Comment définir l'âge et, de plus, celui d'une femme âgée ? Il est souvent admis qu'on ressent que quelqu'un est âgé lorsqu'il a notre âge + 20 ans… Cela peut donc commencer tôt ! Et il faut bien comprendre que plus on est âgé, plus on va vivre vieux ! Une femme française qui atteint 80 ans a une espérance de vie de 10,6 ans (1).
En reprenant les essais thérapeutiques en oncosénologie, pendant très longtemps la barrière était fixée à 65 ans. Les patientes de plus de 65 ans étaient en effet exclues des essais. On ne traitait qu'exceptionnellement par chimiothérapie les patientes de plus de 70 ans. Et, petit à petit, l'oncogériatrie s'est développée et a fait changer nos mentalités en nous confrontant à la réalité : le cancer est d'abord une maladie des personnes âgées et avec l'augmentation de l'espérance de vie, de plus en plus de personnes âgées vont développer un cancer. On estime que, en 2017 en France, 23 % des nouveaux cas de cancer du sein ont été diagnostiqués après 74 ans avec une surmortalité par cancer du sein dans cette tranche d'âge par rapport au reste de la population (50 % de la mortalité globale) [2].
L'âge en soi n'est plus devenu un critère. On peut être en pleine forme à 85 ans et avoir de nombreuses pathologies rendant les prises en charge médicales difficiles à 65 ans. De nombreuses échelles d'évaluation de la fragilité gériatrique ont été développées, certaines simples, à la portée de tous les cliniciens, tel ONCODAGE qui permet de proposer une orientation vers un oncogériatre. “La sélection par l'âge n'a plus de sens, elle doit être remplacée par une prise en charge modulée par le désir des patients et par le savoir médical. Cela est d'autant plus essentiel en oncologie du sujet âgé, qui associe une maladie grave et évolutive à des traitements agressifs mais efficaces, et où la demande de traitement curatif semble aussi forte que chez des sujets plus jeunes”, disait déjà le rapport de l'INCa sur ce sujet en mai 2009.
Le grand âge facilite l'isolement, la dépendance, la perte du conjoint, l'absence de famille, les revenus modestes, la démence sénile… Nous avons tendance à infantiliser les personnes âgées, à parler à la famille plutôt qu'à la personne concernée. Nous en sommes souvent inconscients. La tendance pourrait être de prendre avec la famille des décisions à sa place. On va parfois modifier notre langage, en parlant lentement, en exagérant l'intonation, en utilisant un vocabulaire plus simple, en parlant à l'intéressée à la troisième personne… Nous leur renvoyons une image peu valorisante d'elles-mêmes en utilisant un langage simplifié, voire en les tutoyant. Nous partons souvent du principe que la femme âgée est asexuée, n'a plus de désir, nous pouvons avoir du mal à comprendre une demande de reconstruction voire à l'envisager : “à son âge !”
La patiente âgée peut aussi parfois tester “notre envie de soins” à son égard : “Docteur, vous pensez qu'à mon âge cela en vaut encore la peine ?”
Et puis la confrontation à la personne âgée nous renvoie à notre propre devenir avec des phénomènes d'identification mais aussi de rejet : difficile de s'identifier et de voir notre propre mort.
Ce numéro de La Lettre du Cancérologue va donc traiter des spécificités de la prise en charge thérapeutique des femmes âgées présentant un cancer du sein : adapter nos prises en charge en tenant compte du rapport bénéfice-risque comme on le fait avec toutes nos patientes, ni plus ni moins !