Le risque pour les voyageurs d'acquérir une entérobactérie multirésistante aux antibiotiques (EMR) dans sa zone d'endémie est connu depuis plusieurs décennies. Dès les années 1980, Barbara Murray et al. rapportaient la présence d'Escherichia coli résistante aux antibiotiques chez les voyageurs américains revenant du Mexique (1). À cette époque, la “multirésistance” était un concept qui inquiétait peu de monde, car ces souches demeuraient sensibles à un grand nombre de molécules, dont les céphalosporines de troisième génération, tandis que le développement continu de nouveaux antibiotiques laissait penser que l'on trouverait des solutions.
La situation est aujourd'hui bien différente, en raison de l'augmentation du nombre de voyageurs internationaux et des pandémies successives d'entérobactéries productrices de β-lactamases à spectre élargi (E-BLSE) et d'entérobactéries productrices de carbapénémases (EPC), en particulier dans les pays à faibles et moyens revenus.
Selon les études, les taux d'acquisition d'EMR lors d'un voyage varient de 21 à 51 % selon les régions visitées, et peuvent atteindre 80 % pour un voyage dans le sous-continent indien (2). Outre la destination du voyage, les facteurs de risque d'acquisition d'EMR durant le voyage retrouvés de façon récurrente sont la survenue de diarrhée et la prise d'antibiotiques. Par ailleurs, la durée de portage des EMR au retour semble courte, avec une médiane de 1 mois, même si certains voyageurs restent colonisés plus de 1 an.
Si le portage d'E-BLSE au sein du tube digestif est totalement asymptomatique, plusieurs études ont montré que les voyages internationaux représentent un facteur de risque majeur d'infection par E-BLSE, et notamment d'infection urinaire. Il est donc important que les médecins aient connaissance de ce risque, en cas de suspicion d'infection au retour de voyage. Il est maximal dans les 2 mois qui suivent le retour, et tend à diminuer pour disparaître 1 an après (3).
L'autre risque est, bien évidemment, celui de la dissémination hospitalière d'EMR en cas d'admission d'un porteur. Dans ce contexte, ce ne sont pas tant les E-BLSE, déjà endémiques dans nos hôpitaux, qui sont à craindre, mais les EPC, dont les épidémies hospitalières sont souvent redoutables. Même si le risque d'acquisition d'EPC chez les voyageurs sains est encore faible et concerne principalement l'espèce E. coli (dont la diffusion intra-hospitalière semble plus limitée que celle d'autres entérobactéries), il a quand même été estimé à 4 % après un voyage en Inde, et pourrait être en augmentation. En France, seuls les patients rapatriés ou ayant été hospitalisés à l'étranger doivent aujourd'hui être dépistés. Aucune recommandation n'a été émise concernant la prise en charge de patients ayant voyagé sans contact avec des structures de soins et potentiellement porteurs d'E-BLSE ou d'EPC. Des groupes de travail européens ont commencé à se mettre en place, et leurs conclusions sont très attendues.
Cliniciens et hygiénistes doivent être informés de ce risque, pour la mise en place d'un traitement probabiliste dans la prise en charge d'une infection au retour de voyage, mais également pour éviter le risque de dissémination hospitalière. En amont, il est nécessaire d'expliquer le risque d'acquisition d'EMR aux voyageurs lors de leur consultation dans les centres de vaccination, et d'insister sur les gestes préventifs et l'usage raisonné des antibiotiques lors des épisodes de diarrhée du voyageur.