Éditorial

Apnées du sommeil obstructives et risque cardiovasculaire : ne pas passer à côté, ne pas en faire trop…


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Il est désormais bien établi que chez les hypertendus et chez les patients porteurs de maladies cardiovasculaires (maladie coronaire, cérébrovasculaire ou insuffisance cardiaque), la prévalence des apnées du sommeil, notamment mais pas seulement des apnées obstructives, est élevée. Cela n’est guère étonnant, car ces entités partagent des facteurs de risque communs. On sait par ailleurs que les sujets qui souffrent d’apnée obstructive du sommeil (AOS) ont un pronostic plutôt plus sévère que ceux qui n’en souffrent pas. Les AOS sont une source de poussées tensionnelles, d’activation du système nerveux sympathique, de vasoconstriction, d’hypoxémie intermittente et d’augmentation de la post-charge. Ces facteurs provoquent ou aggravent une éventuelle ischémie myocardique et à terme, ils peuvent altérer la fonction ventriculaire gauche et être source d’arythmies supraventriculaires et ventriculaires.

Bien entendu, ces conséquences cardiovasculaires sur le pronostic se conjuguent aux conséquences fonctionnelles des AOS : sommeil de mauvaise qualité, réveils nocturnes et somnolence diurne, dont la forme la plus caricaturale fut décrite au XIXe siècle par Charles Dickens sous la forme de son personnage Mr Pickwick. Chez ces patients, une fois dépistés, la mise en place d’un traitement par pression continue positive (CPAP) peut substantiellement améliorer la qualité du sommeil, prévenir la somnolence, mais également présenter des bénéfices cardiovasculaires tangibles, notamment l’amélioration du contrôle tensionnel. Ainsi est-il de bonne guerre, devant une hypertension artérielle mal équilibrée, de se poser la question d’un éventuel syndrome d’AOS et, en cas de doute, de procéder à un dépistage par polysomnographie. Il est donc important d’y penser.

Pourtant, tout n’est pas si simple et, s’il importe de ne pas rater une AOS chez les patients symptomatiques ou chez les patients avec une hypertension artérielle non contrôlée, il est loin d’être établi que le dépistage et le traitement par CPAP des AOS améliorent le pronostic cardiovasculaire des cardiaques :

  • le traitement par CPAP est lourd et contraignant, souvent médiocrement accepté ou toléré seulement quelques heures par nuit ;
  • l’amélioration symptomatique apportée peut être variable ;
  • les AOS constituent une entité hétérogène, à laquelle contribuent dans des proportions variables de multiples facteurs anatomiques, physiologiques, inflammatoires ou liés à l’obésité et dont la réponse au traitement peut considérablement varier [1] ;
  •  enfin et surtout, bien que de nombreuses études observationnelles aient suggéré des bénéfices cardiovasculaires au traitement par CPAP (et un bénéfice proportionnel à l’adhésion au traitement), les essais interventionnels prospectifs randomisés testant les bénéfices cardiovasculaires du traitement ont donné des résultats négatifs et une méta-analyse a retrouvé un effet non significatif sur les critères composites : décès cardiovasculaire, syndrome coronaire aigu ou accident vasculaire cérébral (RR = 0,77 ; IC95: 0,53-1,13) [2]. Bien que le nombre d’études randomisées soit relativement faible et que beaucoup soient de petite taille, il n’en reste pas moins vrai que nous n’avons pas la démonstration d’un bénéfice cardiovasculaire du traitement par CPAP des AOS.

C’est pourquoi la principale raison du traitement doit rester une perspective d’amélioration symptomatique des AOS et de la somnolence. Il n’y a pas lieu, par exemple, de faire pratiquer un dépistage d’AOS systématique chez tout hypertendu. De même, compte tenu de l’absence de démonstration d’une amélioration du pronostic, il n’y a pas lieu d’insister sur le traitement par CPAP chez les patients qui ne le tolèrent pas, au motif que “cela est important pour améliorer leur pronostic cardiovasculaire”, les bénéfices du traitement étant limités aux symptômes liés à l’AOS.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de bénéfice cardiovasculaire possible. Il est tout à fait concevable que, correctement ciblé sur les patients avec des vraies formes obstructives et peut-être plus dans le post-AVC que dans le post-infarctus, un traitement par CPAP correctement asservi puisse apporter un bénéfice pronostique, mais cela reste à démontrer. Il faut espérer que des essais en cours ou à venir permettront de l’établir.

Références

1. Redline S et al. Obstructive sleep apnoea heterogeneity and cardiovascular disease. Nat Rev Cardiol 2023. doi: 10.1038/s41569-023-00846-6.

2. Yu J et al. Association of positive airway pressure with cardiovascular events and death in adults with sleep apnea: a systematic review and meta-analysis. JAMA 2017;318,156-66.


Liens d'intérêt

P.G. Steg déclare avoir des liens d’intérêts avec Amarin, Bayer, Sanofi et Servier (bourses de recherche) ; Amarin, Amgen, AstraZeneca, Bayer, Bristol-Myers Squibb, Idorsia, Janssen, Kowa, Novartis, Novo-Nordisk, Pfizer, Regeneron, Sanofi, Servier (essais cliniques, orateur ou consultant) ; Éditeur associé senior à Circulation.

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