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Éditorial

Faut-il oublier le régime sans sel dans la prise en charge de l'insuffisance cardiaque ?


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Pendant des décennies, le régime pauvre en sodium a constitué l'alpha et l'omega de la prise en charge de l'insuffisance cardiaque. La justification physiopathologique étant que ce syndrôme s'accompagne d'une puissante stimulation de systèmes neuro-hormonaux (système rénine angiotensine aldostérone, système sympathique, hormone antidiurétique) et d'une redistribution géographique de la perfusion des néphrons aboutissant à une balance sodée positive, notamment durant les périodes de décompensation. En conséquence, il est apparu utile de réduire l'apport de sodium, qui dépasse les 15 g par jour dans les régimes normaux des pays occidentaux. La société européenne de cardiologie recommande ainsi de limiter l'apport sodé à 5 g par jour maximum et d'éduquer les patients en conséquence.

Cependant, force est de reconnaître que les études conduites sur l'intérêt du régime hyposodé selon des critères modernes sont rares, et, en général, limitées à de petits effectifs inférieurs à 100 patients. De plus, la durée de ces études est modeste, allant de 4 semaines à 6 mois, la restriction sodée est de sévérité variable d'une étude à l'autre, et les résultats sur les symptômes, les signes cliniques d'insuffisance cardiaque et les événements cliniques sont changeants : soit positifs, soit neutres, voire parfois négatifs.

Dans ce contexte, les résultats de l'étude SODIUM-HF présentés récemment au congrès de l'American College of Cardiology et publiés dans le Lancet [1] ont suscité beaucoup d'intérêt, car l'essai a pour la première fois porté sur un nombre important de patients.

Cette étude a inclus 806 patients (un tiers de femmes) insuffisants cardiaques, âge moyen 67 ans, classe New York Heart Association (NYHA) 2 ou 3, recrutés dans 6 pays, et randomisés selon un schéma “open label” : soit à un régime apportant < 1 500 mg de sodium par jour, soit régime usuel selon les recommandations locales. L'objectif principal était de savoir si une différence était observée 12 mois après la randomisation sur la survenue d'une hospitalisation cardiovasculaire, d'une visite urgente pour motif cardiovasculaire ou d'un décès toutes causes. Il n'y avait aucun critère de fraction d'éjection (mais la valeur médiane était abaissée à 36 %) ou de concentration de peptides natriurétiques et le diagnostic de l'insuffisance cardiaque reposait sur “les recommandations locales et sur des médecins experts en insuffisance cardiaque”. Étaient exclus les insuffisants rénaux sévères et les patients hospitalisés pour raison cardiovasculaire dans le mois précédant l'inclusion. Le traitement médicamenteux était conforme aux recommandations internationales : 81 % des patients recevaient un bloqueur du système rénine angiotensine néprilysine, 87 % un bêta-bloquant et 57 % un antagoniste des récepteurs minéralocorticoïdes.

Un soin particulier était porté à la composition des menus conseillés et à leur teneur respective en protéines, hydrates de carbone, lipides et acides gras saturés sous la supervision d'équipes diététiques, de médecins ou d'infirmières.

Le groupe contrôle recevait les conseils usuels pour le pays concerné de restriction d'apports sodés.

Douze mois après l'inclusion, aucune différence significative n'a été observée concernant la survenue de l'objectif principal (15 % groupe faible sodium vs 17 % groupe contrôle, HR = 0,89, p = 0,53), la survenue d'un décès, d'une hospitalisation cardiovasculaire ou d'une visite urgente pour ce motif. En revanche, certains critères de qualité de vie étaient améliorés de façon modeste dans le groupe faible sodium : score global et score de limitation physique du Kansas City Cardiomyopathy questionnaire (KCCQ), amélioration de la classe NYHA, tandis que la distance de marche de 6 min restait similaire entre les 2 groupes.

Ces résultats globalement décevants méritent un commentaire et ne sont pas totalement inattendus :

  • Les critères de sélection portaient sur l'expertise clinique d'investigateurs et sur des patients plutôt stables, excluant une hospitalisation pour motif cardiovasculaire dans le mois précédant la randomisation. Un tiers seulement de ces patients avait été hospitalisé pour insuffisance cardiaque dans l'année précédant l'inclusion et le taux de BNP ou de NT-proBNP lorsqu'il était mesuré était modérément augmenté. Enfin, le taux d'événements cliniques majeurs observé était en dessous des prévisions (17 % contre 25 % attendus dans le groupe contrôle). Ces données suggèrent que la majorité des patients inclus était à faible risque.
  • De manière importante, la différence observée entre les 2 groupes au terme des 12 mois sur la quantité estimée d'absorption de sodium était seulement de 415 mg/j. Cette différence minime, jointe à une période d'observation relativement courte et un taux faible d'événements cliniques, peut expliquer les résultats neutres sur les événements cliniques majeurs, et il ne peut être exclu qu'un bénéfice clinique ait été observé à plus long terme.
  • Pour des raisons pragmatiques, la mesure du taux d'excrétion urinaire de sodium sur 24 heures, reflet fidèle de la quantité absorbée, n'a pas été pratiquée et l'estimation de l'absorption a été faite sur la teneur en sodium des repas sur 3 jours consécutifs. Il est possible que cette méthode indirecte ait conduit à une surestimation de l'observance des patients à leur régime.
  • Curieusement, aucune mention n'est faite du taux de prescription et du dosage de diurétiques de l'anse, paramètre qui peut influencer l'excrétion sodée de manière déterminante.
  • L'amélioration constatée sur des critères subjectifs de qualité de vie (KCCQ, classe NYHA) est sujette à caution dans un essai ouvert, et il est notable qu'un critère plus objectif, le test de marche de 6 min, ne montre pas de différence significative.

Malgré ces limites à un essai remarquablement bien conduit par ailleurs, on peut raisonnablement conclure que chez l'insuffisant cardiaque chronique stable, une restriction modérée de l'absorption de sodium par rapport à un régime standard également pauvre en sodium ne procure pas de bénéfice significatif sur les événements cliniques majeurs au terme de 12 mois d'observation et entraîne une amélioration mineure de critères subjectifs de qualité de vie. Cette observation rejoint le débat sur l'intérêt et l'innocuité de l'emploi de diurétiques de l'anse de manière permanente durant les phases de stabilité et du risque inhérent de stimulation du système rénine angiotensine aldostérone qu'ils peuvent induire. Sans doute convient-il simplement d'éviter les apports excessifs en sodium prévisibles sans restreindre de manière drastique et continue ces apports chez ces patients.

En revanche, les leçons de SODIUM-HF ne concernent en aucun cas les patients présentant des signes objectifs de rétention hydrosodée, les patients en insuffisance cardiaque sévère ou les patients en phase vulnérable suivant une récente hospitalisation pour insuffisance cardiaque, tous exclus de l'essai clinique, chez lesquels la stimulation intense du système rénine angiotensine aldostérone nécessite un contrôle strict des apports sodés en association à un traitement diurétique adapté.

Le mérite de SODIUM-HF est d'attirer notre attention sur l'importance des études à conduire sur le rôle de la diététique dans l'insuffisance cardiaque et la fragilité des données objectives disponibles concernant leur intérêt pour nos patients. Les études à venir sur ce thème devront prendre en compte le taux d'utilisation et le dosage des diurétiques, le statut clinique congestif ou non, la proximité de l'hospitalisation pour insuffisance cardiaque et la sévérité de la restriction sodée pour nous permettre de mieux évaluer l'impact d'une des plus anciennes pratiques médicales.

Mais en réponse au titre de cet éditorial : non, il ne faut pas oublier le régime pauvre en sel dans la panoplie des mesures concernant l'insuffisance cardiaque.

Références

1. Ezekowicz JA et al. Reduction of dietary sodium to less than 100 mmol in heart failure(SODIUM HF): an international, open-label, randomised, controlled trial. Lancet 2022;399(1033):
1391-400.


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