L' insuffisance mitrale secondaire (IMS) est un enjeu de santé publique important en raison de sa fréquence et de son incidence pronostique. La chirurgie valvulaire isolée est rarement effectuée, parce que le risque opératoire est élevé et que son efficacité clinique n'a pas été démontrée sur des critères cliniques “durs”. Depuis une dizaine d'années, les traitements percutanés, qui se résument en pratique au MitraClip®, ont apporté un grand espoir. Des registres incluant plusieurs centaines de patients montrent une bonne sécurité et suggèrent un bénéfice clinique, avec néanmoins les limitations habituelles de ce type d'étude. La situation a été bouleversée à la fin de l'été 2018 grâce à la publication, à quelques semaines d'intervalle, de 2 essais randomisés comparant le traitement médical optimal à la combinaison du traitement médical et du MitraClip® chez des patients inopérables avec IMS sévère, restant symptomatiques malgré un traitement médical optimal.
La publication de ces essais nous a apporté une bonne et une mauvaise nouvelle :
- La bonne nouvelle est que, à 2 ans, dans l'étude américaine COAPT (1), l'intervention réduit de façon significative la survenue des hospitalisations pour insuffisance cardiaque (IC), et aussi la mortalité en rapport avec un remodelage ventriculaire gauche et une amélioration des critères fonctionnels. C'est la 1re fois qu'il est montré qu'une intervention sur la valve mitrale peut rompre le cercle vicieux de la dilatation ventriculaire gauche, suivie de l'insuffisance mitrale (IM), suivie de l'aggravation de la dysfonction ventriculaire. Chez ces patients, l'IMS peut donc être considérée comme une cause plus qu'une conséquence de la dysfonction ventriculaire.
- La mauvaise nouvelle est que l'étude française MITRA-FR (2), publiée quelques semaines auparavant, ne montre pas de bénéfice de l'intervention à 1 an sur un critère composite associant décès et hospitalisation pour IC.
Ces résultats apparemment discordants ont alimenté d'abondantes polémiques allant des “tweets partisans” à des éditoriaux et revues dans tous les journaux cardiologiques, jusqu'au prestigieux New England Journal of Medicine.
La tempête médiatique se calmant un peu, quelles leçons pouvons-nous essayer d'en tirer ?
Quelles sont les explications possibles de ces différences ?
La principale explication qui n'est pas remise en question, est que les patients de MITRA-FR avaient une maladie plus avancée. Cela est vrai cliniquement, mais la dilatation ventriculaire gauche était aussi plus marquée et l'IMS était moins sévère dans MITRA-FR parce que la définition de la sévérité répondait aux seuils utilisés dans les recommandations européennes, qui sont inférieurs à ceux des recommandations nord-américaines. Dans COAPT, la sélection “draconienne” des patients par un comité d'éligibilité a sans doute joué un rôle important, mais fait penser que ces patients sont relativement peu nombreux : le centre le plus important de COAPT n'a pu recruter que 46 patients en 5 ans…
D'autres pistes ont été évoquées, mais sont plus discutées :
- Le traitement médical était mieux conduit dans COAPT. Avant l'intervention, la comparaison qualitative de l'usage des différentes classes de médicaments entre les 2 études est neutre, avec peut-être même un avantage pour MITRA-FR. Il est possible que, quantitativement, la centralisation de la sélection par un comité ait conduit à une meilleure optimisation du traitement dans COAPT que lorsque cela était fait par l'équipe de cardiologie locale comme dans MITRA-FR. Après l'intervention, on peut être étonné de voir que les modifications thérapeutiques ont été effectuées chez moins de 10 % des patients de COAPT, alors que l'incidence des hospitalisations pour IC était de 35,8 % par patient-année dans le groupe témoin et de 67,9 % dans le groupe MitraClip®. À l'inverse, une adaptation thérapeutique a été nécessaire chez environ 80 % des patients de MITRA-FR, sans qu'il soit possible d'avoir une évaluation détaillée de ces modifications.
- La procédure a été plus efficace et plus sûre dans COAPT. Cet argument a souvent été utilisé pour critiquer MITRA-FR . La 1re remarque est que le taux de succès de la procédure était élevé dans les 2 études, et même plus élevé que dans la plupart des registres. Il est exact qu'un plus grand nombre de patients ont reçu 2 clips et que le taux d'IM résiduelle est légèrement plus faible dans COAPT. Mais le laboratoire d'analyse centralisée (“core lab”) d'échocardiographie et surtout les critères quantitatifs utilisés étaient différents, ce qui a conduit à majorer le grade d'IM résiduelle dans MITRA-FR. Si l'on considère la mortalité ou la chirurgie secondaire qui sont les critères “durs”, COAPT n'obtient pas de meilleurs résultats que MITRA-FR concernant la sécurité. Les autres complications n'avaient malheureusement pas les mêmes définitions dans les 2 études, ce qui rend toute comparaison difficile.
- L'étude MITRA-FR manque de puissance et son suivi est trop court. Les résultats à 2 ans de MITRA-FR confirment l'absence de différences entre les 2 groupes thérapeutiques.
- Pour la plupart des auteurs, la discordance des résultats des 2 essais est seulement “relative”, et leurs résultats doivent être considérés comme complémentaires : COAPT identifie un groupe de patients pour lesquels l'intervention est efficace, tandis que MITRA-FR montre que l'intervention ne doit pas être faite tardivement et lorsque l'IMS n'est “au 2nd plan”.
Que doit-on faire, en pratique, à la lumière de ces résultats ?
- Les patients avec une IM sévère doivent être évalués le plus tôt possible
dans des centres experts, c'est-à-dire disposant de la chirurgie cardiaque, cardiologie interventionnelle, rythmologie et ayant l'expertise du traitement de l'IC
et des valvulopathies.
- Après une évaluation complète qui élimine l'indication d'une resynchronisation ou d'une revascularisation myocardique, le traitement médical optimal de l'IC doit être instauré et optimisé.
- L'évaluation de l'efficacité de cette stratégie doit être faite au bout de quelques semaines. Si l'état du patient s'est amélioré, cette surveillance sera poursuivie. Une intervention doit être discutée dans le cas contraire.
- Notre pratique doit bien sûr suivre les recommandations ESC/EACTS 2017 en attendant leur actualisation, ainsi que les réglementations des autorités de santé nationales. D'ici là, les “heart teams” doivent inclure ces nouveaux résultats dans leurs discussions.
Dans l'attente de l'identification plus précise des facteurs prédictifs de ses résultats, le MitraClip® peut être envisagé dans le cas des patients sélectionnés qui répondent aux critères d'inclusion de COAPT. À un stade plus évolué, selon l'anatomie et la présence de comorbidités, les alternatives sont une chirurgie valvulaire, l'assistance circulatoire, la greffe cardiaque ou un traitement médical palliatif.
Que faire pour avancer ?
- La recherche doit être poursuivie pour mieux préciser l'épidémiologie de l'IMS et en identifier les principaux phénotypes.
- La définition de la sévérité de l'IMS doit être “revisitée”. Celle-ci ne doit sans doute pas reposer seulement sur un seuil de surface d'orifice régurgitant, mais sur une approche multifactorielle tenant compte de la quantification de la fuite et aussi du retentissement ventriculaire gauche. La proposition de séparation entre IMS “proportionnée” et “disproportionnée” à la dilatation ventriculaire est une 1re approche qui doit être validée (3). L'échographie restera l'examen principal, mais l'IRM doit jouer un rôle grandissant.
- Un suivi plus long est nécessaire.
- D'autres études randomisées sont en cours : RESHAPE-HF 2 et MATTERHORN, mais leurs résultats ne seront pas connus avant au moins 2 ans.
- Il existe d'autres dispositifs pour le traitement percutané de l'IMS : annuloplastie plutôt “directe” qu'indirecte, combinaison de techniques de réparation, implantation de prothèses. Certains ne sont qu'au début de leur développement, mais d'autres sont déjà évalués dans des essais randomisés. Les résultats positifs de COAPT posent désormais le problème du choix du comparateur : traitement médical ou MitraClip® ? Il faudra également évaluer l'efficacité des nouveaux agents médicamenteux (sacubitril, valsartan) et les techniques chirurgicales de réparation à l'étage valvulaire ou sous-valvulaire, mais aussi les techniques d'assistance circulatoire.
En conclusion, les résultats de MITRA-FR et de COAPT ont soulevé beaucoup de questions, auxquelles il va falloir répondre par une évaluation rigoureuse. Mais ils ont aussi le mérite d'avoir montré pour la 1re fois que le traitement de l'IMS peut améliorer le pronostic de patients sélectionnés. Il y a donc de l'espoir, mais beaucoup de travail en perspective…