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Éditorial

La maladie mérite une nouvelle définition


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Nous, médecins, sommes souvent surpris par les réactions des malades face à leur maladie. Plus question de rater un week-end pour une hospitalisation ou un soin, et évoquer le risque encouru en cas de retard de traitement n'est que rarement entendu. Quant aux effets indésirables, ils prennent souvent le pas sur toute autre considération. À l'annonce de sa pathologie, le malade ne comprend pas, il mange bio, fait du sport et suit les recommandations des gourous de la bonne santé.

Cet homme malade est mal à l'aise dans notre société. Il doit se cacher dans le monde professionnel. Passé l'heure de la révélation de son état, le patient avec une insuffisance coronarienne asymptomatique, un diabète équilibré, ou tout autre maladie chronique accepte (plus ou moins) d'avaler ses médicaments, mais ne se perçoit pas comme “malade”. La société est tout aussi embarrassée. Elle encadre la maladie dans des systèmes économiques, bien sûr, mais aussi des systèmes d'organisation des soins, de structures du savoir, de procédures administratives. Nos philosophes peinent à définir la maladie, ce n'est pas leur préoccupation centrale. Georges Canguilhem s'intéresse ainsi “au normal et au pathologique”, mais construit son raisonnement par rapport au normal. Il conçoit comme pathologiques les conséquences d'une réduction de la normativité qui engendre la conscience d'une diminution de soi. Pour Michel Foucault, le symptôme est l'élément clé et la maladie devient un cadre de savoir, de nosologie. Un changement radical est survenu à la fin du XXe siècle : entre dépistage et traitement des formes précoces, des pans entiers de la pathologie sont devenus asymptomatiques. La première souffrance, la première douleur n'adviendront qu'au moment du soin. Ce sont les docteurs qui font d'abord mal, pas la maladie.

Aujourd'hui, le même patient peut être “en bonne santé” et “malade”, les états ne s'excluent plus. Leurs définitions respectives ne peuvent plus être antithétiques. Avec ce préambule, la maladie pourrait répondre à la définition : “Phénomène d'inadaptation entre l'être et ses milieux intérieurs ou extérieurs.”

“Phénomène” répond à la conception d'Edmund Husserl. Le phénomène comprend en son sein une dimension non humaine : le temps. L'homme l'habite, mais le temps était là avant lui, sera là après, et conditionnera la maladie. Ce phénomène s'accorde des droits terribles : guérir ou tuer sans, avec ou malgré le concours des hommes et de leur savoir. Si les juristes nomment une “personne morale” un groupement doté d'une personnalité juridique avec des droits et des obligations, ces dernières, par leur absence, déclassent la maladie de “personne morale” à “personne amorale”. Le privatif ne suppose aucun jugement de valeur, mais évoque une absence de lien rationnel qui l'organise. Le “phénomène maladie” a ainsi une vie propre, des règles non perçues par ce qui lui est extérieur comme l'humain. Une pathologie choisit un espace et un temps, pourquoi, selon quel critère ?

“Être” dépasse le human being et correspond au “Soi” des psychologues, somme des “Moi”, ou au “corps propre” des phénoménologues, à la fois sujet et objet. Notre Être, confronté à la maladie, ne peut occulter sa part charnelle ni, à l'inverse, se limiter à sa matérialité. Il est travaillé par un pouvoir de signification et d'expression non seulement tourné vers l'extérieur, mais également subi par le sujet. “Ses” ne relève pas d'un S possessif mais d'une individualisation, appropriation de soi par soi. Le “ses” est à la fois datif et ablatif. L'expression de ce “soi” serait le “je”.

“Inadaptation” comprend une part objective, impossibilité de faire, de s'adapter, et une part subjective que l'on peut entendre comme souffrance. Avec la maladie apparaît une dissociation avec ce qui est normalement conçu comme un – notre corps propre sous l'acception de Maurice Merleau-Ponty et de Marcel Mauss – et qui n'est plus tout à la fois “moi et mien”. Elle fait apparaître une instabilité fondamentale : sous ses coups, le malade peut ne plus se confondre avec son “corps propre”. La totalité fondamentale peut se lézarder. Malade et maladie sont colocataires d'un même corps.

“Milieux intérieurs ou extérieurs”, les limites sont souvent confuses. Pour “milieux intérieurs”, nous pouvons nous rapprocher de Claude Bernard, car sous cette appellation peut se présenter le patrimoine génétique, et même des corps étrangers, comme notre flore microbienne. Ce milieu intérieur a considérablement changé au cours de ces siècles, en particulier pour les plus démunis. Dans le monde occidental, la dénutrition a quasi disparu et la problématique s'est même inversée, avec une malnutrition fréquente et son corollaire, l'obésité. “Milieux extérieurs” : sous ce terme pourraient s'entendre à la fois les maladies acquises par l'environnement, comme les maladies infectieuses, celles issues de la société ou en interaction avec elle, comme partie des affections psychiatriques, les pathologies addictives, tel l'alcoolisme.

Définir menace d'enfermer dans des mots la diversité du vécu, la présente proposition désire garder la diversité des situations rencontrées, tout en cherchant, pour le repos de l'esprit, l'unité du genre.


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