Si l'adénocarcinome du pancréas (AP) reste en queue de peloton des cancers digestifs en termes de survie, les progrès effectués au cours de la décennie passée sont mis en valeur dans ce dossier très complet coordonné par le Pr Jean-Baptiste Bachet. Les Drs Bouvier et Jooste rappellent les caractéristiques épidémiologiques marquantes de l'AP : disparités géographiques et augmentation marquée (et incomprise) chez les femmes (+3,8 % par an) en France,
avec un sex-ratio homme/femme qui est passé de 1,9 à 1,4 entre 1990 et 2018. Si le tabac et l'obésité ont une responsabilité bien établie, la cause reste à identifier dans près des deux tiers des cas. En attendant, les consignes préventives rejoignent celles des cardiologues : suppression du tabac, alimentation riche en fruits et légumes (réduction du risque d'AP de 27 %) et plus d'exercice physique (réduction de 11 %).
L'algorithme de prise en charge des lésions précancéreuses, proposé par les Drs Morgant, Lorenzo et Maire, devrait être affiché sur le mur des salles de staff des équipes qui discutent ces dossiers. L'explosion de l'identification d'anomalies kystiques du pancréas (jusqu'à 25 % dans la population générale) contraste avec la baisse du nombre des résections chirurgicales au cours des 20 ans passés et le risque faible de cancérisation, notamment pour les tumeurs intracanalaires papillaires et mucineuses du pancréas (TIPMP) des canaux secondaires (2-4 %) [1]. Les problèmes encore à résoudre sont :
- l'encombrement des vacations de radiologie et d'échoendoscopie en l'absence de facteurs prédictifs robustes ;
- la pertinence médicoéconomique du suivi prolongé ;
- l'anxiété générée pour les patients.
Dans les familles à risque (mutation constitutionnelle ou agrégation d'AP), le dépistage a ses limites : sur 100 apparentés à risque surveillés, une résection prophylactique ne serait “utile” (ni trop tôt, ni trop tard) que dans moins de 5 % des cas [2].
Le Dr Nicolle et le Pr Cros rappellent les classifications des anomalies moléculaires (foisonnantes) récentes. Si elles influencent encore peu la pratique clinique, les tumeurs dites instables sont un sujet d'actualité. Des anomalies de la réparation de l'ADN (HRD, BRCAness) sont trouvées chez seulement 5 à 7 % des patients en analyse constitutionnelle mais plus de 12 % des cas par analyse somatique (de la tumeur). Elles confèrent aux AP une sensibilité accrue aux sels de platine, mais aussi aux inhibiteurs de PARP, comme l'olaparib. L'efficacité de ce dernier sur une tumeur contrôlée au préalable par une chimiothérapie à base de platine est le premier exemple validé par une étude de phase III [3]. D'autres anomalies, plus rares (< 2 %), ouvrent aussi des pistes thérapeutiques :
- gènes de fusion et dabrafénib (BRAF) ou larotrectinib (NTRK) ;
- statut MSI et pembrolizumab, mais avec des résultats jusqu'ici moins bons (taux de réponse < 20 %) que dans d'autres localisations tumorales MSI (endomètre, voies biliaires, etc.).
Le caractère indispensable des “RCP moléculaires” est devenu une évidence : l'indication de molécules coûteuses (et parfois toxiques), n'ayant pas toujours l'AMM, doit émaner d'une instance qui rassemble les compétences ad hoc (clinicien, pathologiste, biologiste moléculaire et généticien).
Pour les AP résécables (Pr Schwarz), les classifications (TNCD, NCCN, etc.) claires en théorie ne résolvent pas au quotidien les difficultés d'évaluation de l'atteinte vasculaire en RCP… Les progrès des traitements périopératoires sont sans conteste la plus grande nouveauté de la décennie pour les tumeurs opérables. En situation adjuvante, les choses sont clarifiées : le mFOLFIRINOX donne les meilleurs résultats, mais il est réservé à des malades suffisamment rétablis ; la gemcitabine et le fluorouracil (seuls ou associés) ont encore leur place. Le Dr Williet et le Pr Phelip complètent le chapitre des tumeurs localisées avec les formes de résécabilité limites (borderline) ou localement avancées, qui justifient un traitement d'induction. De nouvelles questions apparaissent : quelle chimiothérapie (type, durée) choisir chez un patient opéré après traitement néoadjuvant ou d'induction ? Doit-on tenir compte (et comment) de la réponse histologique à celui-ci ? Quelle est la place de la radiothérapie ? Quel sera l'impact de la détection d'ADN tumoral circulant dans nos décisions thérapeutiques [4] ?
Concernant les nouveautés dans le traitement de l'AP métastatique (Dr de Rauglaudre et Pr Dahan), 10 ans (déjà !) après l'avènement du FOLFIRINOX, peu d'essais ont tenté d'y ajouter une nouvelle molécule, et, dans la majorité des pays, l'association gemcitabine + nab-paclitaxel reste le schéma de référence. Les traitements de maintenance émergent car le contrôle tumoral est plus fréquent avec ces 1res lignes et la qualité de vie doit être mieux prise en compte [5, 6]. L'allègement ou l'utilisation d'autres molécules pour maintenir ce contrôle d'une tumeur suffisamment “éteinte” sont en plein essor. Enfin, il est indispensable de mieux prendre en compte les (nombreux) patients non éligibles au FOLFIRINOX, les secondes lignes et les traitements précoces et intensifs qui participent à l'amélioration du pronostic et de la qualité de vie (Dr Scotté).
Le chemin est encore long pour guérir plus de malades et améliorer la durée et la qualité de vie de tous les autres (les plus nombreux). Mais ceux-ci nous rappellent tous les jours que le moindre progrès face à ce cancer justifie tous nos efforts.