Depuis 13 ans, l’immunothérapie du cancer révolutionne l’oncologie avec un changement de paradigme : traiter les patients en modulant leurs cellules immunitaires plutôt que de chercher à détruire directement les cellules cancéreuses avec des cytotoxiques. En d’autres termes, le problème du cancer n’est pas la cellule tumorale, mais la tolérance de cette cellule anormale par notre immunité. L’immuno-oncologie a permis une diversification inédite des stratégies thérapeutiques en cancérologie (figure, voir sur le PDF). Parmi celles approuvées, on retrouve les anticorps anti-checkpoint, anticorps ou récepteurs des cellules T bispécifiques activant les lymphocytes T, CAR-T cells, virus oncolytiques. Parmi les immunothérapies en cours de développement, on trouve des stratégies à base d’ARN, de protéines, de cellules, de pathogènes (virus et bactéries), en administration intraveineuse (par exemple, les nouveaux anticorps multispécifiques), sous-cutanée ou intradermale (multicytokines, vaccins antinéoépitopes, etc.), intratumorale (virus oncolytiques avec payloads, CAR-T, etc.).
Au cours de ces années, nous avons appris que l’efficacité de ces immunothérapies dépend de la biologie de la tumeur (par exemple son expression de PD-L1, ses structures lymphoïdes tertiaires, ses lymphocytes T CD8+, son taux de mutations somatiques, etc.) plutôt que de son histologie. Cependant, seule une minorité de patients (20-30 %) tire des bénéfices durables de ces traitements. En outre, le taux d’échec du développement des nouvelles immunothérapies anticancéreuses dans les essais cliniques est de 95 % (comme pour les autres stratégies). Ce taux d’échec est en partie dû au fait que la recherche clinique oncologique repose sur des hypothèses fondamentales erronées :
- tous les patients atteints d’un cancer de même histologie seraient biologiquement semblables (critères d’inclusion dans les essais cliniques fondés sur l’histologie) ;
- ils présenteraient des chances de réponse au traitement équivalentes au cours du temps (hypothèse des proportional hazards) ;
- les médicaments anticancéreux qui échouent aux stades avancés n’auraient aucune valeur pour les stades antérieurs de la maladie ; autrement dit, les cancers primaires et métastatiques auraient la même biologie, ce qui légitimerait l’arrêt de développement d’un médicament inefficace en phase I dans les cancers avancés.
En effet, l’étude de la contexture immunitaire des cancers révèle une très grande variabilité interindividuelle concernant l’infiltrat immunitaire tumoral dans une indication donnée. Paradoxalement, on retrouve des groupes homogènes de patients partageant les mêmes phénotypes biologiques indépendamment de leur histologie tumorale (infiltrats lymphocytaires T versus myéloïdes, sécrétion d’interleukine 6, VEGF, etc.) [1]. Enfin, la biologie du cancer localisé semble radicalement différente de celle des cancers métastatiques [2], ce qui explique probablement pourquoi certaines immunothérapies fonctionnent mieux dans les stades initiaux que dans ceux avancés (par exemple, virus oncolytiques et agonistes de toll-like receptors dans les cancers cutanés de stades I et II versus III et IV).
En outre, les biotechs et les firmes pharmaceutiques ne peuvent pas évaluer de façon fiable 3 éléments essentiels à l’évaluation des nouveaux traitements : si les patients recrutés dans leurs essais cliniques expriment ou non la cible de leurs médicaments, si ces cibles sont occupées sous traitement et, enfin, si elles sont suffisamment engagées sous traitement. Cela en raison des techniques disponibles en essai clinique (par exemple, l’IHC ou le séquençage d’ADN/ARN), qui ont des délais d’exécution longs (plusieurs semaines entre la collecte d’échantillon et les résultats), sont peu sensibles/spécifiques (notamment pour définir le niveau d’expression d’une protéine membranaire sur un sous-type cellulaire d’intérêt) et n’ont donc qu’une faible valeur pour prédire l’issue du traitement des patients (en raison d’un éventail de valeurs beaucoup trop étendu entre répondeurs et non-répondeurs).
Par conséquent, l’amélioration du devenir de nos patients ne passera pas uniquement par de nouvelles découvertes thérapeutiques disruptives, mais aussi par notre capacité à implémenter de façon incrémentielle les progrès techniques en matière de biomarqueurs afin d’améliorer nos stratifications thérapeutiques en essai clinique et notre monitoring des patients sous traitement. L’oncologie bénéficierait ainsi grandement de l’expérience accumulée en hématologie pour le traitement des leucémies lymphoblastiques où la stratification des patients grâce à des biomarqueurs prédictifs (avant traitement) et préemptifs (sous traitement), qui a permis de faire des progrès spectaculaires en survie globale sans changement majeur dans l’arsenal thérapeutique qui leur est dédié [3].