Le développement d'inhibiteurs de l'activité tyrosine kinase d'ALK (iALK) ou de ROS1 (iROS1), à la fois plus efficaces et mieux tolérés que la chimiothérapie, a modifié radicalement les perspectives thérapeutiques et pronostiques des patients atteints de cancers du poumon avec réarrangement ALK ou ROS1. Le crizotinib, iALK de 1re génération, est devenu, au début des années 2010, le traitement standard en 1re ligne dans les cancers du poumon avec réarrangement ALK avancés puis dans les cancers du poumon avec réarrangement ROS1. Une résistance au crizotinib survient en médiane moins de 1 an après l'instauration du traitement dans les cancers du poumon avec réarrangement ALK. De nombreux iALK et iROS1 de nouvelle génération ont été développés pour traiter ces résistances au crizotinib et sont également testés en 1re ligne de traitement.
Nous développerons dans cet article les nouvelles données d'efficacité consolidant les iALK de 2e génération comme nouveau standard de traitement en 1re ligne dans les cancers du poumon avec réarrangement ALK. Une stratégie séquentielle d'iROS1 se dessine dans les cancers du poumon avec réarrangement ROS1.
Cancers du poumon avec réarrangement ALK
Les inhibiteurs d'ALK de 2e génération, nouveau standard de traitement en 1re intention
L'alectinib, iALK de 2e génération, s'est imposé comme le traitement de 1re ligne de référence dans les cancers du poumon avec fusion ALK. Deux essais de phase III, ALEX et J-ALEX, ont en effet démontré une très nette diminution du risque de progression en faveur de l'alectinib comparativement à un bras contrôle de crizotinib. Des données de survie réactualisées ont été communiquées en 2019 (tableau I) [1, 2]. Un 3e essai de phase III au schéma similaire à celui d'ALEX et J-ALEX, l'essai ALESIA, déployé en Chine, en Corée du Sud et en Thaïlande, a été publié en 2019 [3]. Une diminution du risque de progression de 78 % était constatée avec une survie sans progression (SSP) médiane non atteinte (tableau I). Le brigatinib, iALK de 2e génération, a également été comparé au crizotinib en 1re ligne de traitement au cours de l'essai de phase III ALTA-1L. La principale différence de schéma avec les essais ALEX, J-ALEX et ALESIA, était la possibilité d'inclure les patients qui avaient reçu une ligne de chimiothérapie. Ainsi, 27 % des patients inclus dans ALTA-1L étaient en rechute après une chimiothérapie de 1re ligne. Des données de survie réactualisées ont été communiquées lors de l'ESMO ASIA 2019 avec une diminution significative de 51 % du risque de progression [4]. Le risque de progression cérébrale était également très nettement diminué avec l'alectinib et le brigatinib comparativement au crizotinib. Enfin, l'alectinib et le brigatinib présentent un index thérapeutique favorable comparé au crizotinib, avec des effets indésirables liés au traitement moins fréquents et moins graves.
En somme, les données consolidées de ces 4 essais cliniques de phase III montrent que l'alectinib et le brigatinib sont très nettement supérieurs au crizotinib en 1re ligne de traitement, permettant un allongement cliniquement significatif de la SSP avec un index thérapeutique plus favorable. L'alectinib et le brigatinib s'installent comme les traitements de référence en 1re intention.
Traiter la résistance à l'alectinib ou au brigatinib après échec en 1re ligne de traitement : place du lorlatinib
On ne dispose pas, à ce jour, de données sur les mécanismes de résistance à l'alectinib ou au brigatinib utilisés en première intention. En extrapolant à partir des mécanismes de résistance connus à l'alectinib utilisés après échec d'un ou de plusieurs iALK, on peut s'attendre à :
- une proportion de tumeurs avec mutation de résistance de l'ordre de 50 % ;
- une proportion importante de mutation G1202R mais aussi à une variété importante du type de mutation ;
- plusieurs mutations différentes détectées chez un même patient.
Le lorlatinib représente une solution thérapeutique dans cette situation. Il s'agit d'un iALK de 3e génération très puissant, efficace sur les modèles précliniques porteurs de mutations de résistance aux iALK de 2e génération, en particulier G1202R, et sur les modèles précliniques de métastases cérébrales [5, 6]. L'efficacité du lorlatinib a été évaluée au cours d'un essai de phase I/II en 1re ligne de traitement, après crizotinib, après un iALK autre que crizotinib, après 2 iALK ou après 3 iALK, dont les résultats définitifs ont été publiés en 2019 [7]. En situation de résistance après un ou plusieurs iALK de 2e génération, le taux de réponse était de 39 % avec une SSP médiane de 6,9 mois. Après échec d'au moins un iALK de 2e génération chez des patients non traités par crizotinib, le taux de réponse était de 32 % pour un taux de contrôle de la maladie à 68 % et une SSP médiane de 5,5 mois. Dans tous ces cas de figure, la durée médiane de réponse n'était pas atteinte.
Dans une étude post hoc de cet essai de phase I/II, la détection de mutations de résistance avant le début du traitement avait un impact sur le taux de réponse au lorlatinib [8]. Les mutations de résistance étaient recherchées dans les biopsies tumorales fraîches ou d'archive ou sur ADN tumoral circulant. Le taux de réponse était supérieur en cas détection d'une mutation de résistance dans une biopsie tumorale (69 vs 27 %) ou sur ADN tumoral circulant (62 vs 30 %). La SSP médiane était significativement plus longue si une mutation était détectée dans une biopsie tumorale. En revanche, la SSP médiane n'était pas significativement différente, qu'une mutation soit détectée ou non dans l'ADN tumoral circulant. Enfin, le lorlatinib était efficace en cas de mutation G1202R.
En somme, il y a probablement une place pour le lorlatinib après échec d'une 1re ligne de traitement par alectinib et brigatinib. Cependant, son efficacité après une 1re ligne stricte d'iALK de 2e génération n'a pas été évaluée et l'impact du type et du nombre de mutations de résistance sur biopsie tumorale ou ADN tumoral circulant n'est pas encore complètement clarifié. Pour répondre à cette question, l'essai français de phase II non controlé IFCT-1902 ORAKLE (NCT04111705) propose de traiter par lorlatinib les cancers du poumon avec réarrangement ALK en progression après une 1re ligne par alectinib ou brigatinib. Une biopsie tumorale fraîche est requise à l'inclusion afin de rechercher les mutations de résistance. L'objectif de cet essai sera de démontrer que l'efficacité du lorlatinib est supérieure à celle qui est attendue d'une chimiothérapie et d'évaluer l'impact des mutations de résistance sur cette efficacité. L'essai est ouvert dans près de 30 centres français.
Nouvelles données avec l'ensartinib
L'ensartinib est un iALK de nouvelle génération actif sur de nombreuses mutations de résistance au crizotinib et avec une activité intéressante sur les métastases cérébrales. Son activité avait été évaluée au cours d'un essai de phase I/II nord-américain chez les patients en rechute après crizotinib. Un taux de réponse de 69 % et une SSP médiane de 9 mois étaient retrouvés.
Un nouvel essai thérapeutique de phase II chinois a été très récemment publié, testant l'ensartinib chez 156 patients prétraités par crizotinib ou chimiothérapie et n'ayant pas reçu d'autres iALK que le crizotinib. L'objectif principal était l'évaluation du taux de réponse par un comité indépendant. Ce taux de réponse était de 52 % avec un taux de contrôle de la maladie de 93 %. La SSP médiane était estimée à 9,6 mois. Le taux de réponse cérébrale était de 70 % avec un taux de contrôle de 98 %. Le taux de réponse en cas de détection de mutation de résistance était de 44 % (20/45), et en cas d'absence de détection de mutation de résistance, de 57 %. Les mutations de resistance F1174L/V, G1269A, C1156Y et T1151 étaient particulièrement sensibles à l'ensartinib avec des taux de réponse variant de 67 à 71 %. Six patients présentaient une mutation G1202R, plus fréquemment retrouvée après exposition à l'alectinib ou au céritinib, et 2 réponses confirmées étaient retrouvées. L'ensartinib était globalement bien toléré.
L'ensartinib confirme son efficacité en situation de résistance au crizotinib. L'essai de phase III eXalt3 (NCT02767804) teste actuellement l'ensartinib en 1re ligne avec un bras comparateur crizotinib.
Cancers du poumon avec réarrangement ROS1
Le crizotinib est le standard de traitement dans les cancers du poumon avec réarrangement ROS1. C'est le seul iROS1 qui ait une AMM pour le traitement des cancers du poumon avec réarrangement ROS1 avancés. Les résultats de l'étude de phase I PROFILE qui avait rapporté pour la 1re fois une efficacité remarquable du crizotinib ont été récemment actualisés : avec une durée médiane de suivi excèdant 5 ans, le taux de réponse était de 72 %, la durée de réponse de 24,7 mois et la SSP médiane de 19,3 mois [9]. Des données réactualisées de la cohorte AcSé ont également été publiées cette année avec un taux de réponse de 47 % et une SPP médiane de 5,5 mois, efficacité bien moindre que dans l'essai PROFILE 1001 [10]. Cela s'explique probablement par le caractère lourdement prétraité des populations étudiées dans la cohorte AcSé et des méthodes de diagnostic moléculaire plus hétérogènes et moins précises.
Des données d'efficacité ont été communiquées pour le lorlatinib et l'entrectinib permettant de préciser la place de ces iROS1 par rapport au crizotinib dans la prise en charge des cancers du poumon avec réarrangement ROS1.
L'efficacité du lorlatinib était évaluée au cours d'un essai de phase I/II non contrôlé chez 21 patients non traités par iROS1 et 48 prétraités par iROS1, essentiellement par crizotinib [11]. Le taux de réponse chez les patients non prétraités était de 62 % pour une durée de réponse médiane de 25,3 mois et une SSP médiane de 21 mois. Le taux de réponse chez les patients prétraités par iROS1 était de 35 % pour une durée de réponse médiane de 13,8 mois et une SSP médiane de 8,5 mois. L'efficacité sur les lésions cérébrales était bonne dans tous les cas de figure.
L'efficacité de l'entrectinib était évaluée dans une analyse poolée des essais de phase I et II ALKA-372-001, STARTRK-1 et STARTRK-2 chez 53 patients non traités par iROS1 [12]. Le taux de réponse était de 77 % pour une durée de réponse médiane de 24,6 mois et une SSP médiane de 19 mois. L'efficacité sur les lésions cérébrales était également bonne.
Le lorlatinib et l'entrectinib ne semblent donc pas supérieurs au crizotinib chez les patients non prétraités par iROS1 (tableau II). Les taux de réponse, les durées de réponse et les SSP médianes sont comparables aux données avec le crizotinib de l'essai PROFILE 1001. Le profil de toxicité est également en faveur du crizotinib versus le lorlatinib.
L'activité du lorlatinib chez les patients présentant une résistance au crizotinib est cliniquement significative. Le lorlatinib est donc le premier iROS1 à montrer son intérêt après échec du crizotinib et représente une option thérapeutique de choix dans cette situation thérapeutique.
Conclusion
Le meilleur index thérapeutique, la SSP 2 à 3 fois supérieure et l'amélioration de la qualité de vie obtenus avec l'alectinib et le brigatinib comparés au crizotinib positionnent ces 2 médicaments comme les traitements de choix en 1re ligne de traitement des cancers du poumon avec fusion ALK avancés. Un essai clinique prospectif dédié à l'évaluation de l'efficacité du lorlatinib après échec de l'alectinib ou du brigatinib en 1re ligne (IFCT-1902 ORAKLE, NCT04111705) est en cours en France pour évaluer la possibilité de “rattraper” les résistances.
Une séquence sans chimiothérapie émerge également dans les cancers du poumon avec réarrangement ROS1. Le crizotinib est le traitement de référence en 1re intention et le lorlatinib représente un traitement efficace après échec du crizotinib. Contrairement aux cancers du poumon avec réarrangement ALK, les iROS1 de nouvelle génération n'ont pas montré une efficacité suffisante pour remplacer le crizotinib en 1re ligne.■