Éditorial

Infections à bactéries multi­résistantes et cirrhose : il faut …, et en même temps …


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Tout le monde s'inquiète du dérèglement climatique. En France, pays de la COP21, nous jugeons sévèrement le désengagement du président américain. Pourtant, bien peu d'entre nous ont entrepris d'améliorer significativement leur bilan carbone en renonçant à prendre leur voiture pour aller au travail ou l'avion pour aller se détendre au soleil.

Tout le monde s'inquiète de la résistance des bactéries aux antibiotiques. La solution serait de prescrire moins d'antibiotiques. Mais c'est impossible, répondent les médecins français, nous ne pouvons pas mettre nos patients en danger au nom de l'intérêt général. À les entendre, il y aurait là une contradiction qui conduirait à une aporie sur le plan éthique. Pourtant, nombreux sont les pays qui font mieux que nous. La France se situe au 3e rang européen pour la consommation d'antibiotiques en ville et au 8e en milieu hospitalier, loin devant les Pays-Bas et la Suède. Rien n'indique cependant que les Néerlandais ou les Suédois meurent davantage que les Français d'infections bactériennes foudroyantes.

Les hépatologues sont aujourd'hui confrontés à une augmentation rapide de l'incidence des infections à bactéries multirésistantes (BMR) chez leurs patients cirrhotiques. Cela les conduit à recourir de plus en plus souvent à des antibiotiques à large spectre. Mais comment faire alors pour sortir de ce cercle délétère et éviter de contribuer à la progression de l'antibiorésistance ?

Il convient peut-être de se rappeler qu'après les droits de l'Homme et la COP21, la France est aussi le pays de Blaise Pascal. La pensée pascalienne postule que c'est en énonçant correctement les termes d'une contradiction que l'on peut parvenir à la résoudre (1).

Comment développe-t-on une infection à bactérie résistante ? Cela se passe habituellement en 2 temps, car il faut avoir été préalablement colonisé par cette bactérie résistante. Deux facteurs vont concourir à cette colonisation :

  • la prise d'un antibiotique. Elle s'accompagne d'un effet indésirable constant qui est l'altération des microbiotes (digestif, cutané, etc.) par sélection des bactéries résistantes. Tous les antibiotiques sélectionnent. Il n'y a pas d'antibiothérapie “sans risque”. Mais, bien évidemment, cette pression de sélection est d'autant plus forte que le spectre de l'antibiotique prescrit est plus large ;
  • l'exposition à l'environnement bactérien. Dans notre environnement quotidien, il y a encore peu de bactéries résistantes. En revanche, elles sont particulièrement fréquentes dans les établissements de santé qui concentrent les malades porteurs de bactéries résistantes et où l'environnement peut être contaminé par leurs excreta. Bien évidemment, cette pression de colonisation est d'autant plus forte que les règles d'hygiène sont mal respectées.

Lorsque l'on associe ces 2 facteurs, c'est-à-dire lorsque l'on prescrit un traitement antibiotique à un patient hospitalisé, le risque d'acquisition de bactéries résistantes est démultiplié, car non seulement les pressions de sélection et de colonisation s'associent, mais, en plus, la résistance à la colonisation s'effondre. En effet, tant que les microbiotes sont préservés, les bactéries résistantes de l'environnement ont du mal à s'insérer et sont éliminées. Mais, sous l'effet du traitement antibiotique, le champ est libre, elles peuvent s'implanter et se multiplier. Et cette colonisation par des bactéries résistantes va perdurer plusieurs semaines à plusieurs mois.

Comment résoudre cette contradiction, c'est-à-dire traiter correctement les malades sans contribuer à augmenter l'antibiorésistance ? Un concept a été popularisé lors des dernières élections présidentielles à travers l'expression du candidat Macron : “en même temps”. Les hépatologues, qui sont comme chacun sait des femmes et des hommes de concept, pourraient en faire leur miel : il faut traiter les infections à BMR des patients cirrhotiques par des antibiotiques à large spectre ; en même temps, il faut tout faire pour qu'ils ne soient pas infectés par des BMR.

En 2002, seules 1,2 % des infections à entérobactéries étaient résistantes aux céphalosporines de troisième génération (C3G). Quinze ans plus tard, les choses ont bien changé. De nombreuses études, sur tous les continents, ont montré une progression rapide de l'incidence des infections à BMR chez les patients cirrhotiques, une augmentation du taux d'échec de l'antibiothérapie probabiliste par les C3G et un taux élevé de décès dus à ces infections. L'étude RESIST, qui a inclus en 2016, dans 42 centres français (14 CHU, 28 CHG), plus de 1 000 patients hospitalisés pour une complication de cirrhose, a confirmé ces données (2). L'incidence des infections bactériennes était de 36 % ; 14 % des germes isolés étaient des BMR (principalement des entérobactéries sécrétrices de β-lactamases à spectre étendu [EBLSE]), que ce soit dans les CHG ou dans les CHU. Ces infections à BMR étaient beaucoup plus fréquentes (20 %) en cas d'infection associée aux soins (c'est-à-dire chez un patient ayant eu un contact récent avec le système de soins) ou nosocomiale qu'en cas d'infection communautaire (5 %). Surtout, lorsque le clinicien jugeait que l'antibiothérapie initiale avait été inefficace, la mortalité hospitalière était de 41 %, contre 12 % en cas d'antibiothérapie efficace.

Il est donc crucial de prescrire d'emblée une antibiothérapie efficace. En 2014, un groupe d'experts de l'European Association for the Study of the Liver (EASL) a formulé de nouvelles recommandations (3).
En ce qui concerne les infections communautaires, l'antibiothérapie probabiliste reste fondée sur les C3G. En revanche, pour les infections nosocomiales et certaines infections associées aux soins, il est maintenant recommandé de recourir d'emblée à une antibiothérapie à large spectre. Ne pas le faire serait une perte de chance pour nos patients.

Pour autant, il existe une autre forme de perte de chance pour les patients, moins visible, mais tout aussi réelle. Celle qui consisterait à être hospitalisé dans un service où les germes résistants présents seraient multiples dans l'environnement, où les règles d'hygiène seraient mal respectées et où des antibiothérapies inutiles seraient prescrites. Cela augmenterait la probabilité d'être colonisé, puis de développer une infection à bactérie résistante pour laquelle l'antibiothérapie probabiliste pourrait échouer. De cela aussi nous devons être particulièrement soucieux.

Il nous faut donc respecter scrupuleusement les règles de l'antibiothérapie. En particulier, éviter les antibiothérapies inutiles en cas de pic fébrile, d'infection virale, de banale bronchite, de simple colonisation urinaire, etc. Il faut désescalader pour un antibiotique à spectre plus étroit dès lors que l'antibiogramme le permet et réduire la durée de l'antibiothérapie au strict nécessaire.

Il convient aussi de respecter scrupuleusement les règles d'hygiène et de mettre en place des mesures d'isolement drastiques lors de toute infection à BMR.

C'est ainsi que nous limiterons la colonisation des microbiotes de nos patients par des bactéries résistantes et que nous pourrons leur éviter des infections à BMR.

Pour le dérèglement climatique, c'est un petit peu plus compliqué.

Références

1. Blaise Pascal. Pensées. Paris : Guillaume Desprez ; 1670.

2. Pauwels A, Meunier L, Boivineau G et al. Resistant bacterial infections in cirrhosis : a French observational prospective multicentre nationwide study (RESIST study). J Hepatol 2017;66:S131-2.

3. Jalan R, Fernandez J, Wiest R et al. Bacterial infections in cirrhosis : a position statement based on the EASL Special Conference 2013. J Hepatol 2014;60;1310-24.

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