La maladie coronaire stable (ou “les syndromes coronaires chroniques” pour utiliser la terminologie des recommandations européennes) recouvre un ensemble de situations cliniques assez diverses, qui comprennent les patients qui ont un antécédent d'infarctus (au-delà de la première année), les patients qui ont eu un antécédent de revascularisation myocardique par angioplastie ou par pontage aortocoronaire, et les patients qui ont de l'ischémie myocardique documentée et stable, qu'elle soit accompagnée de symptômes angineux ou pas (ischémie silencieuse). On pourrait également en rapprocher les patients, sans cesse plus nombreux, chez lesquels une imagerie (par coronarographie conventionnelle, ou de plus en plus souvent par coroscanner) a mis en évidence des lésions athéromateuses coronaires, même lorsqu'ils n'ont ni angor ni ischémie myocardique. La prise en charge de ces patients n'est pas très différente de celle de patients coronariens avérés, une fois que ceux-ci sont stabilisés, c'est-à-dire (pour faire simple) au-delà de la première année après un événement aigu ou une revascularisation.
Aujourd'hui, la surveillance de ces patients porte sur les signes fonctionnels (apparition ou aggravation de symptômes angineux, apparition ou aggravation d'une insuffisance cardiaque, apparition de troubles du rythme), sur la surveillance de l'électrocardiogramme de repos, à la recherche de modifications asymptomatiques de la repolarisation ou de troubles du rythme, sur la surveillance à intervalles réguliers de la fonction ventriculaire gauche, notamment par échocardiographie. Même s'il n'y a pas de règle scientifique sur la périodicité des examens, il est sûrement raisonnable d'évaluer à intervalles réguliers la fonction ventriculaire gauche des coronariens.
Outre ces éléments, il est bien entendu essentiel de corriger les principaux facteurs de risque : arrêt du tabac, normalisation de la pression artérielle, lutte contre la sédentarité, application des objectifs recommandés des taux de LDL-cholestérol et de triglycérides et, chez les sujets diabétiques, contrôle de l'hémoglobine glyquée. À la correction des facteurs de risque, il faut ajouter la prescription des médicaments de prévention secondaire fondés sur les preuves. Ces médicaments comprennent :
- des antithrombotiques (généralement une monothérapie antiplaquettaire, plus rarement une bithérapie antiplaquettaire, un traitement anticoagulant (chez les sujets ayant une indication aux anticoagulants par ailleurs), voire l'association d'un anticoagulant et d'un antiagrégant plaquettaire);
- au minimum une statine pour atteindre l'objectif de LDL-cholestérol de 0,55 g/L et, chez les coronariens le plus gravement atteints (avec 2 événements en moins de 2 ans), une cible de 0,40 g/L. Si cela s'avère nécessaire, il faut souvent associer à une statine de l'ézétimibe, et, si les objectifs ne sont pas atteints, envisager l'adjonction d'un inhibiteur de PCSK9.
- un inhibiteur de l'enzyme de conversion ou un antagoniste des récepteurs à l'angiotensine, tout en sachant que le bénéfice de ces classes est surtout avéré chez les sujets avec une insuffisance cardiaque ou une dysfonction ventriculaire gauche, ou à des fins de néphroprotection chez les diabétiques ou les insuffisants rénaux [1];
- le rôle des bêtabloquants est devenu beaucoup plus controversé que par le passé. Jadis considérés comme faisant partie de l'arsenal obligatoire de la prévention secondaire postinfarctus, l'amélioration du pronostic des coronariens a fait réexaminer leur rôle [2], et plusieurs essais randomisés sont en cours pour tester le bénéfice de les poursuivre ou de les interrompre au-delà de quelques mois à 1 an postinfarctus;
- enfin, à ces classes médicamenteuses habituelles sont venues s'ajouter de nouvelles options: chez les sujets diabétiques, la prescription d'inhibiteurs de SGLT2 ou d'agonistes du GLP1, non pas tant pour obtenir un contrôle glycémique parfait, que du fait de leurs bénéfices prouvés sur la survenue d'événements cardiaques et sur la néphroprotection. Enfin, plusieurs essais randomisés ont fourni des résultats encourageants, quoique pas entièrement univoques, sur l'utilisation chronique de petites doses de colchicine à visée anti-inflammatoire.
Chez un grand nombre de coronariens, il est possible d'atteindre les objectifs de prévention secondaire et de s'assurer de la prescription et de l'adhérence aux médicaments de prévention secondaire. Beaucoup d'entre eux sont asymptomatiques dans la vie quotidienne. Le praticien se pose alors légitimement la question de savoir s'il est possible d'identifier les sujets le plus à risque d'événement aigu (infarctus du myocarde ou mort subite cardiovasculaire) pour pouvoir les prévenir. Il a longtemps été considéré qu'il était de bonne règle de faire, à “intervalles réguliers” (sans pour autant qu'on puisse donner une règle objective pour déterminer la périodicité), une recherche d'ischémie myocardique, par une épreuve d'effort simple ou, mieux, par un test d'effort couplé à une méthode d'imagerie (échographie de stress, scintigraphie myocardique d'effort, voire plus récemment IRM de stress). On doit néanmoins s'interroger, à la lumière des études récentes, sur l'intérêt de ce “dépistage” chez des patients asymptomatiques. En effet, l'idée du dépistage est que si le test est anormal, “il faut faire quelque chose” et ce quelque chose est généralement une coronarographie en vue de revascularisation myocardique. Or, les essais randomisés comparant stratégie de traitement médical seul et stratégie invasive couplée au traitement médical n'ont pas montré de supériorité de la stratégie invasive, ni chez les coronariens stables (essai COURAGE), ni même dans le sous-groupe considéré comme particulièrement à risque des sujets diabétiques (essai BARI-2D), ni même, un comble, chez les sujets stables avec une ischémie myocardique documentée au moins moyenne à sévère (essai ISCHEMIA, à la condition d'avoir exclu préalablement les sujets porteurs de sténose du tronc commun coronaire gauche). En fait, l'essai ISCHEMIA, le plus récent et le plus rigoureux de ces essais randomisés [3], montre qu'une stratégie initiale de prise en charge par le traitement médical aboutit sensiblement au même pronostic qu'une stratégie invasive. Le seul intérêt de cette dernière étant de permettre une amélioration plus rapide et plus marquée de la qualité de vie [4], mais sans effet sur la quantité de vie. Il n'y a donc pas d'intérêt à dépister ou à démasquer l'ischémie myocardique chez les coronariens qui ne se plaignent de rien, car les revasculariser ne les améliore pas.
Pourrait-on au moins se dire qu'un test d'ischémie myocardique négatif permettrait au moins de rassurer le patient (et son médecin) sur un risque faible d'événement cardiovasculaire impromptu ? Pas plus. En effet, une analyse du registre CLARIFY sur plus de 20 000 sujets coronariens stables ayant passé un test d'effort [5] a démontré que certes, le risque de décès cardiovasculaire ou d'infarctus est plus élevé si le test est positif en termes de symptômes ou d'ischémie myocardique, mais dans le suivi de cette cohorte, il a été observé qu'environ 70 % des événements survenus dans l'année suivant l'épreuve d'effort ont touché des sujets qui n'avaient pas d'ischémie myocardique. Il n'est donc pas logique de focaliser la surveillance des coronariens sur la présence ou l'absence d'ischémie. Cela suggère fortement que non seulement un test positif ne doit pas nous conduire, en tous cas à lui seul, à opter pour une stratégie invasive, mais un test négatif ne peut pas non plus nous rassurer entièrement. Bien entendu, le groupe le plus grave était celui des patients incapables de faire un test d'effort, dont la mortalité était particulièrement élevée.
En définitive, les changements radicaux des caractéristiques et de la prise en charge des sujets coronariens, et l'amélioration de leur pronostic [6] nous conduisent à réviser nos principes et à réévaluer l'intérêt de la surveillance non invasive de l'ischémie myocardique. Un essai randomisé (l'étude ARCACHON) est en cours : il compare chez plus de 2 600 coronariens stables et asymptomatiques une stratégie “conservatrice” guidée par les seuls symptômes à une stratégie de recherche régulière et systématique de l'ischémie myocardique. En attendant les résultats de cet essai, il est prudent de s'en tenir à la surveillance des symptômes, au contrôle des facteurs de risque et à la prescription et la surveillance des médicaments de prévention secondaire.