Le carcinome hépatocellulaire (CHC) est le cinquième cancer et la troisième cause de décès par cancer dans le monde. L'élaboration de la classification BCLC (Barcelona Clinic Liver Cancer) a été un tournant dans le développement thérapeutique, car elle a permis de classer les patients en 5 groupes en fonction de leur pronostic et ainsi de définir des groupes homogènes de patients dans les essais randomisés (1). Ce regroupement en 5 stades a permis d'élaborer des hypothèses statistiques robustes en matière de puissance basée sur la survie attendue des groupes contrôles :
- stades précoces : stade 0 (Child A, nodule < 2 cm [T1N0M0]) et stade A (Child A ou B, nodule unique ≥ 2 cm ou 2 à 3 nodules ≤ 3 cm) ;
- stade intermédiaire : stade B (Child A ou B avec plus de 3 nodules) ;
- stade avancé : stade C (multinodulaire non accessible à la chimioembolisation et/ou N1 ou M1) ;
- stade symptomatique ou stade D (Child C ou performance status ≥ 2).
Les patients de stades 0 et A sont candidats à un traitement curatif (transplantation, résection chirurgicale, destruction percutanée), les patients de stade B, à une chimioembolisation ou à une thérapie ciblée en cas d'impossibilité technique pour la chimioembolisation, les patients de stade C, candidats à une thérapie ciblée, tandis qu'aucune option thérapeutique ne peut être proposée aux patients de stade D. La survie à 5 ans varie de 70 à 80 % chez les patients des groupes 0 et A à moins de 5 % chez les patients de stade D (1). En conséquence, il est urgent de diagnostiquer les patients à un stade précoce. Afin d'atteindre cetobjectif, le dépistage semestriel du CHC a été recommandé par l'EASL et l'AASLD, recommandation dont la pertinence a été confirmée par les études de cohortes comparant la survie des cirrhotiques ayant bénéficié d'un dépistage semestriel par rapport à ceux n'ayant pas été dépistés (2). Une étude de modélisation a observé qu'un dépistage optimal pourrait augmenter l'espérance de vie de 11 mois et réduire la mortalité à 5 ans de 6 % (3).
La dernière décennie a été riche en évaluation de nouvelles molécules dans le cadre d'un partenariat entre chercheurs et industrie pharmaceutique. Ce développement a ciblé les patients BCLC-C en raison de leur mauvais pronostic et de l'absence d'alternative avant l'étude randomisée Scharp (4). L'étude Sharp avait démontré une augmentation de la survie des patients randomisés dans le groupe sorafénib par rapport aux patients traités par placebo. Cette augmentation de la médiane de survie, bien que modeste (10,7 versus 7,9 mois), était hautement significative, avec un hazard-ratio à 0,69 (IC95 : 0,55-0,87 ; p < 0,001), et de surcroît associée à un allongement du temps de progression tumorale (5,5 versus 2,8 mois ; p < 0,001) [4].
Le sorafénib est un multi-inhibiteur de tyrosine et sérine-thréonine kinases diminuant l'activité de signaux cellulaires interférant dans la prolifération (CRAF, BRAF, V600E BRAF, c-KIT et FLT-3) et la vascularisation (CRAF, VEGFR-2, VEGFR-3, et PDGFR-β) tumorales. L'étude Sharp est la pierre angulaire du développement thérapeutique du CHC car ayant été la première à permettre l'autorisation de mise sur le marché d'une molécule dans l'indication du CHC au stade avancé (BCLC-C ou BCLC-B inaccessible à un traitement locorégional).
Depuis la publication de l'étude Sharp, 3 études randomisées de phase III publiées sous forme d'articles originaux ont conclu à l'infériorité de nouveaux inhibiteurs de tyrosine kinase par rapport au sorafénib. La première étude randomisée de 1 555 patients a rejeté l'hypothèse de non-infériorité du brivanib, un inhibiteur de tyrosine kinase ciblant en particulier les voies de signalisation de FGF (Fibroblast Growth Factor) et de VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor) [5].
Dans une étude randomisée de 1 074 patients, les patients traités par sunitinib, autre inhibiteur multikinase, avaient une survie significativement inférieure à ceux traités par sorafénib (6). Dans une étude de 720 patients, l'association sorafénib et erlotinib, un inhibiteur de la tyrosine kinase du récepteur EGFR (Epidermal Growth Factor Receptor), n'était pas supérieure au sorafénib seul et était de plus reliée à une augmentation significative du taux d'effets indésirables (7). Les résultats décevants de ces 3 études de phase III n'ont pas empêché la poursuite de l'évaluation de nouvelles molécules. Une étude récente de 952 patients présentée en 2017 aux congrès de l'ASCO® et de l'AASLD (8) a conclu à la non-infériorité du lenvatinib par rapport au sorafénib, avec une survie globale similaire entre les 2 groupes : 13,6 mois (IC95 : 12,1-14,9) versus 12,3 mois (IC95 : 10,4-13,9). La survie sans progression était plus élevée dans le groupe lenvatinib que dans le groupe sorafénib (7,4 mois [IC95 : 6,9-8,8] versus 3,7 mois [IC95 : 3,6-4,6]), mais les taux et le type d'effets indésirables étaient similaires dans les 2 groupes. Ces résultats devraient permettre la mise à disposition d'une nouvelle molécule dans l'indication du traitement de première ligne du CHC au stade avancé.
Aucune molécule n'avait démontré d'efficacité chez les patients ayant une progression tumorale sous traitement par sorafénib (9) avant l'étude randomisée RESORCE (10). Cette étude de 573 patients ayant progressé sous sorafénib a démontré l'efficacité du regorafénib, inhibiteur multikinase au mécanisme d'action proche du sorafénib mais ayant une activité in vitro et in vivo plus importante sur les voies de signalisation impliquées dans la prolifération et l'angiogenèse tumorales. Les patients traités par regorafénib avaient une survie médiane significativement supérieure à celle des patients traités par placebo (10,6 [IC95 : 9,1-12,1] versus 7,8 mois [IC95 : 6,3-8,8]), un temps médian de progression tumorale plus long (3,2 [IC95 : 2,9-4,2] versus 1,5 mois [IC95 : 1,4-1,6]) et un taux plus important de contrôle tumoral (65 versus 36 %) [10]. La publication de cette étude est un progrès majeur car offrant enfin une deuxième ligne thérapeutique après progression tumorale sous sorafénib (10). L'Agence européenne des médicaments (EMA) a estimé que les bénéfices du regorafénib sont supérieurs à ses risques dans le CHC à un stade avancé, après progression sous sorafénib, et a recommandé l'approbation de l'utilisation de ce médicament au sein de l'Europe.
Parmi les études testant de nouvelles voies de signalisation cellulaire, celles évaluant l'immunothérapie suscitent un vif intérêt. Cette stratégie teste les anticorps dirigés contre les récepteurs PD-1 (Programmed Cell Death 1), qui sont de véritables points de contrôle de l'activité antitumorale médiée par les cellules T. Le récepteur PD-1 a un rôle clé dans un important mécanisme d'échappement des cellules cancéreuses consistant en la surexpression à leur surface du ligand PD-L1 (Programmed Death-Ligand 1) qui, en se fixant au récepteur PD-1 des lymphocytes T impliqués dans la réponse antitumorale, empêche leur activation (11). Les anticorps anti-PD-1 (nivolumab, pembrolizumab) ont une efficacité élevée, et leur utilisation est autorisée dans le mélanome, le cancer bronchique non à petites cellules et le cancer du rein à petites cellules. Une étude récente de phase II a testé plusieurs doses de nivolumab, anticorps anti-PD-1 chez des patients ayant un CHC à un stade avancé (12). L'administration bimensuelle à la dose de 3 mg/kg par mois a été considérée comme la plus optimale.
Un contrôle tumoral a été observé dans 64 % des cas, dont 19 % de réponse partielle et 45 % de stabilité tumorale (12). L'extension du suivi (13) a révélé une survie de 15 mois dans le groupe de patients prétraités par sorafénib et de 28,6 mois dans le groupe de patients traités en première ligne.
Sur la base de ces résultats, l'Agence américaine du médicament (FDA) a accordé une approbation accélérée au nivolumab pour le traitement de patients ayant un CHC, en deuxième ligne après résistance ou intolérance au sorafénib. À l'inverse, l'EMA a considéré que les données de cette étude non contrôlée étaient trop préliminaires pour obtenir une autorisation, ce d'autant que les résultats des études de phase III comparant le nivolumab au sorafénib en première ligne ou le pembrolizumab au placebo en deuxième ligne devraient être communiqués en 2018.
L'avenir du développement thérapeutique du CHC sera en partie lié à l'aptitude des cliniciens à remettre en cause certains dogmes ou pratiques. La classification de BCLC, progrès majeur des 20 dernières années, ne semble plus adaptée aux futurs enjeux. La classification TNM devrait être utilisée, et seuls les patients ayant une cirrhose compensée (Child A ou MELD bas) devraient être inclus, car les patients Child B ont un pronostic péjoratif en raison d'une augmentation importante du risque de décès compétitif, liée à la dysfonction hépatique (14). La confirmation histologique devrait être un prérequis à l'inclusion dans des essais.
En effet, l'enjeu principal reste de déterminer si l'hétérogénéité tumorale du CHC est liée à des différences en termes de mécanismes cellulaires de prolifération ou de résistance, qui exigeraient des traitements spécifiques, ou si cette hétérogénéité ne reflète que des modifications liées à une implémentation d'altérations de signaux cellulaires, sans effet sur la réponse au traitement (15).
En résumé, la prise en charge du CHC au stade avancé est en pleine évolution. L'autorisation d'utilisation du regorafénib par l'EMA en juin 2017 illustre les progrès réalisés. Pour la première fois, on dispose d'un traitement efficace en cas de progression tumorale sous sorafénib (10). L'année 2018 devrait être riche en matière de résultats ou d'autorisations de nouvelles molécules dans l'indication du traitement du CHC au stade avancé.