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Éditorial

Tumeurs rares, de l'expérience clinique vers un modèle de médecine de précision


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Les tumeurs rares sont historiquement définies comme des tumeurs ­d'histopathologie inhabituelle dans une localisation donnée. Si elles ­représentent dans leur ensemble moins de 1 % des tumeurs malignes ­primitives, elles regroupent de nombreuses entités histologiques, cliniques, ­radiologiques et évolutives différentes, avec une incidence très variable. De façon générale, les sous-types moléculaires rares des tumeurs fréquentes – telles les tumeurs avec réarrangements de ROS1, RET, NTRK dans le poumon – sont alors exclus de la définition.

La majorité des tumeurs rares se développe à partir de tissus orthotopiques, présents dans l'organe primitif. Les tumeurs développées à partir de tissus ectopiques sont exceptionnelles. Certains sous-types histopathologiques de tumeurs rares sont spécifiques à l'organe primitif, alors que d'autres sont exceptionnels quelle que soit leur localisation. En outre, certaines tumeurs, rares dans l'organe à partir duquel elles se développent, correspondent à des tumeurs plus fréquentes dans d'autres localisations, tels les sarcomes des tissus mous ou les lymphomes des ganglions lymphatiques ; ces tumeurs se présentent alors, par exemple, au niveau pulmonaire, de façon primitive, avec une différenciation histopathologique spécifique : angiosarcome, lymphome de type MALT. Enfin, alors que beaucoup de données sont issues d'études anciennes, l'individualisation de certains sous-types tumoraux rares est récente dans les classifications histopathologiques.

Sur le plan clinique, la rareté d'une tumeur se caractérise, outre sa faible incidence, par l'absence de données cliniques ou évolutives actualisées, par le faible nombre de spécialistes pour chaque sous-type tumoral et par l'absence de données thérapeutiques spécifiques. Bien que la tendance à publier plus de cas exceptionnels que de cas fréquents doive être prise en compte, notre analyse de la littérature montre que près de 90 % des cas de tumeurs pulmonaires rares ont été rapportés sous la forme de cas cliniques isolés ou de séries de moins de 5 patients. Malgré leur rareté, certaines tumeurs d'histologie inhabituelle, comme les tumeurs carcinoïdes ou les sarcomes, ont fait l'objet d'une recherche clinique aboutie, permettant de définir leurs caractéristiques cliniques et évolutives et de proposer certaines recommandations thérapeutiques.

Les patients atteints d'une tumeur pulmonaire rare passent, comme tous les malades atteints de cancer, par différentes phases d'espoir, d'incertitude, de déception, d'épuisement et, la plupart du temps, de dégradation physique et d'isolement social. Mais ils expriment des ressentiments spécifiques liés à la rareté de leur tumeur qui les excluent plus du parcours de soins que les patients atteints de tumeurs plus fréquentes : déficit d'information, sentiment d'une profonde solitude, inégalité géographique dans l'accès aux soins, démarche diagnostique souvent prolongée, retard au diagnostic, coordination insuffisante entre médecins, sentiment d'injustice, notamment chez les patients jeunes ou non fumeurs, complexité de la prise en charge en situation d'incertitude. Les tumeurs rares constituent donc une difficulté supplémentaire dans l'égalité d'accès aux soins. Les patients atteints d'une tumeur pulmonaire rare apparaissent ainsi comme “orphelins”, car incomplètement intégrés dans la dynamique de soins des autres patients atteints de cancer pulmonaire.

Historiquement, l'identification précoce des tumeurs rares est nécessaire, essentiellement pour éviter le surtraitement (notamment chirurgical) de lésions bénignes et pour ne pas sous-diagnostiquer des tumeurs rares malignes, particulièrement au stade métastatique, pour lesquelles le diagnostic histopathologique est souvent obtenu sur des échantillons tumoraux de taille limitée parfois non représentatifs de l'ensemble des composantes tissulaires de la tumeur. L'exemple du poumon est intéressant. Certains signes cliniques et radiologiques, bien que rares, suggèrent fortement le diagnostic de tumeur rare : lésion endobronchique “en iceberg” dans les tumeurs carcinoïdes ; alvéolobronchogramme dans les lymphomes de type MALT. L'absence de tabagisme, particulièrement chez l'homme, peut aussi évoquer la possibilité d'une tumeur rare, puisque 85 % des carcinomes bronchiques non à petites cellules sans autre précision surviennent en association avec le tabagisme, alors que 60 % des tumeurs rares pulmonaires apparaissent chez des non-fumeurs. De même, plus de 50 % des tumeurs pulmonaires rares surviennent chez des patients de moins de 30 ans, alors que moins de 10 % des carcinomes non à petites cellules se développent dans cette tranche d'âge. L'association avec une localisation métastatique inhabituelle, c'est-à-dire différente de celles habituellement observées en cas de tumeur bronchique fréquente (foie, os, cerveau, surrénales), doit, outre faire rechercher une autre localisation primitive, faire évoquer un sous-type histopathologique rare. Enfin, certaines tumeurs peuvent prendre l'apparence de la bénignité : sarcome pulmonaire se présentant sous la forme d'une masse aux contours bien limités, sarcome de l'artère pulmonaire sous la forme d'embolies pulmonaires à répétitions, lymphome pulmonaire sous la forme de pneumopathies récidivantes.

Le choix et l'utilisation de moyens diagnostiques pertinents nécessitent une concertation pluridisciplinaire préopératoire, notamment pour décider de l'alternative biopsie et/ou chirurgie d'exérèse. Le diagnostic histopathologique de tumeur pulmonaire rare ne peut être posé de manière optimale que sur pièce opératoire, notamment en cas de tumeur biphasique ou composite, comme les carcinomes sarcomatoïdes dont la simple biopsie conduit dans la majorité des cas à n'identifier que l'une des composantes. Le recours aux techniques d'immunohistochimie, voire de biologie moléculaire ou de cytogénétique, est parfois nécessaire pour obtenir un diagnostic précis et évaluer le grade de malignité (notamment au cours des sarcomes). La possibilité de diagnostic de certaines tumeurs rares pulmonaires par cytologie ou examen extemporané a été rapportée dans des cas isolés, mais la sensibilité de ces examens est actuellement inconnue.

Finalement, l'évolution récente consiste en la systématisation d'études moléculaires sophistiquées, y compris la cytométrie en flux et les analyses génomiques et cytogénétiques – qui peuvent jouer un rôle essentiel dans le diagnostic précis des tumeurs rares –, car la morphologie peut ne pas suffire pour la classification et l'évaluation du grade de la tumeur.
Cela est particulièrement obligatoire pour les lymphomes, les tumeurs sarcomatoïdes ou myofibroblastiques, ou les sarcomes. Les analyses génomiques systématiques à haut débit, y compris le séquençage de l'ADN ou de l'ARN – éventuellement le séquençage de l'exome entier –, sont également de plus en plus utilisées pour identifier les voies moléculaires dérégulées, ce qui n'est pas possible sur la base d'analyses ciblées, basées sur des panels, conçues pour des tumeurs fréquentes. Ces questions soulignent également la nécessité d'une collaboration multicentrique pour générer des cohortes et lancer des études d'observation et des essais cliniques sur des tumeurs pulmonaires rares.

En Europe, la création récente du réseau de référence européen EURACAN fournit une infrastructure de plus de 70 établissements de santé ayant un haut niveau d'expertise multidisciplinaire pour le diagnostic, la gestion et le suivi des patients atteints de cancers rares, y compris les tumeurs thoraciques rares. Les objectifs d'EURACAN comprennent la mise à jour et l'évaluation des lignes directrices actuelles, le développement de programmes éducatifs, la diffusion et la communication avec des groupes de patients, et la mise en place de projets de recherche, depuis le diagnostic de la maladie jusqu'aux stratégies thérapeutiques. L'objectif principal d'EURACAN est d'atteindre la plus haute qualité de soins aux patients, et une réunion de concertation multidisciplinaire est hébergée par une plate-forme en ligne paneuropéenne appelée Clinical Patient Management System. Le réseau européen fournit également une infrastructure pour la collaboration avec les sociétés de diagnostic et les entreprises pharmaceutiques. Un exemple peut être l'ouverture de cohortes dédiées dans des essais en panier, dans lesquels des patients ayant des tumeurs différentes mais la même mutation ou le même biomarqueur reçoivent le même traitement. En utilisant la caractérisation moléculaire pour évaluer les nouveaux médicaments, notamment dans le cadre de projets académiques, comme le programme SPECTA de l'EORTC, le réseau permet une meilleure identification des patients et facilite le recrutement dans les essais.


Liens d'intérêt

N. Girard déclare avoir des liens d’intérêts avec Amgen, AstraZeneca, AbbVie, Blue, BMS, Boehringer-Ingelheim, Janssen, Hoffmann-La Roche, Lilly, Merck, MSD, Novartis, Sivan, Trizell, Pfizer et Sanofi..

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