Éditorial

Candida auris : faut-il redouter l'émergence d'un champignon hautement résistant ?


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Depuis quelques mois, la presse grand public s'est emparée de ce pathogène émergent, et voilà qu'aujourd'hui Candida auris fait les gros titres : “Le champignon tueur”, “Faut-il avoir peur du champignon Candida auris ?”, “Le nouveau sida”1… Une nouveauté pour nous, mycologues, qui voyons là notre discipline, si méconnue du grand public mise sous les feux de la rampe. Mais, pour les professionnels de la santé que nous sommes tous, qu'en est-il vraiment ?

C. auris, isolé pour la 1re fois en 2009 au Japon du conduit auditif d'une patiente – d'où le terme d'auris –, a émergé récemment et, selon les analyses du génome entier, de manière simultanée et indépendante sur 3 continents. S'étendant rapidement, il touche aujourd'hui une trentaine de pays. En Inde, en Afrique du Sud et dans le nord de l'Amérique du Sud, cette espèce peut concerner jusqu'à 30 % des cas de septicémie à Candida. Plusieurs hypothèses sont évoquées quant à son émergence dans ces régions : la mauvaise gestion de la prophylaxie antifongique, le changement climatique favorisant la thermophilie exceptionnelle de C. auris, ainsi que la pression des pesticides azolés utilisés en agriculture – comme déjà démontré pour l'émergence de la résistance d'Aspergillus – laquelle, à notre avis, ne peut pas être définitivement exclue. À ce tableau de chasse, C. auris a rapidement ajouté l'Amérique du Nord puis l'Europe, où quelque 150 cas de septicémie et près de 470 cas de colonisation ont été rapportés entre 2013 et 2017. Notons toutefois que la statistique européenne résulte principalement de 2 épidémies majeures survenues à l'hôpital de Valence en Espagne et à l'hôpital Royal Brompton à Londres et que, à l'instar de la Norvège, de l'Allemagne et de la Belgique, la France ne rapporte pour l'instant que quelques cas sporadiques. La maîtrise du risque passe évidemment par la rapidité de détection de la colonisation ou de l'infection. Les erreurs d'identification dues aux techniques phénotypiques et biochimiques conventionnelles, lesquelles engendrent un retard diagnostique, sont aujourd'hui résolues par la mise à jour des bases de données des spectromètres de masse (MALDI-TOF). Restons toutefois vigilants, car ce pathogène joue dans la cour des bactéries hautement résistantes (BHRe) !

Les facteurs de risque de contracter une infection à C. auris ne diffèrent guère de ceux connus pour les autres Candida : admission en soins intensifs, antibiothérapie à large spectre, dispositif invasif. En revanche, il est vrai que les caractéristiques de ce pathogène émergent, qui sur ce point se démarque de la plupart des espèces de Candida, et justifient les craintes de nos homologues d'outre-Atlantique. Ainsi, alors que la contamination du patient par translocation à partir de son microbiome digestif est généralement de mise (à l'exception de C. parapsilosis), C. auris, peu enclin à se développer en anaérobiose, colonise particulièrement la peau ; ce portage explique une contamination d'origine exogène et favorise donc la propagation nosocomiale au sein des unités, mais également à d'autres établissements. Cette dernière est exacerbée par la capacité particulière de cette levure à coloniser les surfaces des équipements (chariots de soins, pompes à perfusion, thermomètres, tensiomètres) et celles de l'environnement hospitalier. On sait aujourd'hui que les ammoniums quaternaires manquent d'efficacité et que les solutions de peroxyde d'hydrogène constitueraient le meilleur allié dans un contre-la-montre inévitable.

La multirésistance de C. auris aux antifongiques, bien que variable d'un clade géographique à l'autre, cristallise à notre avis la vraie préoccupation. La quasi-totalité des souches sont résistantes au fluconazole (molécule de choix dans le traitement empirique du patient non neutropénique − la neutropénie n'étant pas un facteur de risque pour C. auris contrairement à d'autres fungi), et un tiers sont résistantes à l'amphotéricine B. Les échinocandines restent donc la meilleure option avec seulement 5 % des souches résistantes, mais nous avons démontré en laboratoire que, sous pression in vitro de la caspofungine, cette levure pouvait très rapidement acquérir une résistance à l'antifongique qui mènerait alors à une impasse thérapeutique.

Les cas index sont souvent des patients résidents ayant bénéficié, au cours d'un voyage, de soins dans des pays fortement touchés par C. auris, tels que l'Inde pour les cas du Royaume-Uni, du Canada et de la France (hôpital de Tours). Toutefois, la rapide expansion géographique de cette espèce rendra à l'avenir plus difficile un criblage raisonné de ces patients. Le risque d'implantation de C. auris par les populations migrantes ne doit pas non plus être négligé tant le parcours de soins du migrant n'a eu de cesse de se dégrader sur notre territoire dans la dernière décennie. Le dépistage des patients colonisés doit alors privilégier l'écouvillon nasal et le prélèvement inguinal et axillaire. L'expérience acquise pour la gestion des BHRe au travers des précautions complémentaires de type contact (PCC) doit s'appliquer aux patients colonisés ou infectés par C. auris et la durée de ces précautions doit être adaptée à la persistance remarquable de cette levure. À ce titre, la chlorhexidine à 2 % a démontré une certaine efficacité dans la décolonisation des patients. Malgré le manque de recul sur l'efficacité in situ des mesures de désinfection de l'environnement et du matériel médical, les ammoniums quaternaires classiques sont à bannir, tandis que l'hypochlorite de sodium et les vapeurs de peroxyde d'hydrogène seront préférés pour la gestion de l'environnement.

Devant l'émergence de ce champignon hautement résistant émergent (CHRe), nos sociétés savantes respectives se sont mises en alerte. Mycologues, infectiologues et hygiénistes sont sur le pied de guerre, inspirés par la gestion des BHRe… haro sur auris !

Soyons confiants en notre capacité à réagir, mais si la multirésistance aux 3 classes actuelles d'antifongiques s'invite, la frilosité de l'industrie pharmaceutique dans le domaine des antifongiques et l'absence totale d'appels d'offre dédiés à la résistance aux antifongiques pourraient donner raison à une presse alarmiste. Et nous de lire : “Nous aurions dû avoir peur de Candida auris !”

Références

1. Le Parisien, 5 mai 2019. www.leparisien.fr/societe/champignon-tueur-dans-les-hopitaux-il-va-forcement-arriver-en-france-05-05-2019-8066109.php

L’Express, 8 avril 2019. www.lexpress.fr/actualite/societe/sante/faut-il-avoir-peur-de-candida-auris-l-infection-qui-resiste-aux-fongicides_2071827.html

LCI santé, 11 avril 2019. www.lci.fr/sante/sante-candida-auris-doit-on-craindre-la-propagation-en-france-de-ce-champignon-tueur-2118130.html


Liens d'intérêt

P. Le Pape et C. Alvarez-Moreno déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.

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