La trachéotomie est une intervention décrite et pratiquée depuis plusieurs siècles [1]. Quelle que soit la technique utilisée, celle-ci nécessite des soins et appareillages particuliers et adaptés. Parfois source d’anxiété chez les soignants eux-mêmes lorsqu’ils n’y sont pas habitués, la trachéotomie doit être “apprivoisée” par tous et notamment le patient et ses aidants. Il s’agit d’une garantie essentielle à la sécurité et au bon déroulement des soins.
La trachéotomie a pour but de protéger les voies aériennes et d’assurer au patient une bonne ventilation. Celle-ci est réalisée dans le cadre d’obstruction sus-glottique, glottique ou sous-glottique, de troubles ventilatoires, de sevrage de ventilation mécanique ou encore de troubles neurologiques. L’air respiré directement dans la trachée n’est pas filtré, ni réchauffé comme d’ordinaire et les sécrétions bronchiques sont plus abondantes. La phonation et la déglutition sont également altérées. Outre ces modifications “physiologiques”, il existe un véritable impact psychologique lié à cette intervention et à l’appareillage qui en découle. Ces 2 aspects sont essentiels et indissociables.
Ces remaniements et leurs impacts demandent un accompagnement de la personne soignée. La proposition de l’éducation thérapeutique peut permettre au patient de faire face à tous ces bouleversements [2].
L’éducation thérapeutique (ETP)
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : l’éducation thérapeutique (ETP) “vise à aider les patients à acquérir ou maintenir les compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique”. Elle fait partie intégrante et de façon permanente de la prise en charge du patient.
Elle comprend des activités organisées, y compris un soutien psychosocial, conçues pour rendre les patients conscients et informés de leur maladie, des soins, de l’organisation et des procédures hospitalières, et des comportements liés à la santé et à la maladie. Ceci a pour but de les aider, ainsi que leurs familles, à comprendre leur maladie et leur traitement, à collaborer ensemble et à assumer leurs responsabilités dans leur propre prise en charge, afin de les aider à maintenir et améliorer leur qualité de vie [3]. La personne reprend ainsi le contrôle de son quotidien.
L’ETP participe à l’amélioration de la qualité de vie du patient et de ses proches, via l’acquisition de compétences telles que :
- l’autosoin, qui est une compétence de sécurité, vise à sauvegarder la vie du patient. Il faut tenir compte des besoins spécifiques de chaque patient. Il aide à soulager les symptômes , à prendre en compte les résultats d’une autosurveillance, d’une automesure ; à adapter ses traitements et initier un autotraitement ; à réaliser des gestes techniques et de soins ;
- l’adaptation s’appuie sur le vécu et l’expérience de vie du patient. Elle fait partie d’un ensemble de compétences psychosociales. Elle sert à :
- se connaître, à avoir confiance en soi,
- savoir gérer ses émotions et maîtriser son stress,
- prendre des décisions et résoudre des problèmes, alerter en cas d’urgence,
- se fixer des buts à atteindre et faire des choix,
- s’observer, s’évaluer, se renforcer.
Ces aptitudes sont primordiales dans l’analyse des besoins, de la motivation, et dans la réceptivité du patient face au programme proposé.
L’ETP s’intègre au parcours du patient. C’est une posture éducative que choisit le soignant pour accompagner le patient et l’aider à devenir un acteur de la prise en charge de sa maladie. Il faut une activité éducative ciblée, personnalisée, un apprentissage pratique, ponctuel, mis en œuvre par un professionnel de santé formé à l’ETP pour répondre à un besoin éducatif précis (gestion du traitement, apprentissage d’une autosurveillance, pratique d’une activité physique adaptée, etc.).
L’ETP s’élabore en 4 étapes :
- élaborer le diagnostic éducatif avec le patient. On apprend à connaître le patient, à identifier ses besoins et ses attentes : il s’agit du bilan éducatif partagé (BEP) ;
- définir le programme personnalisé d’ETP avec le patient pour formuler les compétences à acquérir ou à mobiliser au regard de son projet de soin ;
- planifier et mettre en œuvre les séances d’ETP collectives et/ou individuelles. Il faut planifier les séances, sélectionner leur contenu (méthodes et techniques d’apprentissage) ;
- réaliser une évaluation individuelle de fin de parcours éducatif. Il s’agit de faire le point avec le patient sur ce qu’il a compris, ce qu’il sait faire, comment il vit au quotidien avec sa maladie et ce qu’il lui reste éventuellement à acquérir. Cela permet au besoin de proposer un nouveau programme au patient, qui va tenir compte des résultats de cette évaluation et de l’évolution de la maladie.
Les centres de référence en ORL pratiquent de plus en plus l’ETP pour les patients trachéotomisés adultes ou enfants et pour leurs aidants [4, 5].
L’ETP des patients trachéotomisés
Nous vous donnerons ici notre expérience dans le service d’ORL et chirurgie cervicofaciale à l’hôpital Bichat Claude-Bernard, à Paris.
Notre service est un centre expert de cancérologie ORL, nous accueillons les patients pour des chirurgies programmées ou en urgence.
L’ETP ne sera pas proposée de la même manière selon ces situations.
En consultation d’annonce
Le patient programmé bénéficie d’une consultation d’annonce paramédicale avec une évaluation avant le véritable BEP. En effet, lors de cette consultation, beaucoup d’éléments sont relevés comme le mode de vie, les compétences psychosociales, ses points forts et ses points faibles. En outre, les explications sur la trachéotomie et ses conséquences sont données ainsi que des schémas explicatifs (figure).
En hospitalisation
Le contact est établi. La suite du BEP se fait lors de l’hospitalisation. Un premier atelier pour expliquer les soins liés à la canule est réalisé dans les suites immédiates du geste chirurgical à l’aide d’un mannequin et d’un dépliant explicatif résumé (encadré 1, voir sur le PDF), que le patient doit lire avant de commencer.
En urgence
Le patient trachéotomisé en urgence ne peut malheureusement pas bénéficier de cette première approche ; le contact est établi quelques jours après la trachéotomie. Le BEP est fait lors de l’hospitalisation. Le déroulé postinterventionnel reste le même dans les 2 cas.
Avant la sortie
La préparation de celle-ci s’organise via des prestataires et une infirmière libérale qui poursuivra l’éducation à la maison. Le patient est suivi régulièrement par le chirurgien, l’infirmière de coordination (IDEC) et l’orthophoniste.
Pour une sortie en toute sécurité, nous nous assurons de l’acquisition :
- des gestes par le patient et ses proches avec un soignant concernant :
- les soins de la trachéotomie (connaissance du matériel, filtres, fixations),
- la gestion du ballonnet si nécessaire,
- l’utilisation des aérosols qui ont été prescrits ;
- l’aspiration des sécrétions : connaître les indications, observer les sécrétions,
- la réalisation des exercices respiratoires pour mobiliser et dégager les sécrétions qui stagnent dans la trachéotomie, voire même un encombrement pulmonaire ;
- de la reconnaissance des signes d’alerte pour savoir quand consulter :
- des signes respiratoires comme l’augmentation du rythme respiratoire à l’effort, ou même au repos, l’encombrement bronchique avec une quantité de sécrétions plus abondantes, la présence de sang, la désaturation,
- un changement pour déglutir,
- une modification de la voix, des douleurs, des difficultés à passer la sonde d’aspiration dans la canule,
- une fièvre persistante, des palpitations, une altération de l’état de conscience, une agitation, une anxiété.
Après la sortie
Lors des consultations de suivi, on propose au patient de faire les soins complets de la trachéotomie s’il le veut (tous les patients ne sont pas enclins à le réaliser, le risque de collapsus de la trachée peut leur faire peur) via d’autres ateliers complémentaires. Il y a plusieurs étapes :
- observation : le patient regarde le professionnel préparer le soin et faire le soin devant un miroir. Cela permet de voir l’orifice de trachéotomie généralement pour la première fois et d’observer les gestes ;
- action : le patient fait le soin avec une aide puis seul plusieurs fois et enfin à la maison avec l’infirmière libérale (IDEL) ou en téléconsultation avec l’IDEC.
Le changement de canule doit être fait régulièrement et le patient quitte l’hôpital avec une ordonnance pour une canule de rechange.
L’IDEC aura remis au patient au moment de sa sortie un livret explicatif détaillé, support auquel il pourra se reporter à tout moment, reprenant les grandes lignes de son parcours lors de ce programme d’ETP.
Conclusion
L’ETP est une pratique de soins qui a pour vocation d’améliorer la qualité de vie de la personne ; elle permet de comprendre et d’acquérir de nouvelles compétences destinées à mieux appréhender une pathologie chronique, et de lever les angoisses du patient et de ses aidants (encadré 2, voir sur le PDF).
Les patients ayant bénéficié d’une trachéotomie sont souvent angoissés par l’appareillage et des changements qu’il engendre ainsi que par le regard d’autrui. L’ETP est donc nécessaire pour un accompagnement optimal, comme évoqué dans le témoignage ci-dessus (encadré 3). Par ailleurs, l’aide des patients partenaires ou d’associations favorise les échanges lors des ateliers d’ETP. Ceux-ci ont vécu les mêmes étapes, appréhensions, situations complexes, et peuvent leur apporter un complément de savoir sur le comment vivre avec une trachéotomie, mais aussi rendre la communication plus simple.
L’étape suivante dans notre service sera d’élaborer des tutoriels vidéo pour les patients ; ils seront diffusés sur une chaîne ou via un site internet dédié au service auquel chacun pourra se référer.
Ces outils, en complément d’un autre programme de formations adapté, pourront également être utilisés par des équipes de soignants moins habitués aux soins et à la gestion des trachéotomies, et ainsi apaiser les angoisses souvent rapportées [6].â–