En octobre 1990, il y a 30 ans, Mary-Claire King publiait dans Science la localisation sur le bras long du chromosome 17 d'un premier gène de prédisposition aux cancers du sein [1]. L'étude reposait sur la recherche de coségrégation entre des marqueurs génétiques de position connue sur les chromosomes et les cas de cancers du sein dans des familles à cas multiples. Si la transmission de la prédisposition était dominante, monoallélique, il avait été très vite retenu, et avant même que le gène fût identifié, devant la délétion tumorale très fréquente de l'allèle non lié à la prédisposition, que l'expression du trait génétique “prédisposition au cancer du sein” était récessive au niveau cellulaire [2] (il est cependant possible que l'haplo-insuffisance (altération monoallélique) contribue directement à la cancérogenèse). Le corollaire était que l'on attendait des mutations ou variants inactivateurs du gène responsable et par là une grande diversité de ces variants. Aujourd'hui, ce sont plus de 1 000 variants pathogènes différents de BRCA1 qui ont été rapportés dans la base française FrOG et tout autant, si ce n'est plus, de variants de signification inconnue, le cauchemar du généticien moléculaire. En 1994, un deuxième gène de prédisposition, BRCA2, a été localisé par la même approche sur le bras long du chromosome 13 [3]. Puis les 2 gènes ont été identifiés grâce d'une part à une cartographie physique fine recherchant dans la région chromosomique d'intérêt des séquences génomiques susceptibles de coder un gène – le génome humain n'était alors pas séquencé –, et d'autre part à la recherche de variants pathogènes dans ces séquences codantes chez les femmes atteintes de cancer du sein dans les familles liées à l'un des locus, le gène responsable étant alors celui qui était le siège de variants pathogènes [4-6]. Les carcinomes de l'ovaire se sont avérés très vite associés aux altérations de BRCA1 et BRCA2 comme plus tard les carcinomes du pancréas et de la prostate pour BRCA2. La quête des gènes de prédisposition aux cancers dont BRCA1 et BRCA2 sont emblématiques a conduit à l'émergence d'une nouvelle discipline, l'oncogénétique, qui permet de répondre – pas toujours – aux familles qui s'interrogent sur leurs antécédents de cancers et cherchent à éviter que leur histoire ne se répète à travers les générations.
Les études de liaison génétique sont “agnostiques”, sans hypothèse sous-jacente, sans gène candidat. La structure de la protéine BRCA1 ne donnait aucune clé, aucun domaine fonctionnel permettant de comprendre sa ou ses fonctions. Il a fallu attendre 3 ans et des batteries de tests cellulaires pour comprendre qu'en s'associant dans les noyaux avec RAD51, BRCA1 participait à la réparation des cassures double brin (CDB) de l'ADN par recombinaison homologue (RH), une voie de réparation non mutagène essentielle à la survie cellulaire [7]. Une deuxième avancée majeure dans la compréhension du rôle de BRCA1 et BRCA2 a été l'observation que l'inactivation biallélique de BRCA2 dans des cellules embryonnaires de souris était associée à une fragilité chromosomique analogue à celle des malades atteints de maladie de Fanconi. BRCA2 est alors devenu un gène candidat de la maladie de Fanconi, maladie récessive rare et très hétérogène sur le plan génétique [8]. BRCA2, alias FANCD1, est effectivement aujourd'hui l'un des 23 gènes de la maladie de Fanconi. BRCA2 est ainsi à la fois un gène de prédisposition aux cancers du sein et de l'ovaire lorsqu'il est altéré sur une seule copie et l'un des gènes de la maladie de Fanconi lorsqu'il est altéré sur les 2 copies. La recherche procède, lorsqu'elle est incrémentale, par analogie : tous les gènes déjà identifiés de la maladie de Fanconi sont devenus des gènes candidats pour la prédisposition aux cancers du sein et de l'ovaire et tous les gènes codant pour des protéines partenaires de BRCA1 et BRCA2, des gènes candidats pour la maladie de Fanconi. C'est ainsi que PALB2(partner and localizer of BRCA2) est devenu FANCN ; BRIP1(BRCA1 interacting protein) est devenu FANCJ. PALB2, très probablement BRIP1 et certains paralogues de RAD51 (RAD51C, RAD51D, XRCC2) sont devenus des gènes de prédisposition aux cancers du sein et de l'ovaire [9].
La compréhension du rôle de BRCA1 et BRCA2 dans la réparation des CDB de l'ADN a éclairé certaines observations : la plus grande sensibilité des carcinomes ovariens aux alkylants et le taux élevé d'apoptose tumorale chez les femmes porteuses d'une altération de BRCA1 ou BRCA2. Cela a conduit Alan Ashworth à proposer une nouvelle piste thérapeutique fondée sur le défaut intrinsèque de ces cellules tumorales, reprenant alors le concept de létalité synthétique développé en 1946 par Theodosius Dobjansky. En 2005, Alan Ashworth a majoré les difficultés de réparation des cellules tumorales déjà inactivées pour BRCA2 en inactivant une autre voie de réparation de l'ADN, le base excision repair (BER). Il a ciblé l'inactivation du BER sur une enzyme clé, la poly(ADP-ribose) polymérase-1 (PARP), et a utilisé pour son inhibition des molécules déjà connues des chercheurs travaillant sur la réplication de l'ADN et le maintien de l'intégrité du génome [10]. Des essais cliniques ont été mis en place d'abord chez des femmes atteintes de carcinome de l'ovaire, cancer dont on sait la gravité et qui est siège de l'inactivation de BRCA1 ou BRCA2 dans environ 20 % des carcinomes de haut grade. Avec une augmentation très significative de la survie sans récidive chez les femmes porteuses d'une altération BRCA1 ou BRCA2 et présentant une maladie platine-sensible, l'utilisation d'inhibiteurs de PARP (iPARP) a été un breakthrough dans le traitement des tumeurs ovariennes [11]. D'autres essais ont été conduits dans d'autres localisations tumorales, en particulier mammaires, du pancréas et de la prostate avec des résultats très encourageants.
De nombreux travaux dont ceux du TCGA ont montré qu'il y avait d'autres mécanismes de déficit de la RH (HRD) que l'inactivation directe par mutation de BRCA1, comme, par exemple, la méthylation de son promoteur. Enfin, d'autres gènes de la RH peuvent être inactivés : PALB2, RAD51C, RAD51D, et bien d'autres, encore non identifiés. L'identification de signatures de la HRD était devenue indispensable. Plusieurs équipes se sont attelées à l'identification de telles signatures [12]. Aujourd'hui, il s'agit plutôt de cicatrices, témoins d'une instabilité génomique ou mutationnelle, que de tests fonctionnels. Trois d'entre elles ont été réunies en un seul test, le genomic instability score (GIS) [13]. L'utilisation de ce GIS dans un essai clinique a permis de doubler le nombre de femmes qui, atteintes d'un carcinome de l'ovaire, pouvaient bénéficier d'iPARP [14]. Ainsi, la recherche d'HRD tumorale au moins aujourd'hui dans les cancers de l'ovaire est devenue un impératif. L'intégration de ce GIS ou d'autres signatures validées d'HRD dans la caractérisation génétique des tumeurs, et non sa réalisation isolée, représente un enjeu majeur. Soulignons en effet qu'aujourd'hui il ne s'agit plus de réaliser des tests diagnostiques ou thérapeutiques successifs consommateurs de matériel tumoral, souvent limité, de réactifs et de temps, mais de les intégrer en une seule approche que d'ailleurs les nouvelles techniques de séquençage permettent.
La compréhension des fonctions des protéines BRCA1 et BRCA2 a ouvert la voie à une nouvelle classe de médicaments dont les iPARP sont les premiers de la liste. Citons à titre d'exemple pour les lignes suivantes, les inhibiteurs de l'endonucléase FEN1 qui apparaissent prometteurs [15]. En conclusion, l'histoire de l'identification des gènes BRCA1 et BRCA2 et du développement d'une nouvelle classe de médicaments antitumoraux illustre combien la clinique et les recherches clinique, translationnelle et fondamentale peuvent se réunir en un compagnonnage fructueux, nécessaire1.
1 Ce texte reprend une partie de la conférence prononcée le 27 novembre 2020 par D. Stoppa-Lyonnet lors du séminaire
“PARP'Innovations : Les avancées de la médecine de précision en oncologie” organisé par MSD et AstraZeneca.