Pollution et cancer… une thématique maintes fois discutée sur le plan scientifique, principalement par nos confrères épidémiologistes, mais finalement un lien complexe à démontrer de façon formelle, même pour le cancer du poumon – en 1re ligne face aux polluants atmosphériques –, compte tenu des multiples facteurs confondants, de l'interaction avec le tabagisme, et de l'impossible mesure en continu de l'exposition au cours de la vie. En consultation, le pneumologue comme l'oncologue thoracique restent souvent dubitatifs face aux questions des patients et de leurs familles, sauf peut-être lorsqu'il s'agit de non-fumeurs, historiquement protégés du risque de cancer du poumon. Individuellement, nos conceptions face au risque de cancer impactent diversement nos comportements – vis-à-vis du tabac, mais aussi au-delà –, entre indifférence et modifications plus ou moins radicales de nos quotidiens. L'étude anglaise du Francis Crick Institute, rapportée lors du congrès de l'ESMO (European Society for Medical Oncology) [1], et tout juste publiée[2], réinvente les concepts liés à cette problématique, par une approche intégrative et ambitieuse conduite avec l'hypothèse d'un lien entre l'exposition aux particules fines de moins de 2,5 microns (PM2.5) et le développement d'un cancer du poumon, en l'absence de tabagisme.
Les données de ce travail ont combiné :
- une approche épidémiologique sur une population de plus de 460 000 individus recrutés au Royaume-Uni, en Corée du Sud et à Taïwan, montrant une association entre l'exposition à des concentrations progressives de ces particules fines et le risque de cancer, en particulier pulmonaire, avec mutation oncogénique de l'EGFR, situation fréquente chez le non-fumeur ;
- une approche expérimentale dans des modèles précliniques avec la démonstration que ces particules PM2.5 promeuvent la transformation tumorale d'un épithélium porteur de ces mutations oncogéniques (de l'EGFR ou de KRAS) en générant une inflammation médiée par l'interleukine-1β, qui conduit à l'émergence et à la prolifération de cellules souches progénitrices de cancer ;
- et enfin une approche clinique menée chez 247 non-fumeurs indemnes de cancer, avec la démonstration que des mutations de l'EGFR, mais aussi de KRAS, peuvent être observées dans le tissu pulmonaire de la moitié d'entre eux, leur survenue étant interprétée comme une conséquence du vieillissement cellulaire.
Le modèle historique de la carcinogenèse pulmonaire, avec l'évolution inéluctable de cellules porteuses d'altérations oncogéniques vers le développement d'un cancer invasif puis métastatique, est ainsi remis en cause. La proposition, sur la base de ces résultats, est celle d'une carcinogenèse fondée sur la préexistence de clones oncogéniques latents, multiples, et qui nécessitent l'exposition à un facteur environnemental, ici les particules fines, pour s'étendre. Ce concept peut finalement expliquer la survenue d'un cancer du poumon non seulement chez les non-fumeurs, mais aussi probablement chez les fumeurs, dont on rappelle que même en situation d'exposition élevée au tabagisme, seuls 1 à 2 %, chaque année, développent un cancer du poumon, sur la base des essais de dépistage. Dans le risque de cancer, la part de la susceptibilité individuelle redevient ainsi prédominante, avec un risque latent ne s'exprimant finalement que sous l'impact du facteur environnemental.
Conséquence de ce nouveau concept, les auteurs concluent en rappelant que si le risque de l'exposition aux particules fines est 15 fois inférieur à celui du tabac, 5 fois plus de personnes y sont exposées au niveau mondial, avec finalement un risque équivalent en termes de mortalité. La question du choix dans la prise de risque, au cœur des comportements face au tabac, est aussi déplacée, l'air que nous respirons étant souvent subi et non choisi. Un point détonnant à souligner dans un article scientifique, l'engagement environnemental et politique des auteurs, l'article se terminant par un appel à une réduction des émissions polluantes, notamment en zone urbaine… probablement plus difficile à l'échelon du praticien que la proposition d'un sevrage tabagique aux fumeurs, mais tout aussi indispensable.