Le mésothéliome pleural – qu'il ne faut plus qualifier de “malin”, puisque, désormais, dans la nouvelle classifi cation histologique de l'OMS, le terme mésothéliome est réservé aux cancers primitifs de la plèvre [1] – reste un cancer de pronostic redoutable, bien que rare (autour de 1 000 cas annuels en France), très majoritairement lié à l'inhalation de fibres d'amiante. Après avoir démontré que l'histoire naturelle de la maladie pouvait être infléchie par une association de pémétrexed, sel de platine et bévacizumab, à la fin des années 2010 [2], l'Intergroupe francophone de cancérologie thoracique a, le premier, esquissé la nouvelle révolution thérapeutique que constitue l'immunothérapie dans cette maladie, en 2e ligne thérapeutique [3]. De fait, les années 2020 voient l'avènement, dès la 1re ligne de traitement, de la double immunothérapie ciblant les points de contrôle immunitaire PD-1 et CTLA-4. Son utilisation chez les patients présentant des formes sarcomatoïdes ou mixtes a, là encore, changé l'histoire naturelle de la maladie. Quant aux patients (majoritaires) avec une forme épithélioïde, il leur est encore proposé le choix entre cette double immunothérapie et la chimiothérapie reposant sur le doublet à base de pémétrexed et de sel de platine, puisque désormais, dans ces cas de figure, les médianes de survie globale dépassant les 18 mois sont similaires, avec un gain objectif en termes de qualité de vie [4].
Cependant, avons-nous atteint un plafond de verre avec ces traitements ? Un premier élément de réponse viendra, nous l'espérons, au printemps 2023, avec les premiers résultats de l'essai de phase III franco‑canadien IFCT‑1901 IND.227 (NCT02784171) qui a évalué l'association, dès la 1re ligne de traitement, d'une immunothérapie (le prembrolizumab, anti-PD-1) et d'un doublet classique de chimiothérapie, versus la chimiothérapie seule, à l'instar de la combinaison désormais reine dans les cancers bronchiques non à petites cellules. Un deuxième essai de phase III américano-australien DREAM3R (NCT04334759), bâti sur le même modèle, associe le durvalumab (anti-PD-L1) à la chimiothérapie, mais ses résultats ne sont pas attendus avant 2024, voire 2025. Fin 2023 devraient être aussi présentés les premiers résultats de l'essai de phase III BEAT-meso de l'ETOP (NCT03762018), qui associe, dès la 1re ligne de traitement, l'ensemble des traitements efficaces du mésothéliome, soit une immunothérapie (atézolizumab, anti‑PD-L1), le doublet classique de chimiothérapie à base de pémétrexed et de sel de platine, et le bévacizumab. Enfin, plus intéressant encore sera un futur essai en projet, associant toujours la même chimiothérapie, mais avec l'anticorps bispécifique anti-PD-1 et anti-CTLA-4, MEDI5752, dont l'efficacité pourrait être supérieure à la somme des efficacités des anticorps anti-PD-1 et anti-CTLA-4 actuellement utilisés, par un adressage plus efficace des lymphocytes T effecteurs sur les cellules tumorales.
Ces essais pourraient, de fait, allonger la médiane de survie globale, et induire un pourcentage plus important de patients dont la survie générale est supérieure à 5 ans que les 9 % rapportés dans la dernière mise à jour de l'essai CheckMate-743, présentée à l'ESMO 2022 [5], mais ne constituent cependant pas une véritable rupture conceptuelle, à même de représenter une nouvelle révolution thérapeutique. Peut‑être faudra‑t-il attendre le ciblage de nouvelles cibles immunitaires comme le point de contrôle VISTA, fortement exprimé dans le mésothéliome [6],
ou les anticorps ciblant les points de contrôle LAG3 (voie prometteuse dans le mélanome) et TIGIT (échec dans le carcinome bronchique à petites cellules), dont le développement clinique est cependant inégal. Le ciblage des lymphocytes NK (anticorps anti-NKG2A, monalizumab) et celui d'une nucléotidase membranaire (permettant la synthèse d'adénosine extracellulaire à partir d'ATP, dont le récepteur membranaire inhibe l'action des lymphocytes T effecteurs et les NK), via l'anticorps anti-CD73 (oleclumab), n'en sont qu'à des stades encore précoces de développement dans les cancers bronchiques, sans perspective immédiate dans le mésothéliome.
Ce sont peut-être des thérapies cellulaires que viendront les futures avancées. Les cellules dendritiques autologues prélevées par cytaphérèse et amplifiées ex vivo sont testées dans l'essai franco‑néerlando‑belge DENIM après une induction par chimiothérapie (NCT03610360), avec des résultats attendus avec impatience. L'année 2021 a surtout vu la publication de la première étude de cellules CAR-T ciblant la mésothéline chez des patients avec un mésothéliome pleural [7]. Il est difficile de tirer des informations d'efficacité de cette étude de phase I, dans laquelle les CAR-T étaient administrées avec du pembrolizumab en systémique, mais elle a le mérite de démontrer que les CAR-T injectées sous scanner dans l'espace pleural, ou via un cathéter intrapleural, peuvent diffuser et surtout persister dans la cavité pleurale et la plèvre pariétale, en induisant une réponse immunitaire dont les stigmates ont été retrouvés sur biopsies pleurales séquentielles montrant une infiltration inflammatoire. Leur tolérance s'est avérée remarquable (tout au plus quelques infiltrats pulmonaires transitoires en verre dépoli et de rares réactions fébriles), notamment sans les redoutables syndromes de relargage cytokinique observés avec les CAR-T administrées par voie intraveineuse dans les hémopathies malignes. Nous ne savons pas encore si la mésothéline est la bonne cible, car son expression est assez ubiquitaire en dehors de la plèvre, et qu'elle n'est que peu exprimée dans les formes sarcomatoïdes. De plus, l'efficacité des CAR-T mésothéline utilisées semble modeste en monothérapie, témoignant sans doute que la cible idéale n'a pas été trouvée. Néanmoins, cette voie de recherche est prometteuse, car la cavité pleurale, cavité fermée, parfois virtuelle en l'absence de liquide, est aisément accessible par ponction radioguidée, l'injection locorégionale évitant manifestement les réactions systémiques. Des tentatives de n'utiliser dans les CAR-T qu'un déterminant antigénique limité, plutôt que la protéine totale de mésothéline, pour tenter d'améliorer ces résultats préliminaires, sont en cours [8]. La cible idéale se doit d'être exprimée à la surface des cellules mésothéliales, mais de façon restreinte à ce tissu, et de telles cibles sont rares dans les signatures transcriptomiques publiées du mésothéliome, qui retrouvent plutôt des protéines nucléaires ou cytoplasmiques, et des protéines membranaires, mais ubiquitaires. Au contraire, le CD146 (MCAM ou MUC18) surexprimé dans 80 % des mésothéliomes épithéliaux comme sarcomatoïdes, avec un impact pronostique défavorable, n'est pas exprimé dans le tissu mésothélial normal. Son expression est augmentée dans les mélanomes, les cancers gastriques ou les adénocarcinomes pulmonaires, en lien avec une transition épithélio-mésenchymateuse [9]. Il est exprimé dans un nombre restreint de tissus normaux (muscle lisse, cellules endothéliales, cellules de Schwann, myofibroblastes). Une autre cible intéressante pourrait être la peptidase transmembranaire CD26 (DPP4), déjà visée par un anticorps monoclonal thérapeutique, le YS110, avec un effet antitumoral préclinique intéressant dans des modèles murins. Dans un essai de phase I ayant inclus 22 patients présentant un mésothéliome [10], avec un profil de toxicité favorable, des stabilisations toujours difficiles à interpréter chez ce type de patients avaient été observées. La DPP4/ CD26 est exprimée sous le contrôle des facteurs de transcription TEAD et de leur co-activateur transcriptionnel YAP dont on connaît la fréquence de l'activation dans le mésothéliome [11]. Il n'y a pas d'expression significative de CD26 dans le tissu pleural normal, alors qu'elle est détectée dans des plasmocytes normaux, des fibroblastes associés au cancer, des cancers du rein, et des cellules de LLC‑B. Ne doutons pas que d'autres cibles exprimées par la cellule mésothéliale pourraient émerger à l'avenir, au fil des études transcriptomiques dans le mésothéliome, qui pourraient être aussi visées par des CAR-T.
La prédiction en médecine est un art difficile, comme l'a rappelé la récente période pandémique, et l'avenir des CAR-T dans les tumeurs solides reste incertain. Cependant, de nombreux spécialistes s'accordent pour penser que le mésothéliome pleural présente toutes les caractéristiques pour constituer la première avancée des CAR-T dans les tumeurs solides.