Parmi les différentes causes d'hypertension pulmonaire [1], l'hypertension pulmonaire thromboembolique chronique représente probablement l'étiologie où l'on a observé le plus de progrès au cours de ces dernières années, à la fois dans les domaines épidémiologiques, diagnostiques et thérapeutiques. Récemment, un rapport de la Société européenne de pneumologie a détaillé ces différentes avancées [2]. Cette publication commune des Lettres du Pneumologue et du Cardiologue a pour objectif de résumer ces nouvelles données.
L'incidence cumulée de l'hypertension pulmonaire thromboembolique chronique après une embolie pulmonaire aiguë n'est pas connue exactement ; cependant, des données récentes rapportent une incidence cumulée après une embolie pulmonaire aiguë comprise entre 0,5 et 1 %. Il est notable que, pour près de 25 % des patients atteints d'hypertension pulmonaire thromboembolique chronique, aucun antécédent d'embolie pulmonaire aiguë n'est mentionné, tandis que plusieurs facteurs de risque d'hypertension pulmonaire thromboembolique chronique ont été rapportés (pacemaker, chambre implantable, splénectomie, maladies inflammatoires chroniques). En revanche, aucune anomalie biologique, en particulier du système fibrinolytique endogène, n'a pu être démontrée.
Jusqu'à présent, 2 termes étaient utilisés pour décrire les patients symptomatiques présentant une occlusion thromboembolique chronique des artères pulmonaires en fonction de la présence ou de l'absence d'une hypertension pulmonaire au repos : l'hypertension pulmonaire thromboembolique chronique et la maladie thromboembolique chronique. La nouvelle définition de l'hypertension pulmonaire précapillaire avec l'abaissement du seuil de la pression artérielle pulmonaire moyenne de 25 à 21 mmHg associé à la baisse des résistances vasculaires pulmonaires de 3 à 2 unités Wood modifie ainsi la classification de patients auparavant considérés comme ayant une maladie thromboembolique chronique, qui se retrouvent maintenant dans la classe des patients ayant une hypertension pulmonaire thromboembolique chronique. Pour résoudre ce dilemme terminologique, il est désormais proposé d'utiliser le terme générique de maladie pulmonaire thromboembolique chronique pour caractériser les patients symptomatiques qui présentent à la scintigraphie des défauts de perfusion pulmonaire avec une ventilation conservée et des signes spécifiques de caillots sanguins organisés à l'angioscanner thoracique, l'imagerie par résonance magnétique ou l'angiographie pulmonaire conventionnelle après au moins 3 mois d'anticoagulation efficace, ces patients pouvant avoir ou non une hypertension pulmonaire au repos.
Sur le plan physiopathologique
L'hypertension pulmonaire thromboembolique chronique est consécutive, d'une part, à l'obstruction chronique des artères pulmonaires par du tissu fibreux secondaire à l'organisation des caillots qui adhèrent à la paroi des vaisseaux et, d'autre part, au développement d'un remodelage des artérioles pulmonaires (50-500 μm de diamètre) identique à celui retrouvé dans l'hypertension artérielle pulmonaire et qui est prédominant dans le compartiment vasculaire perméable. Dans les territoires obstrués par les caillots chroniques, il existe également, en aval de l'obstruction des artères pulmonaires, un remodelage des veinules et des capillaires pulmonaires probablement lié à l'existence d'anastomoses entre la circulation bronchique systémique et la circulation pulmonaire.
Sur le plan diagnostique (figure 1)
La scintigraphie pulmonaire de ventilation et perfusion planaire demeure l'examen de référence pour exclure une maladie pulmonaire thromboembolique chronique. Cependant, à l'heure actuelle, la plupart des services de médecine nucléaire utilisent la tomographie de ventilation-perfusion par émission monophotonique (SPECT), souvent la seule méthode scintigraphique disponible dans les centres hospitaliers. De plus, la SPECT semble avoir une sensibilité supérieure à celle de la scintigraphie planaire. L'angioscanner thoracique est l'examen de référence, à l'heure actuelle, pour confirmer le diagnostic et faire le bilan des atteintes, en particulier lorsque l'on dispose de reconstructions biplanaires. Dans certains cas, l'angiographie pulmonaire conventionnelle reste nécessaire pour poser une indication chirurgicale.
Sur le plan thérapeutique (figure 2)
Le traitement anticoagulant est la base du traitement médical. Il a pour objectif de réduire le risque de récidive de la maladie thromboembolique veineuse, au prix d'une augmentation du risque d'hémorragie. Historiquement, le traitement de référence repose sur les antivitamines K, principalement la warfarine, avec une cible d'INR entre 2 et 3. Dans le traitement de la maladie thromboembolique veineuse, les antivitamines K sont progressivement remplacées par les anticoagulants oraux directs, en particulier le rivaroxaban et l'apixaban. Sous réserve d'être prescrits chez les patients pour lesquels leur pharmacocinétique est prévisible (c'est-à-dire en l'absence d'insuffisance rénale ou hépatique sévère, ou d'interactions médicamenteuses), ils sont au moins aussi efficaces que les antivitamines K, réduisent de 50 % le risque d'hémorragie grave, et cela sans surveillance biologique.
L'endartériectomie pulmonaire est le traitement de choix quand le patient est jugé opérable après discussion multidisciplinaire dans un centre expert. Elle permet une amélioration majeure, tant hémodynamique que clinique, avec une mortalité postopératoire < 3 %.
Chez les patients considérés comme non opérables ainsi que chez les patients dont l'état de santé est insuffisamment amélioré par la chirurgie, le riociguat est actuellement le seul traitement oral approuvé dans cette indication. Dans l'essai CHEST-1, le riociguat permettait une amélioration de la distance parcourue au test de marche de 6 minutes (+46 m versus placebo à 4 mois) chez les patients ne réunissant pas les critères pour une endartériectomie pulmonaire (ou avec hypertension pulmonaire persistante après chirurgie). Le riociguat permettait aussi une baisse des résistances vasculaires pulmonaires de l'ordre de 30 %. Aucun des autres traitements oraux testés (sildénafil, bosentan, ambrisentan, macitentan) n'a pu prouver son efficacité sur un critère clinique dans un essai de phase III. À noter que, dans un essai de phase II, le macitentan a démontré un effet modeste sur les résistances vasculaires pulmonaires, sur un effectif limité. Plus récemment, le tréprostinil sous-cutané a démontré son efficacité sur la distance parcourue au test de marche de 6 minutes, chez des patients ne réunissant pas les critères pour une endartériectomie pulmonaire (ou atteints d'une hypertension pulmonaire persistante après chirurgie).
L'angioplastie des artères pulmonaires, à la suite de progrès récents, principalement sous l'impulsion d'équipes japonaises, est une technique aujourd'hui à maturité, qui permet de traiter les patients atteints de formes inopérables. Elle ne se conçoit que dans des centres experts, où l'efficacité après 5 à 6 sessions est remarquable, avec une baisse des résistances vasculaires pulmonaires de plus de 60 %. La mortalité est faible, voire nulle ; cependant, certaines complications restent fréquentes, en particulier les hémorragies intraparenchymateuses dues à un traumatisme vasculaire au cours de la procédure. Ces complications sont d'autant plus fréquentes que l'hypertension pulmonaire est sévère. Des résultats récents suggèrent qu'un traitement médical qui permet de baisser la pression artérielle pulmonaire moyenne et les résistances vasculaires pulmonaires avant l'angioplastie peut entraîner une diminution de la fréquence de ces complications.
Enfin, certains patients peuvent bénéficier de l'association successive de ces différentes options thérapeutiques (traitement multimodal). Il n'y a pas de consensus concernant les critères d'éligibilité à ce traitement multimodal, qui sont dépendants de l'expérience de chaque centre expert. La sélection des patients doit être effectuée au cours d'une réunion de concertation pluridisciplinaire et l'évaluation à long terme du traitement multimodal devra être rigoureusement menée.