L'épidémie de Covid-19 s'est abattue sur l'Europe sans qu'aucune autorité scientifique ou politique n'ait pu l'anticiper ou l'annoncer clairement, sans qu'aucune mesure préventive n'ait pu empêcher le déferlement de la maladie. Pourtant, les médias traditionnels et les réseaux sociaux, depuis décembre, n'ont guère été avares en matière d'information : des premiers cas chinois aux mesures drastiques de confinement adoptées dans l'urgence par les pays voisins, rien ne nous aura été épargné. Mais, malgré les lumières du phare dans la tempête, les marins à bord du vaisseau européen n'en ont pas tenu compte, et le navire est venu s'échouer sur les hauts-fonds. C'est un peu comme si la plupart d'entre nous avaient relégué ces images angoissantes à un rêve désagréable duquel on émerge en se rassurant… puisqu'il n'est pas réel. Évidemment, le hiatus entre le nombre somme toute minime des décès annoncés en Chine et la sévérité extrême des mesures prises aurait dû nous faire réfléchir. Nous avons, pour la grande majorité d'entre nous, malgré les images qui nous venaient d'Asie puis celles qui arrivaient d'Italie, fait preuve d'un admirable déni devant la progression de l'épidémie vers l'Ouest. Mais tout cela a été rabâché depuis ces 3 derniers mois, et il n'est pas utile d'y revenir.
Nous ne savons pas comment la situation épidémique va évoluer à moyen terme, car si le nombre de cas diminue, si les hospitalisations et les décès liés à la Covid-19 diminuent aussi actuellement, une résurgence reste possible, comme cette nouvelle apparition de cas à Pékin, et cette recrudescence de cas en Iran et en Corée du Sud.
Quand on fait le compte du nombre de décès liés à la Covid-19 rapporté à 100 000 habitants, d'importantes disparités apparaissent entre les pays. Ces différences peuvent s'expliquer par des politiques de confinement plus ou moins rapides, par l'application plus ou moins stricte des mesures barrières, par l'apparition de foyers épidémiques pouvant rapidement saturer les systèmes de santé et par le système de santé lui-même incluant la capacité à réaliser des tests et à disposer de masques et le nombre de lits disponibles pour l'accueil en hospitalisation en unité Covid ou en réanimation.
Le confinement aura été efficace en permettant d'endiguer l'avancée de la maladie. La capacité à mobiliser du personnel médical et paramédical rapidement est aussi, bien évidemment, un élément important dans l'organisation face à la crise, on l'a vu lors de l'appel à l'aide du directeur de l'AP-HP.
Le modèle suédois d'absence de confinement aura montré ses limites, avec un nombre de décès de 48,5/100 000 habitants versus 44,1/100 000 en France (source : European Center for Disease prevention and Control, 17 juin). La Russie a montré sa capacité à gérer cette crise, avec un nombre de décès d'environ 5/100 000, alors que le nombre de contaminations (374/100 000) est plus important qu'en France (235/100 000 contaminations et 44 décès/100 000) et légèrement en dessous de celui du Royaume-Uni (448/100 000 contaminations et 63 décès/100 000). La fermeture rapide de la frontière avec la Chine, effective dès le 30 janvier, la capacité à déployer des tests à grande échelle (plus de 10 millions de tests réalisés), le nombre important de ventilateurs disponibles (plus qu'aux États‑Unis en rapport démographique) ont permis à la Russie de gérer cette crise mieux que de nombreux pays européens, malgré le lourd tribut payé par les personnels soignants [1]. Au contraire, une mise en confinement tardive (fermeture des écoles et universités le 23 mars), l'application facultative des gestes barrières (une protection du visage devient obligatoire dans les transports en commun londoniens à partir du 15 juin), le déficit en lits, le développement de l'épidémie dans un milieu urbain surpeuplé, tout cela a contribué à faire de l'Angleterre le pays d'Europe le plus impacté par la crise.
Un coup d'œil sur le passé témoigne du fait que la mesure de confinement face à une épidémie n'est pas nouvelle, puisqu'elle existait déjà avant même la découverte des bactéries ou des virus. Au XIIIe siècle, Giovanni Boccaccio décrit en préambule du Décaméron la retraite divertissante de 3 jeunes hommes en compagnie de 7 jeunes femmes dans un château juché sur une colline aux environs de Florence afin de fuir la peste qui faisait rage dans le pays. Plus proche de nous, sous la régence, la peste se déclare à Marseille en juin-juillet 1720. Le 31 juillet, le parlement de Provence établit un cordon de troupes pour interdire la sortie de Marseille ; à Toulon, on se confine. Avec l'épidémie de choléra qui s'abat sur Paris en 1832, ceux qui le peuvent fuient la ville dès les premiers jours du mois de mars pour se retirer à l'écart dans les campagnes. Pendant la grippe espagnole de 1918‑1919, des mesures de confinement ont aussi été appliquées dans le monde dans certaines villes (fermeture de lieux publics) mais pas de façon généralisée. Il en fut ainsi aussi du port du masque pour les personnels soignants.
Tout cela n'est donc pas nouveau. Ce qui l'est davantage, ce sont les moyens modernes à notre disposition, qui ont permis à chacun d'entre nous de garder le contact avec nos proches, de pouvoir dialoguer et se voir, de pouvoir accéder encore, et malgré l'isolement, à la culture et aux divertissements et de pouvoir aussi continuer de travailler de la maison…
Cette expérience que nous avons vécue a mis en évidence une grande solidarité à l'échelon individuel mais aussi sociétal, avec les mesures de chômage partiel prises dès le début du confinement, et un soutien massif de la Sécurité sociale aux établissements de soins, qu'ils soient privés ou publics, avec un plan de financement s'étalant de mars à décembre.
Cette crise a aussi montré que notre système de soins est perfectible, que la politique de fermeture des lits à tout prix, que les restrictions budgétaires, que la surcharge administrative au détriment des personnels soignants, en un mot la gestion du secteur médical comme une entreprise qui doit être rentable, entravent l'hôpital. Quelques mois avant la crise, les personnels soignants manifestaient pour demander plus de moyens. Qui a écouté ces Cassandre ? Combien de milliards d'euros auraient pu être économisés sur la crise économique actuelle pour quelques millions d'investissements supplémentaires chaque année dans le système de santé ?II