Dans la dernière décennie, le paradigme de traitement des cancers a été révolutionné par les avancées de la biologie humaine. Le temps du traitement reposant sur le principe one size fits all est aujourd'hui révolu. Le néologisme theranostic résume la nouvelle pratique médicale fondée sur l'utilisation d'un test diagnostique qui permet d'orienter la thérapeutique du patient. La Lettre du Cancérologue a donc souhaité vous proposer dans 2 numéros, celui-ci et celui de mai, un point complet sur les avancées de cette médecine de précision, cancer par cancer.
Si les progrès de cette médecine de précision sont aujourd'hui spectaculaires, comme vous pourrez le lire, une question demeure cependant : tous les patients bénéficient-ils aujourd'hui de ces avancées ? La réponse est probablement non. C'est dire l'intérêt de plusieurs panels de discussion qui se sont exprimés lors du meeting annuel de l'American Association for Cancer Research. Dans le panel Innovative molecular approaches and models to advance precision health equity, à côté des facteurs classiques tels que les facteurs environnementaux, comportementaux et sociaux, T. Wallace, du Center to Reduce Cancer Health Disparities, souligne que “les facteurs biologiques et génétiques jouent un rôle”. Il est alors regrettable de constater que, dans les études cliniques et précliniques ou la recherche de base contre le cancer, les données sont biaisées en faveur des “populations blanches non hispaniques”. Autre exemple, le Cancer Genome Atlas Program, qui a caractérisé plus de 20 000 cancers primitifs pour 33 types de cancers, a recueilli les échantillons de seulement 12 % de personnes d'ascendance africaine, 3 % d'ascendance hispanique et 0,2 % d'indiens américains. Le National Institutes of Health finance actuellement de nouveaux modèles, en particulier des patients-derived xenograft mouse models (PDXS), à côté d'autres modèles de souris génétiquement modifiées et de cultures de cellules humaines en 3D. Un financement est prévu pour développer ces modèles spécifiquement vers les minorités humaines sous-représentées.
Avec un exemple : le cancer de la prostate. Ce modèle concernant la prostate, développé au MD Anderson, a déjà permis d'identifier d'importantes différences génétiques. Tous les PDXS provenant de patients d'ascendance africaine ont en effet ou des altérations de BRCA1, BRCA2, et/ou d'autres gènes de réparation de l'ADN, mais aucun n'a démontré de fusion EMRSS-2ERG retrouvée communément chez les patients “blancs”.
De façon plus précise, un autre panel a discuté de la biologie tumorale au travers de l'ethnicité et de l'ascendance génétique. Sophia George, de l'université de Miami, a ainsi pu enrôler 1 018 femmes atteintes d'un cancer du sein ou de l'ovaire dans les Caraïbes. Les premiers résultats suggèrent qu'aux Bahamas, par exemple, la majorité des femmes atteintes d'un cancer du sein ont des tumeurs triple-négatives, alors qu'en Haïti, un large pourcentage des femmes exprime un cancer du sein HER2.
On le voit avec les exemples de ces 2 panels, les efforts sont essentiellement nord-américains. Il n'est cependant pas interdit de rêver d'utiliser, dans d'autres contrées, cette médecine de précision qu'est la théranostique comme outil afin de réduire l'inéquité à l'égard d'autres minorités.