CBNPC : quels tests moléculaires effectuer ?
Dans ce contexte où le profil moléculaire devient un critère essentiel pour guider le choix du traitement, l’Institut national du cancer (INCa) a mis en place un groupe de travail visant à élaborer de nouvelles recommandations à propos “des indications des tests moléculaires en vue de la prescription de traitements de précision dans les cancers bronchiques non à petites cellules” [2]. Ces nouvelles recommandations, publiées récemment, en janvier 2023, préconisent que les tests moléculaires soient réalisés systématiquement dans tous les CBNPC, au diagnostic à l’exception des CBNPC épidermoïdes du fumeur, suivant l’organisation locale, et en fonction de l’accès possible à des essais cliniques (figure 2, tableau I) [20] :
- stade précoce (tumeurs résécables IB à III) : recherche de mutations activatrices fréquentes de l’EGFR (L858R et délétions de l’exon 19) [2] ;
- stade III localement avancé avec des tumeurs non opérables : recherche de mutations de l’EGFR (exons 18 à 21) et du niveau d’expression de PD-L1 [2] ;
- stade métastatique : recherche indispensable avant la mise en place du traitement de 1re ligne : la recherche du statut PD-L1, des mutations de l’EGFR, de fusions d’ALK, de ROS1 et éventuellement de RET (si patient éligible dans un essai clinique) est indispensable (figure 2) [2]. En cas de CBNPC non épidermoïde, l’organisation du circuit des prélèvements tumoraux doit permettre un testing réflexe donnant un résultat en 7 jours si possible et au maximum en 14 jours. En cas d’urgence, l’identification des principales mutations addictives (mutation L858R et délétions de l’exon 19) doit pouvoir être réalisée dans un circuit très rapide.
Lorsqu’ils sont utilisés, les panels NGS doivent permettre de rechercher, au minimum (figure 2) [2] :
- les mutations de l’EGFR communes et rares (exons 18 à 21 incluant les insertions de l’exon 20), les mutations de KRAS et en particulier la mutation G12C, les mutations V600 de BRAF, les mutations dans l’exon 20 de HER2, les mutations de MET entraînant un saut de l’exon 14 ;
- et des fusions impliquant les gènes ALK, ROS1, RET et NTRK1/2/3.
En cas d’identification de mutation oncogénique, l’ensemble de ces anomalies moléculaires étant le plus souvent mutuellement exclusives, il n’est pas recommandé de pratiquer d’autres tests avant le traitement de 1re ligne [2].
En cas de progression de la maladie après une thérapie ciblée, les recommandations de l’INCa préconisent de rechercher par NGS, sur un prélèvement tissulaire en progression ou sur biopsie liquide, des altérations moléculaires de résistance pour guider la stratégie de traitement [2]. Cependant, la biopsie liquide ne détecte pas des transformations histologiques comme mécanisme de résistance à la thérapie ciblée chez les patients porteurs de tumeurs avec addiction oncogénique.
Depuis fin 2022, un séquençage du génome complet via le Plan France Médecine Génomique (plateformes SeqOIA et AURAGEN) peut être envisagé pour les patients atteints d’un cancer avancé en échec thérapeutique après une 1re ligne de traitement [2]. ■
CBNPC avancé et mutations rares
Mutations de l’exon 20 de l’EGFR
Des insertions de l’exon 20 de l’EGFR sont identifiées dans environ 2 % des adénocarcinomes bronchiques et les ITK anti-EGFR classiques n’ont pas montré d’activité dans cette population [3]. En revanche, des résultats prometteurs ont été rapportés chez des patients prétraités avec le mobocertinib, ITK anti-EGFR de 3e génération, dans une étude de phase I/II, et avec l’amivantamab (anticorps monoclonal bispécifique anti-EGFR et anti‑MET) dans l’essai de phase I, CHRYSALIS (tableau II) [3, 4]. Deux essais de phase III sont en cours, EXCLAIM (NCT04129502 : mobocertinib versus chimiothérapies) et PAPILLON (NCT04538664 : amivantamab + chimiothérapie versus chimiothérapie), afin de confirmer l’efficacité de ces 2 molécules en traitement de 1re ligne.
Pour la pratique.En 1religne, l’inclusion dans un essai clinique ou dans un traitement par chimiothérapie est recommandée [5]. Un accès précoce à l’amivantamab a été délivré en monothérapie dans le traitement des patients adultes atteints d’un CBNPC avancé avec mutation de l’EGFR par insertion dans l’exon20, après échec d’un traitement à base de sels de platine [5].
Mutations G12C de KRAS
Dans les CBNPC avancés, de nombreuses mutations de KRAS sont observées parmi lesquelles la plus fréquente est la mutation G12C, de mauvais pronostic, identifiée dans 14 % des cas d’adénocarcinomes bronchiques [5].
À ce jour, plusieurs inhibiteurs spécifiques et irréversibles de la protéine KRAS G12C ont été développés dont le sotorasib dont les résultats de l’étude de phase III CodeBREAK 200 viennent d’être publiés [6]. L’adagrasib a obtenu des résultats prometteurs dans l’étude de phase I/II, KRYSTAL 1 (tableau II) [6, 7].
Pour la pratique. Le sotorasib est actuellement indiqué en monothérapie dans le traitement des patients adultes atteints d’un CBNPC avancé, présentant la mutation KRASG12C, et dont la maladie a progressé après au moins 1 ligne de traitement systémique [5]. Lesotorasib est indiqué en 2eligne après chimiothérapie, dans le cadre d’un dispositif d’accès précoce post-AMM[5]. Dans les autres contextes, les patients doivent être orientés vers des essais cliniques, notamment en 1religne [5].
Mutation de BRAF
Le traitement des CBNPC avancés avec mutation V600E de BRAF (0,5 à 2,5 % des cas) repose sur l’association dabrafénib-tramétinib avec une activité comparable rapportée en 1re et 2e lignes (tableau II) [8].
Pour la pratique. L’association dabrafénib-tramétinib est disponible en France pour le traitement des patients atteints d’un CBNPC avancé avec mutation V600E deBRAF, en 2eligne et au-delà après échec d’une chimiothérapie et/ou d’une immunothérapie [2,5]. Pour le traitement de 1religne, l’inclusion dans un essai clinique quand elle est possible est recommandée [5].
Mutations de HER2
Des mutations de HER2 sont identifiées dans environ 3 % des CBNPC avancés [9]. Des résultats prometteurs ont été rapportés avec plusieurs molécules dans les CBNPC avec mutation de HER2, notamment avec le trastuzumab déruxtécan, anticorps conjugué anti-HER2, évalué dans l’essai de phase II, DESTINY-Lung 2, chez des patients prétraités par chimiothérapie et immunothérapie (tableau II) [9].
Pour la pratique. L’identification d’une mutation de HER2 dans l’exon 20 permet d’envisager l’inclusion du patient dans des essais cliniques [2].
Mutation de MET avec saut de l’exon 14
Plusieurs inhibiteurs spécifiques de MET, le crizotinib, le tépotinib et le capmatinib, ont été développés dans les CBNPC avancés avec mutation de MET entraînant un saut de l’exon 14 qui représentent environ 3 % des CBNPC (tableau II) [2, 10, 11]. ■
Pour la pratique. Le crizotinib peut être utilisé dans le cadre d’un accès compassionnel chez les patients atteints d’un CBNPC avancé avec mutation de MET exon 14, après au moins 1 ligne de traitement à base de doublet de platine associé ou non à une immunothérapie [2]. Le capmatinib et le tépotinib ont obtenu une AMM mais ne sont plus disponibles en accès précoce [2].
CBNPC et réarrangements/fusions rares
Fusions de ROS1
Les fusions de ROS1 sont rapportées dans environ 1 % des cancers bronchiques [12]. Au stade métastatique, les recommandations de l’INCa préconisent de rechercher systématiquement une fusion de ROS1 [2]. Les fusions de ROS1 peuvent être recherchées par immunohistochimie (IHC) ou par RNAseq si le délai de rendu des résultats le permet [2]. Si le marquage des cellules ROS1 est positif en IHC, le résultat doit être confirmé ensuite par la biologie moléculaire [2].
À côté du crizotinib, de l’entrectinib et du répotrectinib, d’autres inhibiteurs de ROS1 (céritinib, lorlatinib, brigatinib, taletrectinib) sont en cours de développement [12-17].
Pour la pratique. Le crizotinib dispose d’une AMM et d’un remboursement en 2e ligne dans les CBNPC avancés avec réarrangements/fusions de ROS1 (tableau III) [2]. L’entrectinib a une AMM dans les CBNPC avec réarrangement/fusion de ROS1 mais a reçu un avis défavorable au remboursement [5]. Le répotrectinib bénéficie d’une autorisation d’accès compassionnel [5].
Réarrangements/fusions de RET
Au total, 1 à 2 % des CBNPC avancés présentent un réarrangement/fusion de RET [18]. Les recommandations de l’INCa préconisent la recherche d’anomalies de RET si le patient est éligible à un essai clinique, les inhibiteurs de RET, le selpercatinib et le pralsétinib ayant une AMM dans cette indication mais pas encore de remboursement [2].
Ces 2 molécules poursuivent leur développement en phase III (LIBRETTO-43 et ACCELERET) en 1re ligne versus chimiothérapie à base de platine avec ou sans immunothérapie [5, 18, 19].
Pour la pratique.Le selpercatinib et le pralsétinib sont indiqués dès la 1religne (AMM européenne) et un avis favorable de la Commission de la Transparence a été rendu à partir de la 2eligne chez les patients présentant un CBNPC avec réarrangement de RET, prétraités par une chimiothérapie à base de platine (mais remboursement pas encore effectif ) [5].
Réarrangements/fusions de NTRK
Du fait de la prévalence particulièrement faible (< 1 %) des réarrangements/fusions de NTRK dans les CBNPC, l’activité des inhibiteurs de NTRK, le larotrectinib et l’entrectinib, a été évaluée dans des essais basket [20, 21].
Pour la pratique.L’inclusion dans un essai clinique est à privilégier[5]. La détection d’une fusion d’un des gènes NTRK1/2/3 autorise la prescription du larotrectinib avec une AMM délivrée en cas de tumeur réfractaire aux traitements standard ou en l’absence d’alternative thérapeutique appropriée, mais sans remboursement pour les CBNPC [5].L’entrectinib est indiqué chez les patients adultes et pédiatriques âgés de 12 ans et plus, atteints de tumeurs solides exprimant une fusion du gène NTRK : ayant une maladie au stade localement avancé ou métastatique ou pour laquelle une résection chirurgicale risquerait d’entraîner une morbidité sévère, et non précédemment traités par un inhibiteur de NTRK lorsqu’il n’existe aucune option thérapeutique satisfaisante. Mais avis défavorable de la HAS [5].
Conclusion
Le profilage moléculaire des CBNPC au stade avancé en particulier est devenu un critère déterminant pour le choix du traitement et favorise une approche thérapeutique personnalisée. Dans ce contexte très évolutif, l’existence de recommandations récentes est essentielle pour la pratique, en précisant les indications et les techniques des différents tests moléculaires et en apportant des informations sur les accès aux thérapies innovantes en France. Elles permettent de restreindre la prescription d’un certain nombre de traitements aux seuls patients susceptibles d’en bénéficier et ainsi de réduire le nombre de traitements inutiles, toxiques et coûteux.■