La décanulation est le processus qui consiste à retirer définitivement la canule de trachéotomie. En pédiatrie, les patients sont fréquemment trachéotomisés très jeunes ; l’âge médian, en fonction des études, varie de 1,5 an à 8 ans [1, 2] et la durée de la trachéotomie est variable en fonction de l’indication et de la typologie du patient [1, 3]. Chez des patients trachéotomisés jeunes, le sevrage de la canule va demander à l’enfant de s’adapter aux changements physiologiques et psychoaffectifs qui en découlent. Les patients trachéotomisés ont évolué et grandi en construisant un schéma corporel très particulier. Ils ont appris à communiquer, à respirer et à s’alimenter de façon adaptée à leur canule. Toute leur vie, que ce soit la relation avec leurs parents, l’image de soi, ou encore la scolarité, s’articule autour de la trachéotomie[4, 5]. Le choix du moment optimal de la décanulation et les critères à évaluer pour y parvenir ne sont pas standardisés et dépendent de l’expertise du médecin et de la structure prenant en charge le patient [6]. La décanulation doit être discutée, évaluée et amorcée par une équipe pluridisciplinaire avec le patient et sa famille afin de limiter les échecs.
Critères préliminaires
La décanulation nécessite avant toute chose que le patient et sa famille soient en adéquation sur ce projet. Le sevrage peut être proposé lorsque l’indication initiale à la trachéotomie est résolue. Les décanulations seront idéalement envisagées en dehors des périodes hivernales, afin de limiter l’exposition aux virus. Le patient ne doit pas avoir été hospitalisé de manière prolongée pour des infections respiratoires au cours de l’hiver précédant la décanulation et aucun projet de chirurgie à court terme ne doit être prévu [7].
Les étapes préparatoires
L’endoscopie
Cet examen permet une évaluation structurelle et fonctionnelle des voies respiratoires. Il évalue si la filière laryngée est compatible avec un sevrage de la canule de trachéotomie et s’assure de l’absence de séquelles de la trachéotomie au long cours (granulome, malacie, sténose, etc.) [8].
La réduction de la taille de la canule
La diminution du diamètre interne de la canule favorise un passage d’air en péricanulaire plus important. C’est indispensable pour l’enfant, afin de se familiariser avec la sensation physiologique de l’air passant par les voies aériennes supérieures, et ainsi participer à la tonicité laryngée en stimulant la proprioception.
Port de la valve phonatoire
La valve phonatoire encourage l’enfant à réaliser la moitié du travail respiratoire : à l’inspiration, l’air passe par la canule, mais à l’expiration l’air passe uniquement en péricanulaire [7]. Cette approche permet d’augmenter le flux d’air translaryngé en douceur et la pression sous-glottique, ce qui améliore la déglutition [9].
L’obturation de la canule
L’obturation de la canule permet d’objectiver la respiration de l’enfant par les voies aériennes supérieures. Le calibre de la canule doit permettre à l’enfant de respirer en péricanulaire. Une canule trop volumineuse occupant une partie trop importante de la lumière trachéale ne permet pas à l’enfant de passer avec succès des épreuves d’obturation de la canule [10]. Chez les jeunes patients (< 2 ans), réaliser une épreuve d’obturation de la canule peut s’avérer peu concluant, du fait de la taille proportionnellement importante de la canule dans la trachée [10, 11].
L’obturation de la canule doit être introduite progressivement la journée, au repos puis à l’effort, en évaluant régulièrement l’état respiratoire du patient (dyspnée, désaturation, etc.). L’obturation nocturne se fera en milieu hospitalier. L’enfant s’adapte progressivement à la respiration nasale et orale et à l’élimination des sécrétions par cette voie.
Polysomnographie
Afin d’évaluer la qualité des échanges gazeux et la présence de troubles obstructifs, elle doit être réalisée lors d’une hospitalisation avec la canule obturée. Si la polysomnographie présente des anomalies, la décanulation peut malgré tout éventuellement s’envisager en mettant en place une ventilation non invasive [10, 12, 13].
La gestion des sécrétions
Le patient trachéotomisé ayant pour habitude de s’aspirer doit apprendre à évacuer ses sécrétions naturellement par les voies aériennes supérieures : la gestion des sécrétions par l’enfant est un facteur clé pour envisager sereinement la décanulation. L’enfant doit apprendre à tousser, à se moucher et à cracher avant le retrait de la canule. L’évaluation de la capacité de l’enfant à gérer ses sécrétions peut se faire en demandant à l’enfant et sa famille de ne pas avoir recours aux aspirations endotrachéales quelques semaines avant la décanulation, mais d’utiliser uniquement les voies ariennes supérieures pour drainer les sécrétions.
La déglutition
L’évaluation des fausses routes peut se faire par ingestion d’eau mélangée au bleu de méthylène. Des aspirations endotrachéales sont réalisées immédiatement après l’ingestion puis à des temps définis (5 min, 15 min, 30 min puis 60 min) pour rechercher les fausses routes secondaires. Un examen de déglutition vidéofluoroscopique peut être passé en cas de doute [7]. Il est important de noter que ces tests doivent être réalisés, si le patient est porteur d’une canule à ballonnet, avec le ballonnet dégonflé, afin d’éviter les fausses routes induites par l’entrave de l’ascension laryngée causée par le ballonnet.
La préparation psychoaffective et sociale
Il est essentiel d’évaluer le niveau d’anxiété de l’enfant et de sa famille avant d’envisager la décanulation. Un suivi psychologique peut être nécessaire pour faciliter le vécu et soutenir l’enfant passant du statut de “l’enfant malade” à celui “d’enfant sain”. Il est primordial d’aborder le projet d’une reprise de l’activité professionnelle du parent présent auprès de l’enfant afin de limiter le “sentiment d’inutilité” qui peut se faire sentir lorsque l’enfant est décanulé et qu’il n’y a plus de soins à assurer.
La réalisation de la décanulation
Les décanulations s’effectuent en milieu hospitalier. Les patients qui tiennent l’obturation la journée sans interruption sont hospitalisés au sein d’un service ayant une expérience dans l’accompagnement à la décanulation.
La canule est maintenue obturée durant 2 nuits (avec idéalement une polysomnographie durant la première [14] ; la canule est retirée le matin par le patient lui-même ou l’un de ses parents, ou par un professionnel au choix du patient et de sa famille. Un pansement occlusif est positionné sur la peau et l’enfant est encouragé à appuyer sur celui-ci à la phonation ou à la toux pour aider à la fermeture spontanée.
La durée de surveillance après la décanulation varie de 24 h à 48 h, bien que les échecs de la décanulation se manifestent précocement (< 11 h) après le retrait de la canule [14] (figure).
Un suivi régulier
Le patient sera revu en consultation pour évaluer la tolérance à la décanulation, la fermeture du trachéostome ou sa cicatrisation à J7, puis tous les mois. Le patient et sa famille seront suivis sur le plan psychologique et social le temps nécessaire à l’adaptation à la décanulation. Il est fondamental de rester vigilant le premier hiver passé sans la canule, afin d’accompagner la famille lors des viroses.
Conclusion
La décanulation représente un processus complexe, qui doit être préparé et anticipé avec le patient et sa famille pour aboutir favorablement. Les paramètres cliniques et paracliniques ne sont pas les seuls éléments à prendre en considération et à évaluer ; il faut être attentif aux difficultés psychologiques et sociales induites par la décanulation chez l’enfant et à celles de sa famille. ■