Au moment de concevoir ce numéro, personne ne pouvait prédire que l'épidémie de COVID-19 prendrait l'ampleur qu'elle connaît et bouleverserait de fond en comble la société, et l'hôpital. Désormais, de nombreux services de cardiologie comportent des unités de prise en charge COVID, voire des unités de soins intensifs cardiologiques pour les patients COVID. L'activité programmée interventionnelle et chirurgicale est réduite à sa plus simple expression,
et tous les efforts sont concentrés sur la meilleure prise en charge possible du plus grand nombre de patients et sur le passage du pic de l'épidémie.
En quelques jours, les cardiologues, comme beaucoup d'autres médecins, se sont reconvertis en spécialistes des maladies infectieuses, avec un apprentissage sur le terrain et à la dure.
Dans l'épidémie de COVID, un certain de nombre de points importants ont trait au système cardiovasculaire et à l'impact de la maladie sur celui-ci :
- La fréquence des comorbidités cardiovasculaires chez les patients infectés, probablement en partie du fait d'une plus grande sévérité de la maladie chez les sujets âgés, est tout à fait frappante et constitue clairement un facteur de mauvais pronostic. La question du rôle potentiellement aggravant d'un traitement au long cours par inhibiteurs de l'enzyme de conversion (IEC) ou antagonistes des récepteurs de l'angiotensine II (ARA-II) a été posée du fait de la parenté entre l'enzyme de conversion de l'angiotensine et le récepteur du SARS Cov-2, mais il existe aussi des arguments pour un effet protecteur des antagonistes des récepteurs de l'angiotensine, et il est certain que l'arrêt brutal des bloqueurs du système à l'angiotensine est délétère à la fois par le rebond hypertensif, la réactivation du système de l'angiotensine et l'aggravation de l'insuffisance cardiaque chez les patients avec dysfonction ventriculaire gauche, sans parler de la perte des effets néphroprotecteurs. Pour cette raison, l'avis unanime de toutes les sociétés savantes dans le domaine cardiovasculaire est de poursuivre les traitements au long cours par IEC ou ARA-II. Des essais randomisés se mettent en place pour tester de façon prospective l'intérêt de la poursuite ou de l'arrêt de ces traitements.
- Un deuxième élément frappant est la fréquence des dommages myocardiques, probablement par mécanisme d'infarctus du myocarde de type II ou de lésions myocardiques non spécifiques chez les patients infectés par le COVID. Ces dommages se traduisent par une élévation de la troponine chez au minimum 20 % des patients, voire plus selon les séries, élévation qui semble être associée à un plus mauvais pronostic. De la même façon, on note une prévalence élevée d'élévation du BNP ou du NT-proBNP sans que cela conduise à entreprendre un bilan complet d'insuffisance cardiaque.
- La fréquence des myocardites dans tout leur spectre, depuis les formes paucisymptomatiques ou mineures de myopéricardites avec élévation de troponine jusqu'aux grandes formes avec choc cardiogénique rapide et réfractaire nécessitant éventuellement la mise sous assistance circulatoire, a été notée. L'assistance circulatoire par ECMO a été considérée comme peu efficace dans ces myocardites, mais le recul manque encore.
- Une présentation d'infarctus du myocarde avec sus-décalage de ST peut, chez les patients COVID, correspondre à des infarctus à coronaires normales dont la physiopathologie n'est pas encore entièrement claire. Des formes pourtant caricaturales de douleurs précordiales avec aspect d'onde de Pardee ont été décrites avec des coronaires normales ou subnormales. Pour cette raison, une coronarographie systématique en vue d'une angioplastie primaire reste probablement une stratégie de première intention raisonnable pour les prises en charge des STEMI chez les patients COVID. Néanmoins, des problèmes difficiles se posent quelquefois dans le contexte d'un STEMI suspecté chez les patients qui ont une pneumonie sévère empêchant le décubitus, lorsque l'on veut éviter à tout prix une intubation, et peuvent également se poser des problèmes de délai de prise en charge qui ont fait recommander à certains un retour à la thrombolyse intraveineuse lorsque les délais prévisibles de réalisation d'une coronarographie paraissent élevés.
- La fréquence des complications thromboemboliques veineuses est très élevée, en rapport avec de grands syndromes inflammatoires et une hyperfibrinogénémie fréquente chez ces patients, conduisant à une utilisation large du traitement prophylactique de la thrombose veineuse à bonne dose.
- Enfin, les traitements utilisés pour traiter l'infection par COVID, en particulier certains traitements antiviraux, ont des effets cardiovasculaires tout à fait connus, notamment sur l'ECG, avec allongement du QT possible en cas d'utilisation de l'hydroxychloroquine, de l'azithromycine et de leur combinaison (a fortiori chez des patients fragiles, cardiaques ou en hypokaliémie), du lopinavir, du ritonavir. Il est important de vérifier l'ECG 3 à 4 heures après la première prise, en sachant que le risque de torsades de pointe et autres arythmies ventriculaires est majoré à partir d'un QT corrigé supérieur à 500 ms, le risque d'effets secondaires se majorant en fonction de la durée du traitement et des associations médicamenteuses allongeant le QT.
Nous ne sommes qu'au début de la découverte de ce nouveau chapitre de la pathologie auquel nous serons tous confrontés pour encore des semaines et probablement de longs mois, raison pour laquelle il est important de se former collectivement. En attendant, un fait frappe les observateurs : la diminution apparente des syndromes coronariens aigus incidents chez les patients non COVID, qui reste un phénomène encore mal expliqué et qui doit nous inciter à nous préparer à la prise en charge d'un grand nombre de coronariens en situation d'urgence à la sortie du confinement. D'une urgence à l'autre …