérogatoire intéressant. Leur objectif est de sécuriser l'utilisation des médicaments grâce à la mise en place d'un suivi des patients organisé par les laboratoires concernés. Il faut qu'il existe un besoin thérapeutique et que le rapport bénéfice/risque du médicament soit présumé favorable, notamment à partir de données scientifiques publiées d'efficacité et de tolérance. Les RTU ont une durée maximale de 3 ans renouvelable.
Une nécessaire réforme pour tenir compte des innovations
Plusieurs pistes de réflexion existent et sont discutées depuis plusieurs années, comme la réforme de l'évaluation des médicaments, la modification des critères d'inscription de la liste en sus, la mise en place d'une procédure d'évaluation prioritaire pour les produits ayant bénéficié d'une ATU. D'autres sont avancées par de nombreux acteurs, comme le pilotage pluriannuel de l'ONDAM ou l'expérimentation de nouveaux modèles de financement en s'appuyant sur des registres de vie réelle ou des dispositifs de pay for performance. Nos voisins européens, confrontés aux même enjeux, ont su également developper des modèles intéressants.
Exemple de l'Allemagne
En Allemagne, dès l'obtention de l'AMM européenne, le produit est immédiatement disponible. Son prix est libre pendant un an. Il bénéficie pourtant d'un remboursement par les assurances maladies. Pendant cette période, l'évaluation est mise en œuvre. À l'issue de cet examen, en cas d'absence d'amélioration du service médical rendu, il intègre une classe thérapeutique et son montant de remboursement est celui d'un prix de référence. En revanche, s'il apporte un bénéfice thérapeutique, une négociation est lancée. En l'absence d'accord à l'issue des 12 mois, une commission d'arbitrage fixe le montant de remboursement. À l'hôpital, la fixation des prix est le résultat d'une négociation entre l'industriel et l'établissement. Un système comparable à la liste en sus a également été mis en place. Toutefois, à la différence du dispositif français, c'est l'établissement qui sollicite la prise en charge limitée seulement à un an. S'inspirant de ce modèle, il a été proposé pour la France de fixer un prix provisoire, correspondant à la moyenne des prix européens. La HAS et le CEPS disposeraient au maximum d'un an pour procéder à l'évaluation et la fixation du prix définitif. En cas de montant inférieur, le laboratoire rembourse la plus-value perçue pendant l'accès précoce. L'objectif serait ainsi d'assurer un continuum pour le patient, depuis l'ATU jusqu'à la fixation des prix en passant par ce nouveau dispositif d'accès précoce.
Exemple de l'Angleterre
En Angleterre, depuis 2011, il existe un fonds spécifique, le Cancer Drugs Fund [3], permettant aux patients un accès dérogatoire et temporaire aux médicaments en attente de données suffisantes pour une évaluation. Cette procédure alternative est rapidement devenue systématique, le NHS décidant des produits éligibles au Cancer Drugs Fund. Cette procédure dérogatoire est controversée étant donné qu'elle permet l'usage de produits jugés non efficients pour le NICE (National Institute for Health and Care Excellence).
Exemple de l'Italie
L'exemple italien est également intéressant car de nouveaux types d'accords ont été mis en place, permettant de fixer le prix de façon conditionnelle, au travers des contrats de performance [4, 5]. Il s'agit de contrats où les modalités de paiement sont fonction des mesures ultérieures de l'efficacité du médicament. On en compte 4 types :
- les contrats de cost sharing : une remise pour tous les patients éligibles au traitement sur les premiers cycles de traitement ;
- les contrats de risk sharing : une remise pour les patients non répondeurs (les patients sur lesquels le traitement ne fonctionne pas), après évaluation clinique ;
- le payment by results : un remboursement total des traitements par le fabricant pour les patients non répondeurs ;
- le success fee, mécanisme plus récent : le traitement est payé à l'industriel pour les seuls patients sur lesquels le médicament est efficace. L'assurance maladie ne fait pas d'avance et ne paie que si le résultat est vérifié en vie réelle. Pour ce faire, un échéancier est constitué au préalable à partir des caractéristiques de la maladie, des données disponibles et de la durée de traitement.
L'importance des données en vie réelle
Les données en vie réelle permettent d'évaluer l'efficacité et la tolérance des médicaments une fois définitivement commercialisés, dans une population souvent plus âgée, avec plus de comorbidités et de caractéristiques de la maladie différentes. Elles sont utiles pour la recherche clinique mais aussi pour l'évaluation médicoéconomique des traitements. La France dispose d'une base de données de dépenses très complète avec le Système national des données de santé (SNDS), regroupant notamment le SNIIRAM, base de données de l'Assurance maladie, et le PMSI pour l'hôpital. D'autres pays prennent de l'avance dans la collecte et le traitement de leurs données de santé. Sur la base de telles informations, ces pays ont développé l'usage des contrats de performance alors qu'en France, très peu ont été mis en place faute d'accord entre le CEPS et les entreprises, sur les critères et les modalités économiques encadrant ce type d'accord. Ainsi, en Italie, des registres en vie réelle, notamment pour les patients atteints du cancer, sont utilisés dans les contrats de performance. En Allemagne, un registre regroupant environ 170 centres permet le suivi des patients et l'utilisation de données par les cliniciens. Les incitations à contribuer, non financières, sont principalement de l'ordre du prestige professionnel. Au Royaume-Uni, le National Cancer Intelligence Network (NCIN) a pour objectif, dans le domaine du cancer, d'apparier des sources de données différentes. C'est l'un des enjeux majeurs dans le domaine des données en santé, tant les données sont riches mais proviennent de sources dispersées, dans un domaine où la confidentialité et l'anonymisation des patients dans les bases sont cruciales.
Conclusion
Les immenses avancés en matière de biologie moléculaire et d'innovation thérapeutique mais également d'innovations organisationnelles et comportementales rendent nécessaire l'évolution de notre système d'évaluation et de régulation du médicament. Le système doit devenir plus transparent, plus réactif, s'appuyer plus sur les professionnels et les patients et doit probablement évaluer sur la base des forfaits de prise en charge globaux, où le coût du médicament n'est qu'une composante de ce forfait.■