Le choc cardiogénique survient chez 1 patient sur 20 souffrant d'un syndrome coronaire aigu, et est responsable de 90 % de la mortalité de l'infarctus du myocarde. La revascularisation urgente par voie percutanée de la lésion coronaire coupable est actuellement la seule stratégie ayant démontré une diminution de la mortalité chez ces patients, laquelle demeure élevée, autour de 50 %. La majorité de ces patients (75 % environ) présente une atteinte multitronculaire et la pertinence de l'angioplastie des lésions non coupables en phase aiguë fait débat. Les recommandations de la Société européenne de cardiologie (publiées en 2017 quelques semaines avant la communication des résultats de l'étude CULPRIT-SHOCK) stipulaient que “la revascularisation complète devait être envisagée chez les patients en état de choc à la phase aiguë d'un infarctus” (recommandation de classe IIa). Ces recommandations sont fondées sur des hypothèses physiopathologiques (réduction de l'ischémie, amélioration de la fraction d'éjection ventriculaire gauche, stabilisation de lésions instables) non confirmées par les études observationnelles qui retrouvent un excès de mortalité précoce avec la stratégie d'angioplastie complète.
L'étude CULPRIT-SHOCK est la première étude randomisée comparant une stratégie d'angioplastie de la seule lésion coupable versus une stratégie de revascularisation complète ; c'est également la plus large étude randomisée (700 patients) jamais réalisée dans le choc cardiogénique. Les résultats à 1 mois ont montré une diminution significative du risque de décès ou d'insuffisance rénale nécessitant une épuration extrarénale avec la stratégie d'angioplastie uniquement de la lésion coupable (45,9 versus 55,4 %, p = 0,01), la différence étant due principalement à une diminution significative du risque de décès (43,3 versus 51,5 %, p = 0,03) [1]. L'hypothèse d'une amélioration, de la fonction ventriculaire et du statut hémodynamique se traduisant par un bénéfice pronostique, après revascularisation complète n'est donc pas confirmée. Ces résultats s'expliquent sans doute au moins partiellement par la plus grande quantité de produit de contraste utilisée pouvant entraîner une surcharge volémique avec un effet négatif sur la fonction myocardique et sa récupération, et également par le risque d'une prolongation de la durée de la procédure chez un patient fragilisé. Il faut noter que la stratégie de traitement de la seule lésion coupable n'excluait pas le traitement ultérieur d‘autres lésions coronaires, ce qui a été réalisé chez 1 seul patient sur 5.
Les résultats de cette étude ont conduit à une modification des recommandations européennes sur la revascularisation myocardique, la stratégie de revascularisation complète chez un patient en état de choc étant désormais de classe III, c'est-à-dire contre-indiquée en 2018. Les résultats à 1 an, rapportés récemment, étaient attendus car les partisans de la revascularisation complète souhaitaient pouvoir arguer que s'il existe un “prix à payer” initial, la revascularisation complète pourrait s'accompagner d'un bénéfice à plus long terme (2). Les résultats à 1 an de CULPRIT-SHOCK montrent qu'il persiste un surcroît de décès, bien que non significatif et donc confiné aux 30 premiers jours, dans le groupe revascularisé de façon complète (RR = 0,88 ; IC95 : 0,76-1,01). Par ailleurs, les patients traités uniquement sur la lésion coupable ont davantage de nouvelles revascularisations (RR = 3,44 ; IC95 : 2,39-4,95) [ce qui est logique], mais également plus de 4 fois plus d'hospitalisations pour insuffisance cardiaque (RR = 4,46 ; IC95 : 1,53-13,04) ! Comment comprendre ce surrisque d'insuffisance cardiaque ? Si on peut imaginer que ce risque soit prévenu par l'amélioration de la fonction ventriculaire gauche entraînant moins de défaillance cardiaque dans le groupe revascularisation complète, cela reste une hypothèse non étayée par des arguments (en l'occurrence aucune donnée de fonction ventriculaire gauche n'est disponible). En revanche, on ne peut exclure que moins d'épisodes d'insuffisance cardiaque aient été observés dans le groupe revascularisation complète car davantage de patients sont décédés précocement dans ce groupe et n'ont donc pas eu le temps de développer une insuffisance cardiaque ! Il faut donc rester prudent dans l'interprétation de ces données. Par conséquent, les données à 1 an de l'étude CULPRIT-SHOCK nuancent les conclusions de l'étude initiale, mais ne les modifient pas : la stratégie systématique de revascularisation complète chez les patients multitronculaires en état de choc secondaire à un infarctus du myocarde est délétère.
La mortalité des patients en état de choc souffrant d'un infarctus du myocarde reste élevée. Gardons à l'esprit que la mesure la plus efficace pour la réduire est de diminuer le délai de prise en charge entre le début des symptômes et la revascularisation par angioplastie. En effet, les bénéfices de cette revascularisation sont dépendants du moment auquel elle survient. Les données d'un registre (3) suggèrent que tout retard de 10 minutes entraîne 3 décès additionnels sur 100 patients traités. L'information et la prévention restent donc fondamentales. Or, des données récentes titrées du registre FAST-MI en France montrent que le délai médian d'appel est passé de 74 minutes en 2010 à 90 minutes en 2015 (4).
On peut également remarquer, à propos de cette thématique, que les recommandations des sociétés savantes sont évolutives, qu'elles ne sont pas gravées dans le marbre. Il faut certainement bien distinguer les recommandations de classe IA des autres recommandations moins formelles. Il faut savoir rester critique et accepter les évolutions rapides des recommandations au fil des ans. La formation continue est absolument nécessaire !