L'une des surprises majeures du dernier congrès de l'American Heart Association (AHA) à Chicago a été la présentation des résultats très positifs de l'étude REDUCE-IT (1). Il s'agit d'une étude portant sur l'utilisation pharmacologique des oméga-3, utilisant une forme purifiée d'acide eicosapentaénoïque (EPA) à forte dose (4 g/j) dans une population de 8 179 patients, en prévention secondaire pour 70 % d'entre eux, et en prévention primaire pour 30 %. Pour être éligibles, les patients devaient avoir soit plus de 45 ans et une maladie cardiovasculaire avérée coronaire, artérielle périphérique ou cérébrovasculaire, soit 50 ans ou plus, un diabète et au moins 1 facteur de risque supplémentaire. Ils devaient en outre être sous statines, avoir des triglycérides entre 135 et 500 mg/dl et un LDL-cholestérol entre 40 et 100 mg/dl.
L'étude était prospective, randomisée, en double aveugle, et le critère primaire de jugement était le composite des décès cardiovasculaires, infarctus du myocarde, accidents vasculaires cérébraux, revascularisations coronaires ou angors instables. Le critère secondaire principal était le composite des décès cardiovasculaires, infarctus du myocarde et accidents vasculaires cérébraux. Sur un suivi médian de 4,9 ans, le taux d'événements primaires était de 17,2 % dans le groupe EPA contre 22 % dans le groupe placebo, correspondant à une réduction du risque de 25 % (p < 0,001) [suivant la méthode de Kaplan Meier]. Pour le critère secondaire principal, les taux étaient respectivement de 11,2 et 14,8 %, soit une réduction relative de 26 %, également hautement significative (p < 0,001).
Les résultats étaient homogènes dans les principaux sous-groupes en fonction du contexte de prévention (primaire ou secondaire), de la région du monde où les patients avaient été inclus, de l'utilisation ou non d'ézétimibe, du sexe, de l'existence d'un diabète, du taux de triglycérides initial, de l'utilisation et de l'intensité du traitement par statines et du taux de LDL-cholestérol ou de protéine C réactive (CRP) initial. Il a été observé une interaction significative avec l'âge, avec un bénéfice significativement plus grand chez les patients de moins de 65 ans que chez les patients plus âgés (p d'interaction : 0,004). L'analyse des critères secondaires a également montré une réduction du taux d'infarctus du myocarde de 31 %, une réduction du taux de revascularisation coronaire de 35 %, une réduction de la mortalité cardiovasculaire de 20 %, une réduction des accidents vasculaires cérébraux de 28 %, toutes ces réductions étant significatives, et une réduction non significative (p = 0,09) de 13 % de la mortalité toutes causes. La tolérance du traitement a été globalement bonne, mais avec une tendance à une fréquence plus élevée des saignements (2,7 contre 2,1 % ; p = 0,06) et plus de survenues de fibrillation auriculaire ou de flutter (5,3 contre 3,9 % ; p = 0,003).
On note sous traitement une augmentation modérée d'environ 5 mg/dl du LDL-cholestérol dans le groupe placebo, par rapport au groupe contrôle. Cette augmentation ne peut pas expliquer une réduction du risque d'événement cardiovasculaire de 25 %, et des analyses supplémentaires ont montré que le bénéfice de l'EPA était concordant chez les patients qui avaient ou n'avaient pas une augmentation du LDL-cholestérol lors du suivi. De façon un peu surprenante, le bénéfice semble concordant quelle que soit la valeur initiale des triglycérides et quelle que soit leur valeur à 1 an. Ces résultats sont d'autant plus surprenants que, globalement, l'ensemble des études randomisées prospectives sur les bénéfices cardiovasculaires des oméga-3 s'étaient plutôt révélées négatives. Une méta-analyse récente avait d'ailleurs conclu à l'absence de bénéfice cardiovasculaire de cette classe thérapeutique (2), et les résultats ont surpris les investigateurs eux-mêmes, non seulement par leur caractère positif, mais par l'ampleur du bénéfice cardiovasculaire observé. En outre, lors du congrès de l'AHA, l'étude américaine VITAL n'a pas montré de bénéfice d'une dose plus faible d'oméga-3 (1,3 g/j) sur la prévention primaire des événements cardiovasculaires (bien qu'elle ait montré une réduction du risque d'infarctus du myocarde), et, il y a quelques semaines, lors du congrès de l'European Society of Cardiology (ESC), l'étude ASCEND, menée chez les diabétiques (3), n'avait pas non plus montré de bénéfice cardiovasculaire d'une faible dose (1 g/j) d'oméga-3 chez plus de 15 000 sujets diabétiques en prévention primaire. On doit néanmoins rappeler qu'une étude japonaise, l'étude JELIS (4), avec une relativement forte dose d'un mélange d'EPA et d'acide docosahexaénoïque (DHA), avait elle aussi montré une réduction des événements cardiovasculaires, de 19 %. Il est possible que l'élément décisif du succès de REDUCE-IT soit l'utilisation de fortes doses (4 g dans REDUCE-IT, 1,8 g dans JELIS) d'oméga-3 par rapport aux études précédentes qui ont presque toutes utilisé des doses nettement inférieures. Une autre possibilité est que REDUCE-IT a utilisé de l'EPA purifié, alors que les études précédentes ont utilisé un mélange de DHA et d'EPA.
Ces résultats ouvrent des perspectives intéressantes pour un traitement relativement simple, probablement assez peu coûteux, et qui permettrait de réduire notablement le risque cardiovasculaire en prévention secondaire et en prévention primaire, mais qui n'est malheureusement pour l'instant pas disponible en France. Il faut cependant souligner que la population incluse dans l'étude est assez particulière, puisqu'il fallait que les patients soient sous statines, que leur taux de triglycérides soit élevé et que leur LDL-cholestérol soit entre 40 et 100 mg/dl, et il faut rappeler que l'EPA purifié utilisé dans l'étude n'est pas disponible en Europe. Enfin, une supplémentation alimentaire en EPA équivalente représenterait la consommation d'environ 4 plats de poisson par jour. Il est donc peu probable que cela soit facilement atteignable par la modification de l'alimentation chez des sujets désireux d'améliorer leur prévention cardiovasculaire sans médicament.