Les fibrates sont utilisés depuis des décennies comme médicaments hypolipidémiants, à la fois pour leur capacité à élever le HDL-cholestérol et à abaisser les triglycérides, leur effet sur le LDL-cholestérol étant souvent modeste. Le bénéfice cardiovasculaire d'abaisser les triglycérides et d'élever le HDL-cholestérol a longtemps été très discuté. Compte tenu de la relation souvent inverse entre triglycérides et HDL-cholestérol, les 2 paramètres évoluent simultanément et il était traditionnel de penser que le HDL-cholestérol était “protecteur” contre les maladies cardiovasculaires, et les triglycérides un simple marqueur du risque. Ces dernières années ont vu un renversement complet de la perspective : les études épidémiologiques ont montré une relation claire entre élévation du taux de triglycérides et risque cardiovasculaire, et les études de randomisation mendeliennes ont indiqué que les gènes associés à une élévation du HDL-cholestérol n'étaient pas protecteurs contre les maladies cardiovasculaires (et donc que le HDL-cholestérol ne joue pas de rôle causal dans la protection contre l'athérosclérose), alors que les gènes associés à une élévation des triglycérides sont bel et bien associés à un sur-risque cardiovasculaire (et donc les triglycérides ont réellement un rôle causal dans l'athérosclérose). Enfin et surtout, plusieurs essais randomisés contrôlés testant des médicaments élevant nettement le HDL-cholestérol (niacine ou inhibiteurs de la CETP) ont échoué à démontrer un bénéfice cardiovasculaire. On s'attend donc à ce que les médicaments abaissant les triglycérides aient un effet protecteur sur le plan cardiovasculaire.
Pourtant, les preuves d'un bénéfice clinique des fibrates en prévention cardiovasculaire manquent : les essais randomisés de prévention ont donné des résultats mitigés. En total contraste avec le bénéfice éclatant des statines dans les essais cliniques de prévention secondaire de l'athérosclérose. Même chez les sujets diabétiques, où prédomine souvent un phénotype associant HDL bas et triglycérides élevés, et dont le risque cardiovasculaire est élevé, les essais randomisés de prévention cardiovasculaire se sont avérés décevants. Cela a parfois été rapporté au fait que les participants sélectionnés pour participer à ces essais n'avaient pas toujours des triglycérides élevés, et de fait certaines analyses en sous-groupe ont suggéré rétrospectivement qu'un bénéfice cardiovasculaire des fibrates pourrait être présent chez les diabétiques hypertriglycéridémiques. La dernière chance des fibrates en prévention cardiovasculaire était représentée par le pemafibrate, un fibrate dont l'effet est sélectif sur les PPARα, capable d'abaisser les triglycérides d'environ 50 % et d'élever le HDL-cholestérol de 20 %. Ce médicament faisait l'objet d'un grand essai randomisé de prévention cardiovasculaire chez les patients diabétiques hypertriglycéridémiques traités par statines, l'essai PROMINENT. Le promoteur de l'essai vient d'annoncer par communiqué de presse l'interruption prématurée de l'essai pour cause d'inefficacité cardiovasculaire [1]. On peut penser que cet événement signe la fin définitive de l'utilisation des fibrates à visée de prévention cardiovasculaire. Il peut persister d'autres indications de cette classe thérapeutique, en prévention du risque de pancréatite, dans les très grandes hypertriglycéridémies réfractaires au régime ou dans le ralentissement de la progression de la rétinopathie diabétique, mais celles-ci constituent des niches spécifiques d'utilisation. Cet échec pose aussi la question de la possibilité réelle d'interférer avec le risque cardiovasculaire en abaissant les triglycérides. Il n'est pas impossible, comme le suggèrent d'ailleurs les études de randomisation mendéliennes, que pour obtenir un bénéfice clinique, il faille viser une réduction des triglycérides de plus de 80 %, bien difficile à obtenir avec des médicaments non sélectifs. L'histoire nous dira si la fin des fibrates est annonciatrice de la fin des triglycérides…