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Dossier

L’éducation thérapeutique pour les patients trachéotomisés en pédiatrie


(pdf / 132,83 Ko)

  • En France, il n’existe que 5 programmes d’éducation thérapeutique officiels destinés aux patients trachéotomisés en pédiatrie, tous proposés en Île-de-France.
  • L’éducation thérapeutique représente un processus construit qui favorise l’acquisition de compétences dans les domaines biopsychosociaux de manière personnalisée pour chaque patient.
  • L’équipe d’éducation thérapeutique doit avoir reçu une formation spécifique pour animer des séances et accompagner le patient dans l’acquisition des compétences.
  • Pour garantir l’autonomie et la qualité de vie du patient trachéotomisé en pédiatrie, l’ensemble des personnes gravitant autour de l’enfant trachéotomisé peuvent entrer dans le programme d’éducation thérapeutique.

La trachéotomie va bouleverser la vie de l’enfant et de sa famille de manière brutale et importante. Elle va entraîner des conséquences sur son autonomie et sa qualité de vie. En effet, les enfants porteurs de trachéotomie sont fréquemment sujets aux troubles de l’oralité, aux retards psychomoteurs, aux retards de l’acquisition du langage, etc. [1-3], mais également aux perturbations d’ordre psychosocial [4, 5]. La trachéotomie en pédiatrie est souvent réalisée très tôt dans la vie de l’enfant [6, 7]. L’autonomie de la famille va de ce fait nécessiter l’apprentissage de soins techniques, ainsi que des compétences en matière d’anticipation et de gestion des risques. De fait, le retour au domicile est déterminé par l’acquisition de compétences d’autosoin et d’adaptations spécifiques par, au minimum, 2 aidants. À l’heure actuelle, si l’entourage ne possède pas les compétences nécessaires, la seule possibilité qui s’offre à l’enfant trachéotomisé est l’hébergement au sein d’un centre de moyen et long séjour. Or, ces structures de prise en charge peuvent être éloignées du lieu d’habitation de la famille, ce qui aboutit à une séparation familiale, avec pour conséquence principale une perturbation de la dynamique familiale, voire une rupture du lien entre l’enfant trachéotomisé et sa famille. Une prise en charge éducative de qualité, afin que l’enfant puisse être ramené au domicile en toute sécurité (toutes les compétences d’auto-soin et d’adaptation ayant été acquises), est donc indispensable. Garantir un suivi afin de pérenniser la qualité de vie des patients et de leurs aidants est un enjeu majeur pour les équipes qui prennent en charge ces patients.

L’éducation thérapeutique

Processus de renforcement des compétences de la personne malade (ou de son entourage) à prendre soin d’elle-même et à gérer l’affection qui la touche, l’éducation thérapeutique du patient (ETP) est ­complémentaire et indissociable des traitements et des soins. Personnalisé, le programme d’ETP prend en compte les besoins spécifiques de la personne, via 4 grandes étapes : l’évaluation des besoins du patient (diagnostic éducatif/bilan éducatif partagé) ; la coconstruction d’objectifs éducatifs (plan d’action) ; la mise en œuvre du programme avec des séances individuelles ou des ateliers collectifs, et un bilan des compétences du patient (coconstruction partagée).

En France, l’ETP bénéficie d’un cadre précis inscrit dans la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009, art. 84. Elle doit être mise en œuvre par des structures (services hospitaliers, réseau de soins, associations agréées, etc.) après autorisation des ARS. L’équipe doit être multidisciplinaire (au moins 2 intervenants, dont 1 médecin et 1 coordonnateur) et chaque intervenant doit signer une charte de confidentialité. Les intervenants doivent être formés (40 h certifiantes avec une formation spécifique pour le coordonnateur) au sein d’un organisme de formation agréé. L’entrée dans un programme doit être proposée aux patients avec recueil d’un consentement éclairé. La participation des patients ou associations de patients est vivement recommandée pour répondre au mieux aux besoins des personnes concernées. L’information du médecin traitant de l’entrée du patient dans un programme d’ETP est obligatoire. Cette éducation se décline selon 3 modalités distinctes :

  • les programmes d’éducation thérapeutique du patient (art. L. 1161-2 du Code de la santé publique) ;
  • les actions d’accompagnement, qui ont pour objet d’apporter une assistance et un soutien aux malades, ou à leur entourage, dans la prise en charge de la maladie (art. L. 1161-3 du Code de la santé publique) ;
  • les programmes d’apprentissage avec l’appropriation par les patients des gestes techniques ­permettant l’utilisation d’un médicament le nécessitant (art. L. 1161-5 du Code de la santé publique).

À qui proposer un programme d’éducation thérapeutique ?

L’éducation thérapeutique est proposée à toute personne atteinte d’une maladie chronique, enfant, adolescent ou adulte, quels que soient le type, le stade et l’évolution de la maladie. L’entourage, s’il le souhaite et si le patient souhaite l’impliquer dans la gestion de sa maladie, peut également se voir proposer la participation à un programme d’ETP.

En pédiatrie, la participation des aidants est encore plus présente. La trachéotomie se pratiquant relativement tôt dans la vie des enfants, les premières années, seuls les parents de l’enfant sont habituellement concernés par les programmes d’ETP. L’enfant, en grandissant, peut s’autonomiser en entrant lui-même dans un programme d’ETP. Il est essentiel de souligner qu’en pédiatrie et pour garantir la qualité de vie de l’enfant et sa famille, l’offre en ETP peut s’étendre à d’autres personnes gravitant autour des enfants trachéotomisés (équipe éducative scolaire, camarade, etc.).

L’état des lieux sur le territoire français

En France, il existe peu de programmes spécifiquement consacrés à la prise en charge de ­l’enfant­ porteur de trachéotomie. Même s’il existe des actions éducatives proposées partout en France pour permettre l’acquisition de compétences et un retour au domicile, très peu de structures de soins proposent des programmes d’éducation thérapeutique pédiatrique déclarés auprès des agences régionales de santé (ARS). Ces actions, bien qu’effectives au moment de la sortie du patient, ne mettent pas en place le suivi permettant d’évaluer l’impact sur la sécurité des patients et leur qualité de vie. C’est en Île-de-France que sont proposés les 5 programmes d’ETP pour les patients trachéotomisés en pédiatrie :

  • Trach&Autonomie : programme d’ETP à l’intention des enfants trachéotomisés et de leurs aidants, hôpital Robert-Debré, Paris ;
  • programme d’ETP des parents à la prise en charge à domicile d’un enfant trachéotomisé, hôpital ­Necker-Enfants malades ;
  • programme de formation des familles à la ventilation à domicile/aspirations endotrachéales et changement de canule, ventilation invasive et ventilation non invasive, hôpital Raymond-Poincaré, Garches ;
  • programme d’ETP au changement de canule du patient trachéotomisé, hôpital d’enfants de Margency ;
  • programme d’ETP à destination des enfants/adolescents porteurs de trachéotomie et de leurs aidants, hôpital de pédiatrie et rééducation de Bullion.

Bien qu’elle s’expique par la densité de population suivie sur ce territoire, la concentration de l’offre d’ETP trachéotomie pédiatrique en Île-de-France doit pouvoir s’étendre au niveau national, afin de répondre aux besoins de terrain et de soutenir les actions éducatives menées.

Le programme Trach&Autonomie

Le programme Trach&Autonomie est proposé à tous les enfants (à partir de 3 ans) et à leurs familles (parent(s)-tuteur(s)-aidant(s) ou autre accompagnant désigné par le patient et sa famille) suivis dans le service de chirurgie ORL, centre du sommeil et réanimation pédiatrique de l’hôpital Robert-Debré. Ce dernier se situe dans le Nord-Est parisien et dispose du seul service de chirurgie ORL pédiatrique qui dessert ce secteur. Du fait de la forte densité de population et de l’importante natalité dans ce secteur, nous sommes amenés à prendre en charge un nombre conséquent d’enfants trachéotomisés.

Le programme vise à améliorer la qualité de vie des patients et de leurs familles à domicile, en limitant les problématiques dans les domaines biopsychosociaux. Il permet un accompagnement de qualité et individualisé, garantissant aux patients nouvel­lement trachéotomisés l’acquisition de compétences spécifiques sur une durée d’hospitalisation initiale plus courte, en poursuivant l’accompagnement éducatif en ambulatoire. De manière plus significative, il vise à diminuer les complications liées à la trachéotomie (infections respiratoires, bouchon muqueux, décanulation accidentelle, difficultés à la scolarisation, troubles de l’oralité, etc.) et les hospitalisations qui peuvent en découler (souvent longues). Il permet également de mettre en place un suivi en ETP pour accompagner les familles tout au long du développement de l’enfant.

Une équipe pluridisciplinaire intervient pour dispenser des séances : elle se compose d’un coordinateur (infirmier en pratique avancée (IPA) du service), d’un chirurgien ORL, d’une psychologue, d’un pédiatre, d’une assistante sociale, d’un réanimateur, d’une aide-soignante, d’une kinési­thérapeute, d’une secrétaire médicale et d’un cadre de santé. L’équipe se réunit une fois par mois afin d’évoquer la progression et l’évaluation des patients au sein du programme.

L’entrée dans le programme se fait généralement à l’annonce de la trachéotomie. Elle débute par la réalisation d’un bilan éducatif partagé (BEP) ou dia­gnostic éducatif qui aura pour objectif de recueillir les besoins éducatifs des patients quand la trachéotomie aura lieu. Ce BEP est progressif et modifiable tout au long de l’acquisition des compétences initiales avant le retour au domicile. En fonction des besoins des patients ou de leurs aidants, les séances sont dispensées progressivement et de manière structurée. On parle communément de séances proposées “à la carte”. Chaque séance s’articule sur 3 phases : une phase heuristique ou de découverte, durant laquelle le patient ou ses aidants vont repérer les éléments qui vont être abordés ; une phase démonstrative, qui permet d’apprendre par la pratique, pour transmettre des connaissances, l’animateur utilisant la démonstration (montrer), l’expérimentation (faire faire) et la reformulation (faire dire) ; pour finir, une phase applicative qui va permettre au patient ou à ses aidants de mettre en œuvre ce qu’ils viennent d’apprendre. Pour cela, l’animateur peut utiliser des mises en situation, des jeux adaptés, des jeux de rôles, de la simulation, etc. La séance peut être découpée si son contenu est dense ; dans ce cas, on parle de séquences éducatives. Le programme peut être proposé aux aidants au sens large. Nous réalisons régulièrement des séances d’ETP au sein des écoles, dans les services de protection maternelle et infantile (PMI) ou tout autre lieu de vie de l’enfant.

L’évaluation de la compétence se fait progressivement, au regard des objectifs ciblés par la séance. La posture de l’animateur est importante pour ne pas déstabiliser le patient ou ses aidants. Il lui faut faire preuve de bienveillance et privilégier ­l’autoévaluation, éviter les évaluations globales quelques jours avant la sortie du patient ou les évaluations écrites de type “devoir sur table”. L’utilisation de grilles validées par l’équipe éducative est indispensable afin de rendre l’évaluation la plus objective possible.

Lorsque le patient et sa famille rentrent au domicile, l’apprentissage se poursuit en ambulatoire. Un BEP est réalisé à la demande du patient, ou plus systématiquement tous les 2 ans. Des séances sont ensuite proposées, avec l’objectif de répondre au mieux aux besoins du patient. La prise en charge éducative se poursuit 1 à 2 ans après la décanulation ou jusqu’à la transition du patient vers un centre adulte.

L’ensemble du programme n’est pas nécessairement dispensé, car il existe des séances “socles”, indispensables à appréhender, avec des objectifs sécuritaires (être en mesure de changer une canule, identifier les principaux risques et réagir en conséquence), ainsi que des séances “optionnelles”, dont le patient pourra bénéficier en ambulatoire s’il en ressent le besoin (figure).

L’émancipation des programmes

L’émancipation d’un programme d’ETP dans le cadre de la trachéotomie nécessite de pouvoir permettre aux professionnels de disposer de plages horaires consacrées à la mise en œuvre des séances. Par ailleurs, les unités transversales d’éducation thérapeutique du patient (UTEP), au cœur de la synergie de leur groupe hospitalier, apportent un soutien à plusieurs niveaux : dans l’accueil et l’intégration de toute personne impliquée dans des programmes d’ETP et leur formation, dans l’évaluation et la pérennité des programmes, enfin et surtout dans la conception d’un programme d’ETP et ­l’­accompagnement dans toutes les étapes de projet (environ 18 mois), depuis l’analyse des besoins à la déclaration du programme, auprès de l’ARS [8].

Conclusion

Depuis la mise en place du programme Trach&Autonomie, nous avons observé une diminution du temps hospitalier initial de 14 à 4 semaines en moyenne. Le taux de présence des patients aux séances en ambulatoire est actuellement de 100 %. Nous ne sommes pas en mesure d’évaluer l’impact du programme sur le nombre de réhospitalisations. Le programme d’ETP a permis l’intégration systématique en milieu scolaire des enfants à l’âge de 3 ans. L’autonomisation des enfants eux-mêmes permet de pallier les problématiques de l’accompagnement sur le temps scolaire et/ou périscolaire par des professionnels formés. Nous avons également une satisfaction globale importante, avec un accès aux loisirs et aux voyages. Depuis leur intégration au programme Trach&Autonomie, 20 familles ont pu, pour la première fois, voyager en dehors du territoire français. Les patients parviennent à mieux gérer leurs droits sociaux et ont un meilleur usage de l’offre. Nous souhaiterions renforcer la participation du patient partenaire dans l’équipe : actuellement, une mère d’un enfant porteur de trachéotomie est en cours de formation (40 h), dans le but d’animer des séances. ■

FIGURES

L’éducation thérapeutique pour les patients trachéotomisés en pédiatrie - Figure

Références

1. Simon BM et al. Communication development in young children with long-term tracheostomies: preliminary report. Int J Pediatr Otorhinolaryngol 1984;6:37‑50.

2. Henningfeld J et al. Feeding disorders in children with tracheostomy tubes. Nutr Clin Pract 2021;36(3):689‑95.

3. Abraham SS, Wolf EL. Swallowing physiology of toddlers with long-term tracheostomies: a preliminary study. Dysphagia 2000;15(4):206‑12.

4. Chauvin E et al. L’enfant trachéotomisé, de la surcharge à la décharge ? Contraste 2022;56(2):159‑77.

5. Simon F et al. Rôle de la confiance, de la croyance et du sacré dans le soin de la trachéotomie de l’enfant. Laennec 2020;68(3):32‑42.

6. McPherson ML et al. A decade of pediatric tracheostomies: Indications, outcomes, and long-term prognosis. Pediatr Pulmonol 2017;52(7):946‑53.

7. Watters K et al. Two-year mortality, complications, and healthcare use in children with medicaid following tracheostomy. Laryngoscope 2016;126(11):2611‑7.

8. ARS – Direction de la Santé Publique et Santé Envionnement. Guide des Unités Transversales d’Education Thérapeutique du Patient (UTEP) en Ile-de-France [Internet]. 2021. https://www.iledefrance.ars.sante.fr/media/101656/download?inline


Liens d'intérêt

Z. Ghelab, M. Meyer et N. Teissierdéclarent ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.

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