Les études observationnelles conduites au cours des dernières années concluent de façon concordante au fait que la proportion de patients atteints d'insuffisance cardiaque avec fraction d'éjection dite “préservée” (> 50 %) représente une part de plus en plus importante, et la prévalence rapportée peut atteindre 30 à 40 % du total des patients en insuffisance cardiaque. La valeur seuil de 50 % pour définir une fraction d'éjection normale ou préservée est indéniablement arbitraire. De plus, la Société européenne de cardiologie (ESC), dans la dernière version de ses recommandations, individualise un 3e groupe à fraction d'éjection intermédiaire (midrange en anglais), dans lequel la fraction d'éjection est comprise entre 40 et 50 %, sans que l'on sache actuellement comment traiter ces patients (1).
Le diagnostic de l'insuffisance cardiaque à fraction d'éjection préservée demeure difficile à poser cliniquement, et 3 éléments doivent être présents : des signes ou des symptômes d'insuffisance cardiaque, une augmentation du taux des peptides natriurétiques plasmatiques, l'évidence d'une anomalie structurelle du myocarde telle que l'hypertrophie ventriculaire gauche, la dilatation de l'oreillette gauche ou l'anomalie de la fonction diastolique avec, en particulier, une augmentation du rapport E/e' sur l'échocardiographie-doppler, évoquant une augmentation des pressions de remplissage du ventricule gauche.
La présence de ces 3 éléments est importante afin de ne pas porter le diagnostic par excès devant, par exemple, un essoufflement, qui peut être lié à des comorbidités fréquentes telles que la bronchopathie chronique ou l'obésité.
Le débat sur le fait que l'insuffisance cardiaque à fraction d'éjection préservée serait une entité physiopathologique totalement distincte de l'insuffisance cardiaque à fraction d'éjection altérée n'est pas clos, mais un consensus se dégage à l'heure actuelle pour insister sur les anomalies de la fonction endothéliale, une production réduite d'oxyde nitrique et le rôle d'une inflammation chronique (2). Sur le plan clinique, le profil des patients est différent de celui observé dans l'insuffisance cardiaque à fraction d'éjection altérée : âge plus élevé, prédominance du sexe féminin, prévalence très élevée de l'hypertension artérielle, alors qu'au contraire la prévalence de la cardiopathie ischémique est plus faible (3).
Études cliniques : des échecs à répétition
Plusieurs études de morbimortalité ou de preuve de concept ont été conduites dans cette variété d'insuffisance cardiaque. Il est frappant de constater que, contrairement à ce qui a été observé dans l'insuffisance cardiaque à fraction d'éjection altérée, aucune de ces études n'a apporté la preuve du bénéfice d'une stratégie thérapeutique sur les objectifs primaires ou sur des critères de substitution. Les recommandations de l'ESC en prennent acte en écrivant : “Aucun traitement n'a démontré de manière convaincante une réduction de la morbidité ou de la mortalité dans l'insuffisance cardiaque à fraction d'éjection préservée.”
Études de morbimortalité
Plusieurs études ont testé le bénéfice potentiel des modulateurs du système rénine-angiotensine-aldostérone en se fondant sur le principe que le blocage de ce système a un effet bénéfique sur l'activation du système sympathique, l'hypertrophie ventriculaire gauche ou la fibrose myocardique (4).
L'étude PEP-CHF a testé le périndopril, inhibiteur de l'enzyme de conversion (IEC), sur une population de 850 patients âgés et n'a montré aucun effet sur le critère composite principal, décès toutes causes/hospitalisation pour insuffisance cardiaque. Cette étude a été marquée par un recrutement particulièrement lent, et nombre de crossovers ont pu diluer un effet potentiel de l'IEC.
Deux études ont testé un antagoniste des récepteurs de type 1 de l'angiotensine II : CHARM Preserved (3 023 patients) avec le candésartan et I PRESERVE (4 128 patients) avec l'irbésartan. Dans l'étude CHARM Preserved, il n'y a pas eu d'amélioration du critère principal (mortalité cardiovasculaire/hospitalisation pour insuffisance cardiaque), mais une réduction marginale des hospitalisations pour insuffisance cardiaque a été observée sous candésartan.
Dans l'essai I PRESERVE, l'irbésartan n'a démontré aucun bénéfice sur le critère principal (décès toutes causes/hospitalisations cardiovasculaires) ou sur les critères secondaires.
Plus récemment, TOPCAT a évalué le bénéfice potentiel de la spironolactone et montré une réduction non significative du critère principal (décès toutes causes/hospitalisations pour insuffisance cardiaque, arrêt cardiaque ressuscité) ainsi qu'une réduction de l'ordre de 15 % des hospitalisations pour insuffisance cardiaque au prix d'un accroissement du nombre d'épisodes d'hyperkaliémie ou de détérioration rénale. Cette étude a fait l'objet de critiques en raison de la forte hétérogénéité des patients inclus, ceux provenant d'Europe de l'Est ayant un taux d'événements minimes et, pour une part, ne prenant pas le traitement testé.
Études de preuves de concept
Plusieurs études de preuves de concept se sont également révélées négatives : fondées sur l'idée que la voie de l'oxyde nitrique est anormale, RELAX HF et SOCRATES Preserved ont testé respectivement le sildénafil, un inhibiteur de la phosphodiestérase V, et le vériciguat, un stimulateur de la guanylate cyclase, sans modification significative des critères de jugement biologiques ou de fonction cardiaque. De même, et alors qu'on pouvait penser que l'allongement de la diastole par un agent bradycardisant s'accompagnerait d'une amélioration du remplissage d'un ventricule gauche rigide, EDIFY a récemment échoué à montrer une amélioration du taux de NT-pro-BNP, de la distance de marche de 6 minutes ou du rapport E/é au doppler cardiaque sous l'influence de l'agent bradycardisant ivabradine.
En définitive, la seule étude qui suscite quelques espoirs est PARAMOUNT, qui a testé l'effet du sacubitril/valsartan (5) sur 266 patients et montré une réduction du taux plasmatique de NT-pro-BNP et de la dimension de l'oreillette gauche. Ces résultats ont conduit à lancer un grand essai de morbimortalité (PARAGON) dont les résultats devraient être connus d'ici à 2 ans.
Comment expliquer ces échecs en série ?
Plusieurs facteurs peuvent être évoqués.
Facteurs liés aux patients
Le diagnostic d'insuffisance cardiaque à fraction d'éjection préservée est difficile, et il est possible que certains patients inclus dans les essais revus ci-dessus n'aient pas eu d'insuffisance cardiaque mais un essoufflement lié à d'autres pathologies ou comorbidités fréquentes telles que insuffisance respiratoire ou obésité. L'analyse détaillée des critères d'inclusion dans les essais thérapeutiques montre par ailleurs une grande hétérogénéité quant à la valeur seuil de fraction d'éjection, au taux plasmatique de peptides natriurétiques ou à l'âge des patients. Il est également possible que des patients aient été inclus à un stade avancé de la maladie avec une fibrose myocardique extensive, rendant le bénéfice potentiel d'une thérapeutique illusoire.
Enfin, la physiopathologie de la maladie demeure imparfaitement connue, et il est probable qu'une stratégie uniforme de prise en charge des patients ne réponde pas à la problématique des différents phénotypes qui ont été décrits.
Facteurs liés aux essais cliniques
Plusieurs des études citées ci-dessus ont dû faire face à un recrutement particulièrement lent du fait de difficultés à répondre aux critères de sélection. Il en a résulté un nombre de crossovers important, certains patients recevant en ouvert le traitement testé, ce qui a pu avoir un effet de dilution des résultats de l'étude. Un autre problème est l'hétérogénéité géographique constatée dans le taux d'événements pour l'étude TOPCAT, les patients originaires de Russie ou de Géorgie ayant un taux d'événements cardiaques extrêmement faible, alors qu'une analyse a posteriori suggère que la spironolactone a pu avoir un effet bénéfique chez les patients inclus en Amérique du Nord.
Conclusion
Compte tenu des échecs observés en recherche clinique, les recommandations concernant la prise en charge de l'insuffisance cardiaque à fraction d'éjection préservée demeurent empiriques : prévention des situations qui peuvent conduire à cette pathologie telles que l'hypertension, traitement des arythmies qui sont souvent très mal tolérées sur ces ventricules anormalement rigides, traitement diurétique pour réduire les symptômes de congestion. Largement utilisés, les agents bêtabloqueurs et les antagonistes calciques demeurent d'un bénéfice incertain.
Il convient donc que les chercheurs et les cliniciens poursuivent leur collaboration afin de mieux comprendre la physiopathologie de l'insuffisance cardiaque à fraction d'éjection préservée et de découvrir de nouvelles options thérapeutiques, qu'elles soient pharmacologiques ou non pharmacologiques.