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Éditorial

Le polypill : une hérésie ou un outil efficace pour la prévention cardiovasculaire ?


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Depuis quelques années, il se passe rarement une semaine sans mise en cause de l'efficacité de tel ou tel médicament sur les réseaux sociaux ou dans les médias, allant jusqu'aux injonctions de ne pas commencer le traitement, voire de l'arrêter, malgré les preuves de son efficacité démontrée dans les essais cliniques.

L'enjeu de s'assurer de la prise effective du médicament est particulièrement d'actualité pour la prise en charge des maladies chroniques, où il a été montré qu'environ la moitié des patients ne prennent pas les médicaments prescrits ou ne les prennent pas en conformité avec la prescription. Cette non-observance peut avoir des conséquences délétères, que ce soit en termes d'événements cliniques pour les patients, ou en termes de dépenses de santé pour la société.

Il est parfois utile de rappeler le bon sens : on ne peut pas obtenir l'efficacité d'un médicament si on ne le prend pas ! Obtenir l'adhésion des patients au projet thérapeutique est donc primordial pour que leur compliance soit durable dans le temps. Cette adhésion est encore plus difficile à avoir lorsque plusieurs médicaments doivent être coprescrits. La simplification de la prise médicamenteuse grâce à un “polypill” figure parmi les différentes mesures et interventions qui pourraient potentiellement optimiser l'adhésion thérapeutique.

Le concept de polypill, un comprimé unique contenant plusieurs médicaments, a été proposé dès 2003, dans un rapport de l'Organisation mondiale de la santé et de Wellcome Trust, pour améliorer la prise médicamenteuse dans la prévention secondaire cardiovasculaire et en diminuer son coût [1]. Deux ans plus tard, Wald et Law [2] ont publié une analyse de modélisation très débattue qui suggère que l'utilisation d'un polypill comportant 6 molécules, dont l'aspirine, une statine, et 3 hypertenseurs à faibles doses, chez toutes les personnes âgées de plus de 55 ans, indépendamment de la présence ou non de facteurs de risque, permettrait une réduction de 80 % des événements cardiovasculaires en prévention primaire. Depuis, 3 essais randomisés, à l'échelle individuelle [3, 4] ou en cluster [5], ont montré le bénéfice en termes de prévention primaire cardiovasculaire, de l'utilisation de polypill constitué de différentes combinaisons de 2 ou 3 médicaments à doses fixes.

Les principales critiques formulées sur l'utilisation de polypill, notamment celles liées au risque d'une surmédicalisation et d'un excès de traitements, ne peuvent pas être retenues dans le cas de la prévention cardiovasculaire secondaire, compte tenu de la nécessité d'associer plusieurs médicaments d'intérêt dans cette indication. Restait en suspens la critique concernant l'incapacité d'adapter les doses des médicaments du polypill avec le risque d'un contrôle amoindri des facteurs de risque, mais également d'une augmentation accrue des arrêts du polypill, et donc de l'ensemble des médicaments qui le composent, en raison de l'apparition d'un effet indésirable de l'un d'entre eux.

L'essai SECURE, dont les résultats viennent d'être publiés [6], est particulièrement intéressant à plusieurs titres. Cet essai académique, financé par les fonds européens, a évalué l'efficacité d'un polypill comparé à la prise en charge médicale habituelle chez 2 466 patients qui ont présenté un infarctus du myocarde depuis moins de 6 mois, âgés de plus de 75 ans ou de 65 ans minimum avec au moins 1 facteur de risque (diabète, insuffisance rénale légère à modérée, antécédent d'IDM ou d'AVC, d'angioplastie ou de pontage antérieur) suivis pendant une durée médiane de 3 ans. Le polypill était proposé sous plusieurs formulations de doses combinant l'aspirine (100 mg), l'atorvastatine (20 ou 40 mg), et le ramipril (2,5, 5, ou 10 mg). L'âge moyen était de 76 ans, 31 % étaient des femmes, 78 % étaient hypertendus et 57 % avaient un diabète. Les facteurs de risque étaient bien contrôlés, avec une PAS moyenne de 129 mmHg, et une concentration plasmatique moyenne du LDL-cholestérol de 89,2 mg/dL. Dans le groupe contrôle, 98,7 % étaient sous aspirine et 97 % prenaient une statine dont 40,4 % à forte dose (versus 91,7 % dans le groupe polypill).

Les résultats de SECURE montrent une réduction du risque de 24 % sur le critère principal de jugement, un composite de décès d'origine cardiovasculaire, d'infarctus du myocarde non fatal, d'AVC ischémique non mortel ou de revascularisation urgente, dans le groupe polypill comparé au groupe contrôle (9,5 versus 12,7 % ; HR = 0,76 ; IC95 : 0,60-0,96 ; p = 0,02), sans incohérence observée dans tous les sous-groupes prévus en amont (l'âge, le sexe, la présence ou non de diabète, d'une insuffisance rénale, ou de revascularisation antérieure). La mortalité cardiovasculaire était également moins fréquente dans le groupe polypill (3,9 versus 5,8 % dans le groupe contrôle ; HR = 0,67 ; IC95 : 0,47-0,97 ; p = 0,03). Les événements indésirables ne différaient pas entre les groupes (32,7 % avec le polypill versus 31,6 % dans le groupe contrôle), tout comme les arrêts de traitements en raison d'une toux réfractaire (3,2 versus 2,8 %) ou d'événements rénaux (1,9 versus 1,8 %).

Pour Valentin Fuster et ses collègues [6], la meilleure adhésion au traitement dans le groupe polypill au cours du suivi (74 versus 63 % dans le groupe contrôle, 2 ans après la randomisation) expliquerait le bénéfice observé. Néanmoins, ni la pression artérielle ni les taux plasmatiques du LDL-cholestérol ne différeraient entre les 2 groupes. Une explication possible, mais non évaluée dans SECURE, serait que les patients aient été plus compliants aux traitements prescrits dans les jours précédant les visites de suivi, comme cela a déjà été montré dans des études évaluant l'observance.

L'essai SECURE démontre ainsi que la simplification de la prise médicamenteuse par un polypill est une stratégie faisable, bien tolérée et efficace dans la prévention secondaire d'événement cardiovasculaire après un IDM. L'avenir dira si ces résultats auront été suffisamment convaincants pour que les polypills soient utilisés à grande échelle dans cette indication.

Références

1. WHO. Secondary prevention of noncommunicable diseases in low- and middle-income countries through community-based and health service interventions: WHO-Wellcome Trust meeting report, 1-3 August 2001. 2002 (https://apps .who .int/iris/handle/10665/42567).

2. Wald NJ, Law MR. A strategy to reduce cardiovascular disease by more than 80%. BMJ 2003;326:1419.

3. Yusuf S et al. Blood-pressure and cholesterol lowering in persons without cardiovascular disease. N Engl J Med 2016;374:2032-43.

4. Yusuf S et al. Polypill with or without aspirin in persons without ardiovascular disease. N Engl J Med 2021;384:216-28.

5. Roshandel G et al. Effectiveness of polypill for primary and secondary prevention of cardiovascular diseases (PolyIran): a pragmatic, cluster-randomised trial. Lancet 2019;394:672-83.

6. Castellano JM et al. Polypill strategy in secondary cardiovascular prevention. N Engl J Med 2022;387:967-77.


Liens d'intérêt

T. Simon déclare avoir des liens d’intérêts avec : Ablative Solutions, Air Liquide, AstraZeneca, Sanofi, Servier, Novartis, 4 Living Biotech (Orateur, consultant, DSMB) ; AstraZeneca, Bayer, Boehringer, Daichi-Sankyo, Eli-Lily, GSK, Novartis, Sanofi (bourses de recherche). Membre du “Critical Event Committee” de l’essai SECURE.

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