Éditorial

Les infectiologues et les migrants


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L'histoire des maladies infectieuses a souvent croisé celle des grandes migrations. Chaque déplacement de population est susceptible de redistribuer les cartes, en confrontant les migrants à de nouveaux risques infectieux, ou, plus rarement, en déplaçant, avec les populations, des pathogènes trop heureux d'élargir leurs zones d'influence. La capacité des pathogènes à se déplacer avec les populations ne connaît pas de frontière, ni géographique, ni microbiologique. Des exemples édifiants de transports transcontinentaux de virus (la rougeole aux Amériques), de bactéries (la syphilis en Europe), ou de parasites (la bilharziose en Corse), illustrent bien comment un pathogène peut s'implanter, souvent durablement, au sein d'une population jusque-là indemne, à l'occasion d'une migration. Notre XXIe siècle est au moins autant à risque que les précédents, en termes de déplacement de pathologies infectieuses, alors que les évolutions démographiques rapprochent les hommes des animaux réservoirs de zoonoses, que les voyages s'accélèrent et s'intensifient, que la démographie explose, et que de nombreux conflits poussent les populations à prendre des risques majeurs pour simplement survivre. Cependant, “l'explosion” attendue de maladies infectieuses émergentes dans ce contexte ne s'est pas produite et on recense finalement peu de nouvelles émergences liées aux voyages internationaux ou aux migrations.

Face à ces risques théoriques d'implantation de nouveaux pathogènes dans de nouveaux territoires, il est bien établi que l'étanchéité des frontières est un leurre. Ce n'est pas en construisant des murs, au propre ou au figuré, que l'on préviendra ces risques. Les migrants qui prennent la route (ou la mer, ou les airs) pour tenter de survivre, le font en général au prix de risques majeurs, et le renforcement des obstacles a comme principale conséquence de déplacer leurs trajectoires vers des chemins plus dangereux. Ces routes migratoires forcées augmentent leurs risques de contracter des pathologies infectieuses, et leur retard diagnostique. Or, mathématiquement, le risque de transmission des maladies infectieuses s'accroît avec le délai de prise en charge, non seulement par l'augmentation de la durée du risque de transmission, mais aussi parce que la contagiosité de nombreuses maladies infectieuses s'amplifie avec leurs stades évolutifs (tuberculose, VIH, etc.).

En termes de santé publique, une réponse efficace face à ce risque reposerait sur le dépistage précoce des pathologies infectieuses importées ou acquises en France, et l'instauration rapide de mesures de prévention, et des traitements, qui limiteront les risques de transmission. Malheureusement, les évolutions récentes en termes de conditions d'accueil des migrants, et de leur accès aux soins, y compris dans les zones les mieux équipées en établissements de santé, marquent une régression indiscutable.

La France n'est certainement pas le pire pays de destination en ce qui concerne l'accès aux soins, mais des indicateurs montrent la persistance d'un surrisque majeur de contracter ou développer des pathologies infectieuses, dans les premières années. Pire : de nombreux acteurs de terrain, notamment associatifs, dénoncent une dégradation progressive des conditions d'accueil et d'accès aux soins pour les migrants au cours des dernières années, et les perspectives semblent sombres. En tant que professionnels de santé impliqués dans la prise en charge des maladies infectieuses, nous devons peser dans la balance pour que les conditions d'accueil des migrants, et notamment leur accès aux soins, soient garanties. La prise de conscience des pouvoirs publics peut passer par de nombreuses voies, complémentaires : mieux informer le grand public, élaborer des recommandations de prise en charge des migrants et les rendre effectives sur le terrain grâce à des financements dédiés, contribuer à fluidifier les trajectoires de santé des migrants, s'opposer aux décisions inacceptables, etc. Il y a du travail et des opportunités d'agir pour tous, tous les jours. La violence imposée aux migrants en Europe, en ce début de XXIe siècle, passera sans doute pour une régression historique, au regard des décennies précédentes, dans un continent qui avait su accueillir de nombreuses migrations au cours du siècle dernier. Au-delà des considérations humanistes, notre rôle de professionnels impliqués dans la prévention et la prise en charge des maladies infectieuses est aussi de lutter contre le recul dans la prise en charge des migrants. Ne restons pas muets et inactifs !


Liens d'intérêt

Pierre Tattevin déclare avoir des liens d’intérêts avec Astellas, Astra-Zeneca, Biomérieux, Correvio, Gilead Sciences, MSD, Pfizer, pour des travaux de recherche, pour des missions de consultant, ou pour des frais de déplacement et de logement.

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