Éditorial

Le renouveau de l'aspirine en prévention des thromboses veineuses périopératoires


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Traditionnellement, la vision des cardiologues sur la prévention des thromboses était assez simple. Les antiagrégants plaquettaires, et notamment l'aspirine, visaient à prévenir les thrombi artériels survenant dans des vaisseaux où le sang circule à haute vélocité avec des forces de cisaillement élevées. Les anticoagulants avaient comme principal champ d'action la prévention des thromboses veineuses, là où le sang stagne et est soumis à des forces de cisaillement basses. Bref : l'aspirine pour prévenir l'infarctus ; les anticoagulants pour prévenir la phlébite et l'embolie pulmonaire.

Des données nouvelles viennent remettre en question cette vision probablement simpliste. En particulier, un grand essai clinique randomisé pragmatique, récemment publié, a comparé chez plus de 12 mille patients adultes ayant une fracture la prévention des thromboses veineuses et des embolies pulmonaires par héparine de bas poids moléculaire (énoxaparine 30 mg × 2/j) et par l'aspirine à faible dose (81 mg × 2/j) administrées pendant la période d'hospitalisation [1]. Le critère de jugement principal était la mortalité toutes causes à 90 jours et les critères de jugement secondaire, les embolies pulmonaires non mortelles, les thromboses veineuses et les hémorragies. Dans cet essai, le plus grand jamais mené dans ce domaine, la mortalité a été faible dans les 2 groupes de traitement, (0,78 % dans le groupe d'aspirine et 0,73 % dans le groupe héparine de bas poids moléculaire). Cette différence n'est pas significative et l'aspirine valide la non-infériorité par rapport à l'héparine de bas poids moléculaire. En revanche, des thromboses veineuses périphériques sont survenues chez 2,51 %patients du groupe aspirine et 1,71 % du groupe héparine de bas poids moléculaire. L'incidence des embolies pulmonaires était identique à 1,49 % dans les 2 groupes et les hémorragies et les autres événements indésirables ont été comparables dans les 2 groupes. Ces données redonnent de la validité à une stratégie de prophylaxie de la thrombose veineuse en orthopédie par aspirine, qui a des avantages en termes de simplicité, de confort et de coût par rapport aux héparines de bas poids moléculaire.

D'autres études avaient déjà retrouvé des résultats similaires. En particulier, l'essai CRISTAL, publié en 2022 et portant sur la prévention des thromboses veineuses symptomatiques et des embolies pulmonaires chez les patients ayant une prothèse de hanche ou une prothèse de genou, a inclus plus de 9 000 patients, et avait mis en évidence une fréquence des thromboses veineuses symptomatiques de 3,45 % sous aspirine et 1,82 % sous énoxaparine, mais sans différence en termes de mortalité ou d'hémorragie entre les deux groupes [2]. Ces résultats, bien qu'apparemment présentés de façon différente (l'essai récent présenté comme une victoire de l'aspirine et CRISTAL comme un échec de l'aspirine), sont tout à fait concordants : pas de différence de mortalité ou du risque d'embolie pulmonaire, mais l'aspirine est moins efficace que les héparines de bas poids moléculaire pour la prévention des phlébites. L'aspirine peut désormais faire partie des options raisonnables dans la prévention des accidents thromboemboliques veineux en chirurgie orthopédique, en particulier dans le cadre de la traumatologie. Mais cela sera obtenu au prix d'une incidence plus élevée de thromboses veineuses périphériques, ce qui n'est pas sans conséquence (risque de récidive, maladie post-phlébitique, etc.). En revanche, l'aspirine est infiniment plus simple à administrer, n'impose pas de piqûres, et affiche un coût bien plus faible que les héparines de bas poids moléculaire. Cela doit aussi nous amener à reconnaître que la réalité biologique et physiopathologique des thromboses veineuses est probablement plus complexe que notre vision traditionnelle “simpliste” et implique à la fois les plaquettes et la thrombine. De façon symétrique, il y a également des données de plus en plus solides qui montrent une participation de la thrombine à la genèse des accidents coronariens aigus. De nouvelles études combinant de nouveaux anticoagulants dirigés contre le facteur XI et les antiagrégants plaquettaires, dans la prophylaxie de la thrombose artérielle, en particulier
en post-infarctus, sont en cours.

Références

1. Major Extremity Trauma Research Consortium (METRC). Aspirin or low-molecular-weight heparin for thromboprophylaxis after a fracture. N Engl J Med 2023;388:203-13.

2. CRISTAL Study Group. Effect of Aspirin vs Enoxaparin on Symptomatic Venous Thromboembolism in Patients Undergoing Hip or Knee Arthroplasty: the CRISTAL randomized trial. JAMA 2022;328(8):719-27


Liens d'intérêt

P.G. Steg déclare avoir des liens d’intérêts avec Amarin, Bayer, Sanofi et Servier (bourses de recherche) ; Amarin, Amgen, AstraZeneca, Bayer, Bristol-Myers Squibb, Idorsia, Janssen, Kowa, Novartis, Novo-Nordisk, Pfizer, Regeneron, Sanofi, Servier (essais cliniques, orateur ou consultant) ; Éditeur associé senior à Circulation.

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