Après avoir eu 66 millions d'épidémiologistes l'année dernière, la France compte cet été 66 millions de vaccinologues, capables de donner des avis autorisés sur l'efficacité, la sécurité et l'intérêt des vaccins anti‑Covid. L'un des mérites de ces discussions passionnées est d'avoir rappelé les bénéfices majeurs apportés par la vaccination depuis plus d'un siècle, et notamment l'éradication de certaines maladies très graves comme la variole et la quasi-éradication de maladies fréquentes graves ou invalidantes telles que, par exemple, la polyomyélite, la diphtérie ou le tétanos. À cette occasion, on a également évoqué la vaccination antigrippale et ses limites (nécessité d'une vaccination annuelle en raison des mutations du virus, efficacité souvent modérée, effets indésirables).
Pour le cardiologue, ce sujet a un intérêt particulier, car il existe des arguments sérieux pour penser que la vaccination antigrippale peut avoir un effet préventif réel sur la survenue d'accidents aigus cardiovasculaires, notamment d'infarctus du myocarde et d'accidents vasculaires cérébraux. On sait désormais que l'inflammation joue un rôle important dans la déstabilisation des plaques d'athérome et le déclenchement d'accidents artériels aigus, et on sait également que des infections virales, telles que la grippe, peuvent moduler la réponse inflammatoire. Plusieurs essais de petite taille avaient suggéré un effet bénéfique de la vaccination antigrippale sur la survenue d'infarctus du myocarde, mais une incertitude demeure. Pour répondre à cette question de façon claire, des investigateurs suédois ont mis sur pied un grand essai randomisé, l'essai IAMI : influenza vaccination after myocardial infarction, dont les résultats viennent d'être présentés lors du congrès de la Société européenne de cardiologie et sont publiés en ligne dans la revue Circulation [1]. Cet essai randomisé international en double aveugle a recruté, dans 30 hôpitaux de 8 pays, 2 571 patients coronariens hospitalisés pour infarctus du myocarde ou maladie coronaire “à haut risque”. Les participants ont été tirés au sort pour recevoir soit une injection intramusculaire du vaccin antigrippal, soit une injection de placebo, administrée en période d'épidémie grippale. Le critère de jugement principal était la combinaison du risque de décès (toute cause), d'infarctus du myocarde ou de thrombose de stent. L'étude a dû être interrompue prématurément en 2019 en raison de la survenue de la pandémie de Covid-19 qui a perturbé l'essai. Néanmoins, les résultats en sont extrêmement intéressants : après 12 mois de suivi, le critère de jugement principal est survenu chez 67 (5,3 %) patients du groupe vaccination contre 91 (7,2 %) du groupe contrôle (HR = 0,72 ; IC95 : 0,52-0,99 ; p = 0,040), avec également une réduction statistiquement significative du risque de décès toute cause (2,9 contre 4,9 % (HR = 0,59 ; IC95 : 0,39-0,89 ; p = 0,010)) et de décès cardiovasculaire (2,7 contre 4,5 % (HR = 0,59 ; IC95 : 0,39-0,90 ; p = 0,014)) dans le groupe vaccination. Le bénéfice est donc avant tout sur la mortalité, sans effet clair sur le risque d'infarctus du myocarde. Le bénéfice semble apparaître dès les 3 premiers mois post-vaccination. Les résultats paraissent homogènes dans les différents sous-groupes d'intérêt clinique et sont globalement concordants avec la littérature préexistante fondée sur de tout petits essais randomisés et sur des cohortes observationnelles (mais avec les limites de ces dernières).
Le mécanisme du bénéfice est encore incertain et pourrait impliquer soit les modifications non spécifiques de l'immunité et de l'inflammation, ou simplement la protection contre les événements cardiovasculaires induits par la grippe elle-même. Malgré les limites de l'étude (interruption prématurée, administration de vaccins trivalents pendant 2 ans et tétravalents pendant 2 ans), et compte tenu de l'ampleur du bénéfice observé, il est vraisemblable que l'essai IAMI va modifier les recommandations internationales de prise en charge des syndromes coronaires aigus et aboutir à une recommandation de classe IA de vaccination antigrippale chez les patients convalescents d'infarctus du myocarde. L'administration du vaccin avant la sortie de l'hôpital est probablement importante pour obtenir le bénéfice maximal. Vive la vaccination !