Éditorial

Comment évaluer le rapport bénéfice-risque des médicaments antithrombotiques ?


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La thrombose artérielle joue un rôle central dans le déclenchement de l'infarctus du myocarde, des accidents vasculaires cérébraux ischémiques et de l'ischémie critique des membres inférieurs. Les médicaments anticoagulants et antiplaquettaires ont un intérêt pour prévenir ces événements en prévention secondaire et, parfois, primaire, avec une efficacité notable. Le prix à payer pour cette efficacité est une augmentation du risque de saignement, qui, même pour des traitements classiquement réputés à faible risque tels que l'aspirine, n'est pas négligeable. On a pu montrer, par exemple, que l'aspirine en prévention primaire augmente le risque d'hémorragie grave et le risque de saignement intracrânien.

Il a longtemps été considéré que les hémorragies étaient un “malfnécessaire”, ou, en tout cas, un effet indésirable gênant mais rarement grave des traitements antithrombotiques, et qu'elles pouvaient le plus souvent être “gérées”, au besoin par des transfusions ou des mesures symptomatiques, voire la cure de la source du saignement. Ces dernières années, nos conceptions du rapport bénéfice/risque des médicaments antithrombotiques ont été assez profondément revues [1]. Tout d'abord, si la mort par hémorragie est, fort heureusement, rarissime, les saignements graves sont relativement fréquents au regard du nombre d'événements ischémiques prévenus. En outre, il a été montré que les patients qui présentent un saignement sont à risque très élevé de décès et d'accident ischémique secondaire, notamment parce que les saignements obligent souvent à réduire, voire suspendre le traitement antithrombotique. Meme les saignements dits “mineurs”, tels que les hématomes, les ecchymoses, les saignements de nez ou les saignements gingivaux, sont une source fréquente de non-adhésion au traitement antithrombotique, et ont parfois des conséquences dramatiques, telles qu'une thrombose de stent. Du coup, une attention renouvelée s'est portée sur l'évaluation du rapport bénéfice/risque des médicaments antithrombotiques. Il y a plusieurs façons d'évaluer celui-ci. La première, et la plus simple, consiste à additionner tout simplement les événements ischémiques (généralement définis par l'ensemble des décès cardiovasculaires, des infarctus du myocarde et des accidents vasculaires cérébraux ischémiques) et les événements thrombotiques pour constituer un critère combiné d'événements défavorables (ce que les Anglo-Saxons appellent souvent les “net adverse cardiac events”).

Une méthode proche et largement utilisée consiste à soustraire l'effet du traitement sur les saignements de l'effet du traitement sur les événements ischémiques pour constituer le “bénéfice clinique net” (net clinical benefit). L'inconvénient de cette méthode est qu'elle donne le même poids à tous les événements. Or, un saignement, même sérieux, est heureusement rarement mortel et laisse rarement des séquelles irréversibles, ce qui le rend difficilement comparable à un décès cardiovasculaire ou à un accident vasculaire cérébral. Pour ce qui est des infarctus du myocarde, la question est plus controversée, dans la mesure où, d'une part, le pronostic de l'infarctus du myocarde s'est considérablement amélioré ces dernières années, et, d'autre part, l'avènement des dosages de troponines ultrasensibles permet désormais d'étiquetter “infarctus du myocarde” des événements ischémiques de bon pronostic, dont la seule traduction est parfois “biochimique”, sans altération de la fonction ventriculaire gauche, ni séquelle clinique.

Pour contourner ces difficultés, une première option est de ne prendre en compte que les événements cliniques (ischémiques ou hémorragiques) ayant une certaine gravité, définie par avance (par exemple, restreindre l'évaluation des saignements aux hémorragies intracrâniennes et aux saignements mortels). Une autre possibilité est d'affecter des coefficients de gravité aux différents événements pour essayer de faire une évaluation équilibrée, mais cela pose immédiatement la question du choix de ces coefficients, qui peut devenir franchement subjective. L'avantage de cette méthode est de permettre en revanche de prendre en compte la spécificité de chaque situation (ainsi, on n'affectera pas le même poids aux saignements en fonction des différents types de patients et situations cliniques, par exemple en prévention secondaire et en prévention primaire) et les préférences de chaque patient.

L'inconvénient des méthodes arithmétiques qui additionnent ou soustraient l'effet sur les saignements de l'effet sur les événements thrombotiques est que la plupart des médicaments antithrombotiques ont tendance à augmenter les premiers et à diminuer les seconds, ce qui fait tendre vers zéro les comparaisons et peut diluer un bénéfice réel sur les événements ischémiques ou un risque hémorragique réel. Quel que soit l'artifice mathématique pour mettre en rapport bénéfice et risque, il est probablement préférable d'évaluer l'efficacité et la sécurité des médicaments antithrombotiques séparément et de se souvenir que la valeur accordée à l'une et à l'autre varie selon la situation clinique et les préférences de chaque patient.

Références

1. Steg PG, Bhatt DL. Is there really a benefit to net clinical benefit in testing antithrombotics? Circulation 2018;137(14):1429-31.


Liens d'intérêt

P.G. Steg déclare avoir des liens d’intérêts avec Amarin, Bayer, Sanofi, Servier (bourses de recherche et honoraires en tant que consultant ou orateur) et Amgen, AstraZeneca, Boehringer-Ingelheim, Bristol-Myers Squibb, Idorsia, Novartis, Pfizer (honoraires en tant que consultant ou orateur).

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