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Éditorial

Maintenir le lien…


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“Si je rêve tout seul, c’est uniquement un rêve.
Si nous rêvons ensemble, c’est le début de la réalité.”
Proverbe brésilien

La pandémie de Covid-19 a profondément changé nos relations professionnelles, en impactant de façon durable notre manière de communiquer et de travailler ensemble. Il y aura un avant et un après Covid, nous le sentons tous. Mais comment continuer à faire avancer la recherche contre le cancer, avec enthousiasme, dynamisme et efficacité, dans le nouveau monde qu’est devenu le nôtre, peuplé de web-conférences, web-émissions, podcasts, “web-meet the experts”, et autres mystérieux anglicismes qui signifient en fin de compte : “On communique, mais sans se voir physiquement” ? Qu’adviendra-t-il des congrès, lieux privilégiés d’échanges et de rencontres scientifiques ? Cette période inédite de l’histoire de l’humanité contemporaine, dominée par le leitmotiv de la “distanciation sociale”, va-t-elle faire perdurer cette distance entre nous ? Les avancées médicales, et indirectement nos patients, vont-elles en pâtir ? Ce numéro de la rentrée dont le dossier est dédié à l’édition 2023 du congrès américain en oncologie clinique est l’occasion de réfléchir sur ce que seront les échanges scientifiques de demain, et comment continuer à favoriser l’émulation scientifique dans ce nouvel horizon.

Pourquoi certains ne se déplacent-ils plus ?

La pandémie a indéniablement entraîné un certain repli sur soi, avec une habitude qui s’est installée de ne plus se déplacer…en tout cas pour le travail. Les outils numériques développés et entrés dans nos vies à la vitesse de l’éclair se sont imposés d’abord par obligation et désormais par commodité. Extrêmement pratiques, il est vrai qu’ils permettent des échanges rapides que nous n’aurions jamais pu avoir ainsi aupar­avant. À cela s’ajoutent les réseaux sociaux qui, en temps réel, fournissent, tels des journaux hebdo­madaires, les nouvelles du domaine d’intérêt, postées par ceux qui ont pu se déplacer. Parallèlement, les canaux plus classiques tels que la presse médicale spécialisée continuent de nous offrir une formation de qualité. Dès lors, difficile dans notre quotidien surchargé de médecins cliniciens, dans un contexte de pénurie médicale démographique criant, de décider de “partir” pour se former. Certains justifieront également leur immobilité par la conscience écologique croissante devant le réchauffement ­climatique évident, entraînant un désir de limiter leur impact ­carbone. Cet argument est pris très au sérieux par certains, renforcé par des preuves scientifiques de grande qualité, telles que la présentation en séance présidentielle à l’ESMO 2022 par Swanton et son équipe (concrétisée par une publication dans la revue Nature) sur le lien désormais prouvé entre particules fines et genèse du cancer bronchique [1]. Preuve en est la multiplication des articles sur ce sujet telle une prise de conscience. Par exemple, la Société américaine de médecine tropicale et d’hygiène a montré que le déplacement de 4 834 participants venant de 110 pays de 6 continents différents à leur congrès mondial aux États-Unis, ­correspondait à 27,7 millions de miles ­parcourus, soit 58 allers-retours vers la lune, entraînant 8 646 tonnes de CO2 émis, soit l’empreinte ­carbone hebdomadaire de 9 366 ménages américains [2]. Ils ­préconisent, sans balayer les réunions présentielles, de repenser les rencontres en favorisant les réunions par continent et d’utiliser d’autres canaux pour les échanges à plus longue distance.

Les réunions et congrès virtuels sont-ils donc la solution ? Les organisateurs du Consortium des universités de santé globale ont montré dans le bilan de leur réunion annuelle 2021 (100 % virtuelle) un taux de non-connexion de 24 %, et seules 46 % des personnes restaient connectées jusqu’à la fin d’une séance [3]. Les échanges sont ainsi d’une autre qualité, avec probablement une attention plus labile et une facilité accrue et tentante de se déconnecter au sens propre, comme au sens figuré.

Alors allons-nous réellement nous ­déconnecter les uns des autres ?

Les réunions virtuelles ne pourront jamais remplacer les commentaires sur le vif, spontanés, glissés à l’oreille de nos collègues (souvent devenus amis) et voisins de siège. Elles ne permettront plus les discussions informelles entre 2 séances, autour d’un café pour échanger nos impressions sur les résultats dévoilés, ou faire l’ébauche de l’essai clinique du lendemain sur le coin d’une table. Les grandes aventures démarrent souvent ainsi, dans l’anecdote d’un instant inattendu. Ces moments où, dans l’émulation intellectuelle et le secret de la convivialité, nous avons laissé la chance à la sérendipité d’être parmi nous. Encore faut-il être ouvert, disponible à la rencontre. Parce que la rencontre, au sens philosophique du terme, qui est sous-tendue par un projet commun qui emporte notre enthousiasme (ici la recherche contre le cancer), exacerbe en nous le désir d’agir, nous fait prendre conscience que nous existons pour une cause noble au sein de notre profession. Exister vient du latin “ex” qui signifie “sortir de” et “sistere” pour “se tenir, faire tenir” : exister, c’est sortir de soi et être projeté vers l’autre, chose que l’on ne peut vivre pleinement qu’en présence de l’autre. Ainsi, dans le sillon de la philosophie dialectique hégélienne, la richesse des rencontres nous permet également de nous accomplir.

En fin de compte, la solution est en chacun de nous, il n’y a pas de jugement de valeur possible. Il y a probablement une balance intelligente des différents canaux de communication qui s’offre désormais à nous pour continuer à maintenir le lien scientifique et humain, selon nos possibilités, convictions et contraintes. Tous ces moyens sont complémentaires. Tous ces moyens nous permettront de continuer à nous rencontrer, car comme l’a développé le philosophe de l’altérité, Martin Buber, dans son œuvre Je et Tu : “La vraie vie est rencontre” [4]. Alors, pour que continue la lutte contre le cancer, rencontrons-nous… quel qu’en soit le moyen.■

Références

1. Hill W et al. Lung adeno­carcinoma promotion by air pollutants. Nature 2023;616(7955):159-67.

2. Bousema T et al. Reducing the carbon footprint of academic conferences: the ex­ample of the American Society of Tropical Medicine and Hygiene. Am J Trop Med Hyg 2020;103(5):1758-61.

3. Li MW et al. Replacing an ‘In-Person’ Global Health Annual Conference With a Virtual Format: A Case Study from the Consortium of Universities for Global Health. Ann Glob Health 2022;88(1):23.

4. Buber M. Je et Tu. Paris: Aubier-Montaigne, 2012.


Liens d'intérêt

C. Decroisette déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en ­relation avec cet article.

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