L'échange interprofessionnel entre rééducateurs et médecins ORL existe de longue date autour de patients souffrant de diverses pathologies : reprise alimentaire après une laryngectomie partielle, rééducation d'une paralysie faciale, rééducation vestibulaire, prise en soin d'une dysphonie, entraînement à la lecture labiale, etc. Cet éditorial est l'occasion de présenter aux médecins ORL l'actualité récente des métiers de la rééducation. Celle-ci est riche, mais soulève des questions.
Tout d'abord, l'automne 2019 a vu la création de la section 91 du Conseil national des universités dans les disciplines de la santé. Consacrée au champ disciplinaire des sciences de la rééducation et de la réadaptation, cette section réunit des enseignants-chercheurs impliqués dans le développement des connaissances et des techniques en matière de rééducation et réadaptation, motrice, cognitive, sensorielle ou langagière. Intimement liée à l'universitarisation des professions de santé, son rôle est de suivre les carrières des enseignants-chercheurs qui participent à la formation des rééducateurs de demain. Il s'agit donc non seulement d'une reconnaissance scientifique et pédagogique des enseignants impliqués dans ces filières, mais également d'un formidable tremplin pour le développement de la recherche en rééducation, car les postes créés sont rattachés à des laboratoires de recherche.
Puis, le deuxième événement qui a bouleversé nos pratiques est, bien évidemment, la crise sanitaire et le recours massif au télésoin. Son utilisation était balbutiante avant le Covid-19 et faisait l'objet d'une grande réserve de la part de bon nombre de professionnels de la santé. Combien de temps et de débats aurait-il fallu attendre si cette crise sans précédent n'était survenue ? Aujourd'hui, le télésoin est entré dans les pratiques et a même été pérennisé pour plusieurs professions, dont les kinésithérapeutes et orthophonistes. Un cadre réglementaire bien défini y est associé, et c'est souhaitable, afin d'éviter tout abus. Il sera bienvenu de faire un état des lieux, d'ici 2 à 3 ans, des intérêts et des limites de cette nouvelle pratique, aussi bien pour les professionnels que pour les patients et leur entourage, afin, si nécessaire, d'en faire évoluer le cadre.
Enfin, et cela est probablement le plus sensible des points, une drôle de “surprise” est arrivée sous le sapin, juste avant les fêtes de fin d'année. Dans le but de faciliter les soins dans les déserts médicaux, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2022 (no 2021-1754), voté le 23 décembre 2021, prévoit un accès direct à certains soins pratiqués par les orthophonistes et d'autres professionnels sans qu'il soit nécessaire de disposer d'une prescription médicale. Pour les orthophonistes, cette pratique fera l'objet d'une expérimentation de 3 ans ouverte aux seuls professionnels exerçant dans une structure de soins coordonnés et dans 6 départements uniquement. Dans les faits, une minorité de patients devrait être concernée. Un décret est en attente d'application pour davantage de précisions, mais cette mesure soulève d'ores et déjà des interrogations. Comment envisager une rééducation de “dysphonie” sans une connaissance de l'état glottique ? Ou une rééducation de la lecture labiale sans audiogramme ? De plus, il paraît contre-intuitif, pour favoriser l'accès aux soins orthophoniques, connu pour ses longues listes d'attente, d'y ouvrir un accès direct. Les défenseurs de cette mesure répondent que près de 20 % des prescriptions médicales de bilan orthophonique que les orthophonistes sont réglementairement tenus de réaliser ne sont pas nécessaires et relèvent d'un mauvais adressage. L'expérimentation devrait permettre de montrer si cette mesure est efficace ou non et si elle comporte des risques pour le suivi de certains patients. Rendez-vous dans 3 ans ! D'ici là, peut-être est-il possible d'aborder le problème de l'accès aux soins en orthophonie sous un angle complémentaire. Serait-il envisageable d'alléger, sans perdre en qualité, les suivis de certains patients ? En intégrant encore davantage l'autoentraînement ou l'autonomisation par l'éducation thérapeutique ? À ce titre, l'initiative des orthophonistes de la Pitié-Salpêtrière est remarquable : leur chaîne YouTube adressée aux patients souffrant d'une paralysie faciale comporte de nombreux épisodes présentant les exercices de mobilisation recommandés, des conseils, des massages, etc. Quel bel exemple de partage et de confiance, pour le bien de tous les patients ! Espérons que les prochaines années nous apportent davantage d'initiatives de ce genre, issues de la recherche et de la clinique.