Les inhibiteurs de points de contrôle immunitaire (ICI) anti-PD-1, anti-PD-L1 ou anti-CTLA-4 ont démontré une efficacité spectaculaire dans les tumeurs digestives avec une déficience du système de réparation des erreurs de réplications de l'ADN (dMMR/MSI) [1-3]. L'utilisation de certains ICI a également montré une amélioration significative de la survie globale des patients souffrant d'un cancer de l'œsophage en situation métastatique [4, 5] ou adjuvante après radiochimiothérapie [6], d'un adénocarcinome gastrique métastatique [7, 8] ou d'un carcinome hépatocellulaire avancé [9]. Des AMM européennes ont été obtenues pour le traitement de ces différents cancers digestifs. Cependant, l'efficacité des ICI actuellement utilisés reste limitée à une partie seulement des patients, et même en cas de tumeurs dMMR/MSI, il existe certains cas de résistances primaires ou secondaires. Plusieurs approches sont possibles pour améliorer les résultats de l'immunothérapie ou élargir la population de patients pouvant en bénéficier. La première consiste à mieux sélectionner les patients à traiter par ICI. D'autres approches ont pour objectif d'associer le traitement par ICI avec un traitement capable de rendre la tumeur plus immunogène (radiothérapie, chimiothérapie, thérapie ciblée), à combiner plusieurs ICI et/ou utiliser des ICI inhibant d'autres cibles que PD-1, PD-L1 ou CTLA-4, à élaborer des anticorps bispécifiques ou des lymphocytes T récepteurs d'antigènes chimériques. Enfin, l'immunothérapie pourra peut-être permettre une désescalade de chimiothérapie cytotoxique ou une épargne chirurgicale dans certaines populations.
Meilleure sélection des patients à traiter par immunothérapie
Actuellement, le facteur prédictif d'efficacité des ICI le plus puissant est le phénotype tumoral dMMR/MSI. Cette caractéristique tumorale doit être systématiquement recherchée en cas d'adénocarcinome colorectal, de la jonction œsogastrique, de l'intestin grêle ou des voies biliaires, mais également en cas d'adénocarcinome du pancréas. Le “combined positive score” (CPS) évaluant la positivité du tissu tumoral pour PD-L1 a été décrit comme facteur prédictif de l'efficacité des ICI dans le traitement des cancers œsogastriques dans plusieurs études, et son niveau conditionne certaines AMM. Ce score ne permet pas toutefois une sélection suffisamment fine des patients qui vont bénéficier des ICI. D'autres marqueurs biologiques comme la charge mutationnelle élevée ou l'infiltrat immunitaire tumoral pourraient prédirent l'efficacité des ICI. Dans les cancers colorectaux, l'essai de la FFCD 1703 - POCHI va évaluer la valeur prédictive de l'infiltration immunitaire dans ce cas.
Augmenter l'efficacité des ICI
Plusieurs moyens sont envisagés pour augmenter l'efficacité des ICI [10]. L'irradiation provoque l'apparition de néoantigènes et augmente la sécrétion de cytokines pro-inflammatoires. Ces effets pourraient favoriser l'action des ICI y compris à distance de la tumeur irradiée. Il s'agit de l'effet abscopal. Des essais sont en cours pour vérifier cette hypothèse.
Certaines chimiothérapies pourraient favoriser l'apparition de mutations immunogènes. Un exemple est le témozolomide qui provoque cet effet, notamment si la tumeur exprime faiblement la 6-O-méthylguanine-ADN méthyltransférase (MGMT), une enzyme qui dégrade le témozolomide. L'association témozolomide + ICI est en cours d'évaluation [11].
Certaines thérapies ciblées pourraient avoir une action synergique avec les ICI. Les antiangiogéniques ont certaines propriétés immunomodulatrices. L'association atézolizumab + bévacizumab a montré son efficacité dans le traitement des carcinomes hépatocellulaires, mais des résultats contradictoires sont obtenus lorsqu'elle est administrée conjointement avec la chimiothérapie dans les cancers colorectaux [12, 13].
Combinaisons d'ICI
L'association d'anti-PD-1 et d'anti-CTLA-4 a montré une plus grande efficacité qu'un traitement par anti-PD-1 seul dans le traitement des cancers colorectaux dMMR/MSI [1]. D'autres associations avec des inhibiteurs de points de contrôle immunitaire différents de PD-1/PDL-1 ou CTLA-4 font l'objet de nombreuses études dans les cancers des poumons [14] et sont également à l'étude dans les cancers digestifs. Il s'agit notamment d'anti-TIGIT (T-cell immunoreceptor with the Ig and ITIM domain) comme le vibostolimab ou le tiragolumab, d'anti-TIM-3 comme le sabatolimab, d'anti-LAG-3 comme l'ieramilimab ou le relatlimab.
Nouvelles approches : anticorps bispécifiques, CART-cells
Les anticorps bispécifiques sont capables de cibler 2 antigènes simultanément [15]. Cette approche est particulièrement intéressante pour unir les cellules immunitaires effectrices aux cellules tumorales. Par exemple, le CEA-TCB cible à la fois l'antigène carcinoembryonnaire (ACE) exprimé par les cellules tumorales et les cellules T exprimant CD-3. D'autres cibles existent sur les cellules tumorales comme EpCAM ou HER2. La technologie a récemment évolué avec les BiTE qui sont des anticorps bispécifiques à chaîne unique, mais avec 2 fragments reconnaissant 2 antigènes différents successifs. Ces molécules sont capables d'induire une synapse immunologique comparable aux synapses naturelles et ainsi d'induire une cytotoxicité à très faible dose. Les premières applications ont été réalisées en hématologie.
Les lymphocytes T porteurs de récepteurs antigéniques chimériques (CART-cells) sont issus d'une technologie lourde, mais qui a fait ses preuves en hématologie. Il s'agit de lymphocytes T du patient modifiés génétiquement pour reconnaître un antigène exprimé par les cellules cancéreuses. Les lymphocytes T exprimant le récepteur chimérique spécifique sont multipliés ex vivo puis réinjectés au patient. Plusieurs essais sont en cours, notamment dans les tumeurs digestives, mais ils se heurtent, d'une part, à une spécificité insuffisante des antigènes ciblés (ACE, EPCAM, ERBB2, etc.) avec des risques d'effets “off target” induisant des toxicités sévères, et, d'autre part, à une mauvaise accessibilité des tumeurs aux CART-cells [16]. Une étude de phase I a évalué des CART-cells ciblant la claudine 18.2 dans le traitement de cancers de l'estomac et du pancréas échappant à la chimiothérapie et exprimant la claudine 18.2. Le taux de réponse était de 48 % et la survie globale de 9,5 mois sans toxicité rédhibitoire [17]. Une autre approche intéressante pourrait être l'instillation locale des CART-cells dans le site tumoral, intrapéritonéal ou intrahépatique, par exemple.
L'immunothérapie : une arme de désescalade thérapeutique
Dans les cancers de l'œsophage, il a été montré dans l'étude CHECKMATE 648 [5] que l'association nivolumab + ipilimumab avait des résultats comparables en termes de survie globale à ceux obtenus avec la chimiothérapie par 5FU + cisplatine en 1re ligne thérapeutique. Il y aurait donc une place pour l'utilisation de l'immunothérapie seule à la place de la chimiothérapie si cette denière présente un risque de toxicité pour les patients.
Dans les tumeurs localisées colorectales ou gastriques de phénotype dMMR/MSI, les excellents résultats des ICI pourraient autoriser une stratégie de surveillance simple après immunothérapie et ainsi permettre une épargne chirurgicale, notamment chez des patients à risque opératoire [18, 19].
Conclusion
L'immunothérapie a permis des avancées majeures dans le traitement de certaines tumeurs digestives. Des perspectives encourageantes existent avec des combinaisons de nouveaux ICI ou d'autres thérapeutiques pour obtenir une efficacité dans les tumeurs dites “froides”. De nouvelles approches avec des anticorps bispécifiques ou des thérapies cellulaires sont en cours d'évaluation. Enfin, de nouvelles stratégies sont à élaborer pour déterminer la place de l'immunothérapie dans l'arsenal de plus en plus fourni dont nous disposons pour le traitement des cancers digestifs (chimiothérapies cytotoxiques, thérapies ciblées, traitement local chirurgical, radiologique ou par radiothérapie).